On se forme l'esprit et le sentiment par les conversations, Pascal

vendredi 4 janvier 2013

Osons imaginer la souffrance de l'autre

Le journal La Croix m'a demandé de rédiger un article porteur d'espoir pour la nouvelle année. Le voici, tel qu'il paraît dans l'édition de ce jour :

Permanence d'un chômage structurel de masse, développement des inégalités et de la précarité, financiarisation de l'économie qui n'a d'autre fin que le profit, impuissance des politiques publiques face aux lois du marché, perturbations climatiques dues aux activités humaines dont les conséquences dévastatrices sont de plus en plus visibles, disparition accélérée de la diversité des espèces, mille raisons, plus graves les unes que les autres, nous font sentir que le modèle sur lequel se sont bâties nos sociétés depuis deux siècles est à bout. Un nombre croissant d'hommes et de femmes de toutes conditions et de tous pays aspire à un autre mode de vie en commun, mais la plupart d'entre nous avons le sentiment d'être soumis aux forces anonymes d'un système dont nous sommes plus serviteurs que maîtres. Considérer que l'état du monde est déterminé par des lois implacables de la rationalité économique, penser que nous sommes soumis à la nécessité d'un système qui s'impose à tous, telles les lois de la physique, serait avouer que nous avons atteint le stade ultime de l'aliénation et que la liberté qu'ont les hommes de faire l'histoire et non de la subir, la liberté de vouloir et de choisir le monde dans lequel nous vivons – cette grande espérance des Lumières - est une pure et simple illusion. Il ne saurait en être ainsi. Soit ! Mais que faire ?
Et si, en ces jours où débute la nouvelle année, nous nous livrions à une petite expérience de pensée, à la façon dont les philosophes ou les scientifiques nous invitent à nous placer dans une situation imaginaire afin d'envisager de nouvelles hypothèses et de bouleverser nos manières habituelles de voir ?
Imaginons que nous soyons, chacun d'entre nous, placés dans un état tel que nous aurions pleinement, intensément, conscience du sens de chacun de nos actes et de leurs conséquences sur les autres, non pas seulement sur nos amis et nos proches, sur nos collaborateurs et nos subordonnés, mais sur tous les êtres humains existants et à venir, sur les espèces animales également, jusqu'au moindre être de la nature. Ferions-nous une telle expérience, éprouvant dans une clarté totale, tout à la fois sensible et intellectuelle, au-delà de l'espace et du temps, dans une dimension quantique, la plus petite souffrance, la plus infime douleur que nos actes infligent au moindre être affecté par eux, le bouleversement de la conscience qui en résulterait transformerait, de façon définitive, l'état du monde. Plus rien ne pourrait plus se perpétuer comme avant. La douleur éprouvée de la souffrance de l'autre, quel qu'il soit, nous serait à ce point insupportable que nous serions désormais tout simplement incapables de l'infliger à quiconque, et nous trouverions de nouvelles solutions aux difficultés de la réalité humaine que nous croyions jusqu'alors être prise dans le réseau de contraintes implacables. Ce que nous appelons le système s'effondrerait à la seconde même et nous comprendrions qu'en réalité sans notre participation il n'aurait pu s'exercer avec la froide objectivité que nous lui prêtions à tort.
Il ne s'agit, bien sûr, que d'un jeu de l'esprit. Mais qu'il soit dénué de signification et de portée, non tel n'est pas le cas. Hitler aurait-il pu vouloir l'extermination des Juifs s'il avait un millionième de fraction de seconde éprouvé, dans la chair de son âme, la souffrance infligée à un seul de ces enfants ? Les pilotes qui ont largué la bombe sur Hiroshima aurait-il pu revenir à leur base avec la conscience du devoir accompli s'ils avaient connu la douleur qui résulta de leur obéissance aux ordres ? On pourrait multiplier à l'infini les exemples, bien plus ordinaires, qui montrent que c'est l'incapacité de se représenter les conséquences effectives de nos actes qui est à l'origine du mal.
Cultiver l'imagination, c'est nourrir en soi les capacités à la sympathie. Nous n'avons pas besoin de plus de morale, nous avons besoin de plus de conscience ou, ce qui est la même chose, de compassion Il ne dépend que de nous de la développer. Cela seul suffirait à rendre le monde infiniment meilleur.

25 commentaires:

MathieuLL a dit…
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MathieuLL a dit…

L’expérience de pensée que propose cet article est attrayante dans son apparence, mais vicieuse dans son essence. Car si nous pouvions connaître la moindre conséquence de nos actes, alors nous serions PARALYSES dans l’action – chacun entraînant avec lui l’apparition de mondes contradictoires avec ce principe d'amour que nous nous proposerions d'atteindre. Je m’explique : si les professeurs d’art de Vienne avaient été plus cléments avec le jeune Adolf, alors celui-ci aurait mené une carrière de peintre et non de tyran. Si Jésus n’avait pas prêché, alors l’inquisition n’aurait pas eu lieu. Si Socrate n’avait pas philosophé, alors il ne serait pas mort et n’aurait pas laissé une femme veuve…. Certes ! On pourra me reprocher de faire abstraction des agents eux-mêmes (c’était à Hitler, aux inquisiteurs et aux juges grecs de choisir une autre vie), mais cela ne change rien à la racine : car le moindre agissement – se lever à 10h plutôt qu’à 9h – peut entraîner des conséquences inimaginables – par exemple : on se fera écraser par une voiture.

Tout cela pour dire quoi ? Que l’ignorance est nécessaire à l’action. En outre, il est très dangereux de réfléchir à ce qui 'devrait être' plutôt qu’à ce qui est (c’est aussi le leitmotiv de Sen dans L’idée de justice, et c’est l’un des seuls points où ma pensée rejoint entièrement la sienne). Je vais encore plus loin : les inégalités et les souffrances constituent l’Histoire humaine comme l’hydrogène, l’eau. Pas d’Histoire sans inégalités. La société humaine, en tant que cas particulier de société animale, ne fait pas exception à ce principe : que la vie est d'abord SURVIE. Les principes moraux qui s’appliquent –naturellement – à la vie de tous les jours – famille et ‘paroisse’ – supportent très mal leur transfert sur la scène politique. Il faut, je crois, revenir à une distinction entre éthique et morale. La gestion de millions d’individus est dissemblable à celle d’un foyer ou d’une congrégation. L’accepter n’est pas 'abandonner' sa liberté ; mais c’est une prise de conscience lucide – condition nécessaire pour réaliser l’Histoire et non des châteaux en Espagne. Mais au fait… : n’est-ce pas plutôt l’Histoire qui nous fait ?

Bien à vous tous,

Michel Terestchenko a dit…

Cher Mathieu, je ne saurais souscrire à l'affirmation que la vie est simplement affaire de survie. Mais passons, pour l'instant. En rédigeant cet article, je songeais à la transformation radicale de la vie de ceux qui ont vécu une expérience de mort imminente. Quelle que soit l'interprétation qu'on en donne, un de ses aspects les plus remarquables tient à la vision "panoramique" de tous les actes que nous avons commis durant notre existence et, plus important, à la conscience instantanée des effets de nos actes sur ceux qui ont été affectés par eux. Les hommes et les femmes qui ont vécu cette expérience de conscience totale ont, sur le champ, changé radicalement de mode de vie et de valeurs, devenant, pour la plupart, des êtres infiniment plus altruistes qu'ils ne l'étaient auparavant. Le développement d'une telle conscience serait, certainement, de nature à transformer l'état du monde. Mais ce n'est pas là un programme politique, j'en conviens.

MathieuLL a dit…

Cher monsieur Terestchenko,
Là, je comprends mieux. J’ai regardé un très beau documentaire, il y a quelques semaines déjà, sur les EMI (donné en référence ci-dessous). Même si tous les témoignages ne font pas mention d’un jugement (sans compter les EMI dites négatives : l’enfer), ce qui est très remarquable, c’est que les personnes en question font toujours l’expérience de l’amour inconditionnel (agapè) (la lumière qui surgit du néant) et ressentent un sentiment de « conscience universelle ». Certains personnages (je pense à Pascal et à moult mystiques chrétiens) ont eux aussi fait l’expérience de Dieu – à l’état conscient cette fois-ci. Je ne serais pas étonné que la conscience enfonce ses racines dans des terrains plus profonds qu’on ne l’imagine encore... Vu en ce sens – c’est-à-dire par-delà la vie politique – je comprends mieux votre réflexion sur l’amour.
Mathieu LL

http://www.youtube.com/watch?v=2CLH0QGQ5Wg

Michel Terestchenko a dit…

Cher Mathieu, oui c'est très exactement de cela dont il s'agit. Je suis heureux que vous ayez mieux compris le sens de mon propos.

Jean-baptiste Richard a dit…
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Jean-baptiste Richard a dit…

Cette expérience de pensée me séduit. Que cela serait utile dans nos délibérations, dans nos actions, dans nos engagements ! Mais pas seulement dans les moments de décisions cruciales mais surtout dans nos gestes et paroles ordinaires et quotidiens. En effet, quand nous sommes conscients que nous allons prendre une décision importante qui va avoir des conséquences, nous sommes plus capables de les imaginer (même si on peut en ignorer certaines et même se tromper). Par contre, nos gestes et paroles ordinaires nous semblent insignifiants et c'est souvent par eux que nous pouvons blesser nos proches car nous n'imaginons pas la portée et l'importance que nos actes et nos paroles peuvent avoir pour les autres.
Toutefois, la limite ou le présupposé de cette expérience c'est que l'on ne désire pas la souffrance des autres. En effet, est-ce que dans tous les exemples horribles évoqués, dans tous ces crimes atroces, est-on vraiment sûr que la douleur et la souffrance infligée aux autres n'étaient pas désirées ? Certes, nous savons que pour certains nazis comme Eichmann se réfugiant dans leur bureau, l'extermination était abstraite ou que d'autres développaient des stratégies mentales pour épargner leur conscience comme Frantz Stangl. Il est alors manifeste que ce pouvoir de connaître la douleur causée à autrui aurait pu être un frein à ces horreurs. Mais, n'est-il pas des cas où des gens souhaitent la douleur ? N'y a t-il pas des cas où les criminels jouissent de la douleur ? N'est-il pas des cas de violences gratuites où la douleur infligée aux autres n'est pas ignorée mais souhaitée ?
Un officier nazi qui demande à une mère de choisir lequel de ses deux enfants doit être exécuté, ne fait-il pas cela par sadisme ? N'est-il pas en mesure d'imaginer les souffrances qu'il va engendrer ? Ne fait-il pas cela justement pour engendrer des souffrances ?
Je suis désolé de noircir l'espoir suscité par cette expérience dans la fin de mon commentaire et je terminerais sur une note plus positive car comme je l'ai souligné au début, dans la vie de tous les jours et pour la plupart des gens, cette expérience est très utile dans la vie pratique.
Je l'interprète comme un appel à « l 'imagination morale ». C'est d'ailleurs votre si belle conclusion : « Cultiver l'imagination, c'est nourrir en soi les capacités à la sympathie. Nous n'avons pas besoin de plus de morale, nous avons besoin de plus de conscience ... »
J'ajoute que la littérature peut nous aider à développer notre imagination morale en enrichissant notre expérience, en nous faisant adopter différents points de vue et en nous faisant vivre des situations singulières et concrètes.
Jean-baptiste Richard, M1 SEPAD

Emmanuel Gaudiot a dit…

Je rejoins le recours que vous évoquez, cher Jean-Baptiste, à la fiction comme avatar de l'expérience. Vous verrez cette année, dans l'étude de l'oeuvre de Kierkegaard que présente Mr Daval, qu'il procédait dans cet esprit : toute communication vraie doit être indirecte.
Pour ce qui est de la gymnastique de l'esprit qu'une telle expérience demande, je vais me référer à un film du tout début de années 2000 : "L'effet papillon". Je parlais de gymnastique parce que ce film illustre toute l'incertitude inhérente à nos actes. Cela pourrait justement nous dissuader d'y accorder trop d'attention, simplement parce qu'on ne peut calculer la solution du moindre mal ; mais, au contraire, je pense que cela doit nous renvoyer à notre humilité : chacun d'entre nous est à la fois investi d'un pouvoir immense sur l'avenir du monde, en même temps que nous sommes réduits à cultiver notre pré carré, comme à l'écart de notre espèce. C'est là, Mathieu, que l'histoire inertvient : soit elle fait de Hitler un peintre en bâtiment qui devient dictateur sanguinaire, soit il devient un artiste peintre.
Pourtant s'en remettre à la marche du temps semble être une démarche qui peut nous conduire à tout accepter... et cela, nous ne le pouvons pas : ce serait offenser notre liberté!
Je vois ici, Michel, un renvoi à votre conférence sur le scrupule du début de l'année. Evidemment, il est question ici d'une démarche de réflexion, de décision que ne permet déjà plus le scrupule. Mais cela demeure la considération d'un instant, celle qui nous fait le saisir dans notre main avant de le laisser filer.
Acceptez, cher tous, tous mes voeux pour la nouvelle année.

Pascale Boulogne L3 a dit…

C'est un message plein d'espoir et de lumière que vous nous faites partager. Oui, alors, essayons d'ouvrir nos consciences et nos cœurs, reprenons notre place dans l'univers afin de vivre non seulement en harmonie avec les autres mais également avec le cosmos dans lequel nous baignons. En lisant, les stoïciens, j'ai été surprise par le message d'amour qu'ils véhiculaient et par leur immense espoir d’œuvrer pour le bien commun, dans une dimension proprement cosmopolite.
Ces hommes de rigueur et de raison ne se sont pas pour autant coupés du spirituel. Pour eux, en effet, il est évident que chaque homme possède en lui une parcelle divine parce qu'il est une partie de la Nature. « Il n'y a pas un autre plus semblable à moi-même que l'autre ». D'où l'idée toute simple que tous les hommes sont égaux et dignes de respect. L'autre n'est plus un étranger, il est un autre moi. Il est ce qui nous permet de nous réaliser en tant qu'être humain dans la voie de la vertu, celle qui conduit au bonheur. Nous n'existons que dans la reconnaissance de l'autre et ne sommes définis que par l'être pour autrui. Toute faute contre autrui devient alors une faute contre soi. A l'inverse, on peut dire que tout bien pour autrui devient un bien pour moi.
Je pense que sans cet amour pour l'autre, nos consciences tournent à vide. Si nous avons perdu le contact avec l'autre, il se pourrait alors que nous ayons perdu le contact avec nous-mêmes. De là, viendrait peut-être le fait que nous ayons aussi perdu le contact avec le réel et que ce réel nous fait peur car nous n'avons plus de prise sur lui.
Je suis, pourtant, persuadée qu'une réappropriation de soi par une pratique méditative, peut conduire à un nouvel amour de soi et a une nouvelle conscience de soi qui offre une ouverture sur le monde et les autres.
Et pour finir, j'ai envie d'envoyer un p'tit coup de griffe à tous ceux qui pensent confortablement que l'on ne peut rien contre le « système ». A la compassion, on pourrait ajouter l'impermanence bouddhiste. Le monde est mouvant et ne s'arrêtera pas à nous et le système n'est rien d'autre qu'une invention humaine. Commençons donc par agir avec nos consciences éclairées et nos cœurs accueillants. Et vive la vie !

Dominique Hohler a dit…

Cher Michel
Lorsqu’un journaliste demande à Ariel Sharon ce qu’il avait éprouvé à bord de son avion de chasse en larguant une bombe, Sharon répond qu’il avait ressenti une légère vibration provenant du mécanisme de déclenchement de la bombe.
Réponse cynique invoquant un autisme efficace sans lequel on n’agit pas ou pour le dire plus précisément, sans lequel on ne gagne pas. Le sang de l’autre qu’on a sur la main n’est pas la plaie de l’autre. Le vainqueur ignore la souffrance du vaincu.
Nous sommes tous des vainqueurs ; nous revendiquons une retraite confortable et précoce en portant des vêtements fabriqués par des enfants qui ne connaîtront ni le confort ni le droit de toucher une pension de retraite. Nous savons que si tous les habitants de la planète vivaient comme nous, celle-ci ne tiendrait pas un an.
Logique comptable : j’échange mon bien être contre la malheur d’un(e) autre. Et cette monnaie créditée en bien-être et débitée en souffrance circule en flux continus que nous ne voulons par voir. L’expérience que vous proposez, Michel, consisterait en une mise en évidence de cette sinistre économie.
Sinistre économie qui fait de nous des vainqueurs. Et pourtant nous ne sommes pas heureux ! Le blues du bourreau… Vous faites la liste des raisons pour lesquelles nous ne sommes pas heureux en début d’article et vous ajoutez que notre modèle est à bout. Les enfants de 68 en protestant contre la société de consommation n’avaient-ils pas la prescience de la faillite de ce modèle ?
Mais alors comment le casser ce modèle ? Comment sortir du système comptable qui échange le bien contre la mal ? Jacques Attali nous fait remarquer qu’il y a des biens, qui lorsqu’ils sont offerts augmentent la richesse du bienfaiteur. Ce sont des biens qui ne figurent pas dans les bilans comptables. Des biens en prise directe avec le bonheur. Voyez un exemple de ces biens qui enrichissent tout autant les émetteurs que les récepteurs http://www.youtube.com/watch?v=GBaHPND2QJg
L’article se termine par un appel à plus de conscience. Je lis mot conscience non au sens chrétien mais au sens de l’acuité que l’on a des choses, cette acuité dont ne voulait pas Sharon et qui l’aurait paralysé dans sa recherche des biens qui ne rendent pas heureux.
Dominique Hohler, M1 de philo (les initiés comprendront )

Catherine.Cudicio a dit…

Bonjour à tous, et un grand merci Mr Terestchenko, pour votre article qui contient des questions qui fâchent mais qu’il est indispensable de rencontrer. Penser la souffrance de l’autre fait partie des expériences les plus difficiles à vivre, surtout quand on se sent proche de cet autre. L’expérience de pensée que vous suggérez se heurte à une sorte de cécité psychologique présente en chacun.Certes il est des humains capables de se réjouir du mal ou du tort qu’ils infligent, l’envie de nuire empêche de partager le ressenti d’autrui. Mais si on se projette avec facilité en l’autre, si l’on compatit, cette expérience devient vite intolérable. Et face à l’intolérable, la plupart des gens fuient ou développent de solides remparts afin de se défausser de toute responsabilité. Si on imagine un instant que l’on est capable de rejeter cet ordre douloureux des choses, cela laisse penser en creux que nous en sommes tous responsables. Et comment se délivrer d’une telle faute? Faut-il d’ailleurs s’en délivrer? Dommage qu’il n’y ait plus de dragons en liberté, car, en terrasser un ou deux de temps en temps en évitant de penser qu’on lui porte tort, serait peut-être un intéressant pharmakon .

Michel Terestchenko a dit…

Cher Dominique,

Vous vous souvenez peut-être que j'ai consacré, je ne sais plus quand au juste, un billet au pilote de l'avion qui a largué la bombe sur Hiroshima et qui, par la suite, en a conçu un sentiment de culpabilité tel qu'il est devenu ... braqueur de banque. Au lieu d'être condamné, comme il le souhaitait, il a été enfermé de longues années en hôpital psychiatrique. Le premier mari de Hannah Arendt, Gunter Anders, a noué avec lui une correspondance publiée dans "Hiroshima est partout", il y a quelques années.
Une des grandes idées d'Anders est que lorsque nous ne sommes pas capables de nous représenter les conséquences effectives de nos actes, un signal d'alarme devrait se déclencher en nous. Le mal s'enracine dans un "défaut de pensée", un "handicap de l'imagination". L'idée sera reprise par Hannah Arendt dans son livre sur Eichmann.
C'est tout cela que j'avais présent à l'esprit en écrivant ce texte, sans pouvoir en parler plus explicitement, le format étant, comme toujours, trop court.

Alex CHARAUDEAU a dit…

Monsieur, je suis porté à vous rejoindre sur le fait que pour changer l'ordre du monde, il nous faut bien plus une prise de conscience accrue, plutôt qu'un surcroît de morale.

Cependant, quelque chose me laisse penser que l'homme trouve toujours des stratégies - d'évitement, de dénégation ou simplement d'oubli -, afin de rester passif face à ce qui devrait être amendé.

Oui, au fond, nous pourrions également défendre qu'avec l'état actuel des technologies et des communications, nous sommes tous tout à fait conscients des désastres du monde. Pourtant, rien ne semble changer.

C'est pourquoi, j'ai parfois l'impression qu'il s'agit au contraire d'inspirer un souffle chaud à la qualité morale qui est en nous.

Jean-René Peggary a dit…

Monsieur Terestchenko,
Vous soulignez que la question du Mal, souffrance des uns, négligence, inconscience, faiblesse, manque de courage, insuffisance ou paresse intellectuelle et morale des autres, pourrait être soulagée par une « pleine conscience » du sens de « nos actes et de leurs conséquences ». Cette pleine conscience pourrait avoir comme point d’ancrage une expérience « à la fois sensible et intellectuelle » de la souffrance de l’autre dont nous serions potentiellement responsables. Eprouver, souffrir en nous-mêmes ce que souffrirait l’autre, du plus proche au plus éloigné de nous, faire l’expérience quasi corporelle de notre irresponsabilité et de notre faiblesse humaines. Néanmoins, cette pleine conscience comme une pleine souffrance vécue, de manière un peu paradoxale, n’en reste pas moins vécue que sur un mode intellectuel, mentalisée, représentée par un acte de l’imagination. Vous suggérez qu’il est possible de ressentir l’insupportable et par là d’en déduire nos conduites à tenir. Y a t-il là un levier solide, sûr, pour nous guider dans nos choix ? Pouvons-nous nous représenter l’insupportable ? Est-ce que la représentation est une copie suffisante de la réalité vécue ? Et cette représentation peut-elle seule nous mettre dans l’incapacité, agissant comme une sorte de feed-back, de circuit de sécurité, de faire souffrir à l’autre ce que nous venons d’entrevoir grâce à l’exercice, même fugace, de la pleine conscience des conséquences de nos actes, ou même de nos pensées… Lorsque nous contribuons au mal, manquons-nous de volonté ? Manquons-nous de raison ? Des deux ? Les expériences de « soumission à l’autorité » relatées par Stanley Milgram montrent que des individus dérapent moralement sans manquer ni de l’une ni de l’autre. Alors, comme vous le dites à la fin de votre article, le plus important est la « sympathie » avec l’autre, la compassion. Un pas vers l’autre, une marque de respect de l’autre qui ne fait pas de détour intellectuel, une temporalité qui n’est pas celle du concept mais qui se rapproche plus de l’image, de la communion, du commerce des cœurs. Plus que « cultiver l’imagination » il faudrait, tant soit peu que nous en soyions capables, sympathiser sans distance, nous contenter des images réelles que ne manque pas de nous proposer le monde qui nous entoure, bien que souvent médiatisées elles nous paraissent irréelles ou virtuelles. Vous citiez dans un autre texte sur ce blog la nouvelle d’Eric-Emmanuel Schmitt « Le chien » dans son dernier ouvrage Les deux messieurs de Bruxelles. Le premier de la lignée des Argos, animal privé de conscience humaine mais non dénué d’humanité, saura rendre à l’homme cette même humanité dont il avait été privé par de tristes représentants de l’humanité… L’homme ne peut probablement rien à lui tout seul, il devra toujours son salut à des médiations nécessaires.
Jean-René Peggary Master1 Philosophie SEPAD

R. D. a dit…
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Michel Terestchenko a dit…

Merci, chers amis, pour vos riches et beaux commentaires.

Benoît PdV a dit…

Monsieur Terestchenko,

vous nous invitez en "morale" (si j'ose) de votre fable à plus de conscience. Et dans cette même conclusion, vous invitez à "cultiver l'imagination".
En lisant les commentaires concernant les vidéos sur les moines du Valaam chantant l'hymne acathiste ou bien encore la vidéo sur Maureen Forester, je m'interroge.
Est-ce de cultiver l'imagination dont nous avons besoin ? N'est-ce pas la culture de cette imagination qui nous a conduit à ce "modèle sur lequel se sont bâties nos sociétés depuis deux siècles" ? Les mathématiques, et par là même les modèles économiques, ne sont ils pas justement oeuvre de l'imagination? Et oeuvre seulement de l'imagination ?

Les vidéos m'ont interrogé et voilà en quoi : n'est-ce pas au contraire dans un retour à nos sens que nous ferons croître en nous la conscience ? N'est-ce pas en vibrant lorsque nos sens vibrent ?N'est-ce pas en vivant un peu plus au niveau de nos sens et non pas en se servant d'eux, que nous deviendrons un peu plus conscient ? Le commentaire de Catherine Cudicio quant à la manière d'interpréter une oeuvre baroque me semble en cela un bon exemple. La voix n'est-elle qu'un outil pour appliquer à la lettre une partition ? ou bien sommes nous notre voix et par là une interprétation plus ressentie, plus consciente, n'en deviendra t'elle pas d'autant plus intense ?

A l'aube de cette nouvelle année, je vous souhaite Monsieur(et à vous tous également) de pouvoir vivre plus intensément de vos cinq sens et par là de développer , selon votre invitation, notre conscience et notre compassion.

DéfiTexte a dit…

Vous écrivez : « Imaginons que nous soyons, chacun d'entre nous, placés dans un état tel que nous aurions pleinement, intensément, conscience du sens de chacun de nos actes et de leurs conséquences sur les autres, (...) sur tous les êtres humains existants et à venir, sur les espèces animales également, jusqu'au moindre être de la nature. » Alors vous imaginez pour La Croix que Dieu tout puissant existerait, y compris parmi nous : ce serait une nouveauté pour 2013 !

parzyjagla kleinhans charlotte a dit…

Merci pour ce commentaire plein de bon sens. Sa lecture m'a donné quelques frissons notamment parce que je me suis imaginée le poids que l'on ressentirait si nous devions ressentir la souffrance d'autrui. D'une certaine façon je pense que nous faisons tous à certains moments l'expérience de nous mettre à la place des autres, au moins quand il s'agit de considérer la difficulté du deuil d'un enfant pour un parent ou celle de la douleur et de la maladie. Mais il en est autrement que de s'adresser quelqu'un qui n'a a priori rien pour être malheureux mais dont on peut, si on s'ouvre un peu, entendre les difficultés à exister ou à vivre en harmonie avec lui-même. Le dégoût de soi par exemple est un mal dont on n'entend et ne voit souvent rien mais qui transforme chaque pas de l'existence en un combat.
On a toujours tendance à croire que la souffrance se mesure à l'intensité du crie qu'on entend de la part d'autrui mais pourtant chaque individus porte en lui une brèche à un endroit de son être qui peu lui rendre la vie insupportable. Je crois que s'interroger ou ouvrir les yeux sur cette souffrance est une chose très difficile à supporter et si cela nous pousse à avoir plus de bienveillance vers autrui il faut aussi être capable de s'en distancier parce que malheureusement, on est relativement impuissant à aider les autres, on peut seulement s'efforcer de ne pas les juger, les condamner. Je crois que l'empathie ne peut nous enseigner que ce que nous sommes capable de ressentir et identifier chez autrui ce que l'on a déjà vécu. Autrement dit, toute connaissance sur autrui n'est qu'une projection, la vraie difficulté pour créer un monde moins violent réside selon moi en la capacité de garder l'esprit assez affûté pour ne pas créer de confusion entre soi et les autres, c'est à dire être prêt recueillir une parole sans lui prêter des intentions ou croire pouvoir comprendre, connaître, savoir quelque chose de la souffrance d'autrui.

Unknown a dit…

Monsieur,

Merci pour ce texte plein d'espoir en ce début d'année plus déprimant que jamais.
Cette expérience de pensée m'a beaucoup séduite, au départ, et je partage une partie de votre conclusion: cultiver l'imagination nous rendra sans doute plus sensibles à la souffrance de l'autre et nous permettra de le prendre davantage en compte.
En revanche, je ne suis pas sûre de souscrire à ce que vous affirmez par la suite: le fait que nous ayons moins besoin de morale que de compassion... non pas que nous n'ayons pas besoin de compassion, bien entendu.
Cependant, je me demande si ce n'est pas la morale qui peut nous rendre compatissants. En effet, la morale (bien comprise) nous fait sortir de nous-mêmes afin de considérer l'intérêt général, voire le bien commun, plutôt que l'intérêt particulier. Une morale fondée sur le bien de la société peut certainement lutter contre l'individualisme qui ronge notre monde et nous rendre compatissants. Mais le chemin inverse est-il possible? La compassion peut-elle se développer sans fondement moral?
Si l'expérience que vous proposez était réellement possible, nous n'aurions peut-être pas besoin de morale pour voir le bien et le faire (ce dont je ne suis pas du tout sûre). Mais malgré nos efforts, nous ne ressentirons jamais dans notre chair les souffrances que nous infligeons aux autres, nous ne mesurerons jamais la portée intégrale de nos actes. Même si c'était le cas, comment être sûr que cela empêcherait certains d'agir de façon ignoble? Hitler avait-il besoin de ressentir la souffrance de ses victimes pour comprendre l'horreur de ses actes? Je ne le crois pas et ce qui est terrible, c'est que cela ne l'aurait sans doute pas arrêté.
Je rejoins ici le questionnement de Jean-Baptiste (j'aime beaucoup l'expression "imagination morale").

En outre, je ne comprends pas bien les expressions de "défaut de pensée" et de "handicap de l'imagination" pour caractériser le mal. Il me semble que l'intelligence intervient dans la détermination du bien et du mal. Mais ce n'est ni la pensée, ni l'imagination qui nous font agir. N'est-ce pas plutôt la volonté?
Il faut donc, selon moi, éclairer les consciences (en passant si l'on veut par l'imagination) mais sans oublier d'éduquer les volontés à une véritable liberté.

Merci beaucoup Monsieur de nous permettre, par le biais de ce blog, d'échanger alors que nous étudions à distance...

Marie Gazeaud, M2, SEPAD

Woodtli Benjamin M1 SEPAD a dit…

Suffit-il de ressentir la souffrance d'autrui pour cesser de vouloir l'infliger? Plus fondamentalement, ressentir la souffrance de l'autre et celle de tous les êtres contigus dans l'espace et successifs dans le temps, est-ce seulement envisageable sans concéder, dans le même temps, l'abolition du point de vue, de l'inscription d'un sujet-agent à une place précise dans le monde?
A mon sens, l'éthique ne s'envisage qu'en relation à un autre. Or, incarner tous ces points de vue à la fois, c'est abolir les termes, et par là, les conditions de possibilité d'une relation entre ceux-ci, c'est annuler les conditions même d'une éthique dotée d'un contenu.
Si délibération morale il y a, elle ne se présente jamais comme une déduction à valeur absolue, elle met au contraire en rapport, pèse des variables tributaires d'un contexte. Ce qui fait le contexte, c'est qu'un "je" ne sent pas ce qu'un "tu" sent, c'est qu'une sensation est indissolublement liée à un ici et à un maintenant. Parce que je doute de la possibilité conceptuelle de cette expérience de pensée, il m'est interdit de la considérer comme décisive.

BONKOUNGOU Alfred a dit…

L'article de début d'année sur "Osons imaginer la souffrance de l'autre" me fait penser à une vie sociale en construction mais amputée de son ouverture à l'avenir. Cette réalité en manque qui devrait cependant rendre à la structure de la vie sociale son équilibre est d'un ordre eschatologique. L'eschatologie pouvant être comprise ici comme ce qui doit advenir de l'histoire humaine. C'est dans ce sens que je comprends la conséquence de la césure du lien de l'engagement de l'homme contemporain et les enjeux que cet engagement réserve aux générations futures. La société ne peut envisager son projet de vie sans tenir compte des conséquences pour l'autre. La dimension communautaire et cosmique de notre vie n'est plus aujourd'hui la mesure de nos projets. Telle est la pointe de la profonde analyse du professeur TERESTCHENKO. Quelle solution faut-il envisager? Le professeur propose en quelque sorte de revisiter la connexion du présent et de l'avenir dans le dynamisme de nos actions. Voilà un beau programme social pour un début d'année. 

BONKOUNGOU Alfred, M1

Emilie Piouffre Master 1 SEPAD a dit…

Comment fait-on pour commencer dans la vie ?

Cette interrogation est commune à de nombreux jeunes. Nous rencontrons de nombreuses difficultés pour entrer dans cette société. Nous affrontons un marché du travail, une société qui s'est tellement dégradée ces trente dernières années que nous, jeunes générations nées durant cette période sommes plutôt pessimistes et manquons d'espoir. En effet, la société est de plus en plus dure, impitoyable, cynique, compétitive et moins portée par le collectif, la fraternité et l'engagement politique. D'ailleurs, nous sommes accablés par le manque d’ambition de nos politiques, par cette vision à court terme. Nos gouvernants proposent des recettes, des bricolages, plutôt qu’une vision du monde à long terme. Subséquemment quelle vision du monde, quelle vision économique ont-ils ? Toutes les institutions sont en crise, toutes : justice, famille, partie politique. De plus, 23% d’entre nous, jeunes français, vivent en dessous du seuil de pauvreté. Nous sommes face à une culture de l’inespoir, de la désespérance, de spectateurs et de pessimistes. Bien que l'espérance de nos jeunes années laisse place au désespoir, que le sentiment ressenti soit emprunt d'injustice, d'impuissance ; il ne nous faut pas céder aux sirènes du pessimisme et du cynisme.

Nous sommes désillusionnés.
Très bien ! Il faut sortir de l’illusoire pour entrer dans l’action car aucun engagement sérieux pour changer les choses, pour faire reculer l’injustice, pour améliorer la société ne peut se construire sans désillusion préalable, il faut savoir de quoi les hommes sont capables, ce que la richesse et le pouvoir peuvent produire d’indifférence et d’égoïsme, ce que le néolibéralisme signifie en terme d’exclusion pour pouvoir planifier une action utile en tenant compte des réalités.

Le monde qu’on nous lègue ne nous convient pas.
C’est à nous d’expliquer ce que l’on attend. C’est à nous jeune génération de réaliser collectivement dans quel monde nous souhaitons vivre dans dix ans ou quinze ans et qu’on invite les politiques à s’en inspirer, à donner réalité à cette vision. Nous ne voulons plus rentrer dans le moule actuel qui se fissure de toute part : moralement, socialement, économiquement, écologiquement. Il faut donc nous engager : temps, idées, militantisme, subversion et toutes ces formes qui restent encore à inventer, à créer, à construire. Pour animer, changer notre société, il n’y a pas besoin de milliards, il y a juste besoin de nous. Il nous reste à chacun un pouvoir d’appréciation beaucoup plus large que celui qu’on pense. Il ne faut pas penser qu’on a délégué notre pouvoir complet à autrui. Le but de la société aujourd’hui est de nous faire croire que nos marges de manoeuvre sont étroites et que nous avons confié nos pouvoirs à plus fort que nous alors que ce qui est le plus fort c’est ce que l’on a à l’intérieur de nous !

L’appel des appels qui œuvre pour inventer le monde de demain.
L’appel des appels est le lieu idéal pour retrouver l'espoir, la meilleure façon de dire non, de ne pas se résigner, de penser la société, le monde, l'avenir de façon positive. Pour que la démocratie existe, il faut que chaque électeur ait le sentiment qu’il contribue à construire l’avenir en tant que citoyen. Il nous faut penser l’avenir de façon positive, espérer de manière déraisonnable. Notre société civile se doit d’être dynamique, inventive, créatrice. Il est urgent et nécessaire de penser le monde différemment, de créer le monde de demain. Nous sommes capables de prendre le temps et de desserrer les trames du temps et de l'immédiateté. On ne doit jamais renoncer à l’effort de la pensée et de la réflexion. Nous devons cesser d’avoir honte et sans attendre nous devons livrer bataille. Alors rejoignez-nous et construisons ensemble le monde de demain.

Anonyme a dit…

Arrivant très en retard sur cette réflexion menée en début d'année, je l'ai lue à la lumière de ce qui a été déposé sur ce blog par la suite et, tout à fait instinctivement me vient une association avec, l'éloge de la lenteur d'une part, et la théorie "présence à soi / absence à soi" (Michel Terestchenko) développée en relation avec les concepts "banalité du bien / banalité du mal" (Hannah Arendt).
L'expérience de pensée proposée ici ne peut se vivre pleinement qu'à cette condition : apprendre à devenir le plus souvent possible intensément présent à soi, à ce qu'on pense, à ce qu'on fait.
Bannir la machinalité, les actes automatiques, le "prêt-à-penser" et l'acceptation automatique de tous ces moules qui nous formatent.

"Osons imaginer la souffrance de l'autre" sonne comme cet éveil auquel nous convie par exemple le bouddhisme, philosophie pratique par excellence de la compassion ( seule vertu permettant de ne jamais déshumaniser ni mépriser qui que ce soit) et de la lenteur (dans son sens le plus hautement philosophique, seule vertu qui permet de s'intensifier dans sa présence à soi).
Je prends conscience d'exprimer mon ressenti de façon quelque peu catégorique mais je pratique depuis peu la méditation (apprendre à faire la vacuité en soi pour être pleinement accueillant), le Tai chi (activité infiniment lente...) et je vous assure qu'on y trouve une puissance et une grâce que je n'ai jamais trouvées dans l'expérience intellectuelle.
Entendons-nous bien : il ne s'agit nullement de prosélytisme à croire en Bouddha ou en Dieu, il s'agit juste de porter un témoignage pour exprimer qu'une rencontre avec sa propre dimension spirituelle permet d'accéder à soi, à l'autre, au monde tout à la fois.
Je ne dis pas que je ne changerais jamais d'avis mais, à mon sens, on ne pourra jamais rien saisir aux questions du bien et du mal si on les cantonne au strict plan intellectuel, au raisonnement (même puissant).
La dimension spirituelle, sa forme d'élévation unique, est le complément incontournable du meilleur raisonnement intellectuel qui soit car en la matière, la pure théorie ne nous suffirait pas ; ici, c'est l'entraînement pratique qui compte.

Anne Rendamme

Priscillia COELHO MOUTINHO a dit…

Je me permets de rejoindre aux autres réflexions pour souligner cet exercice de pensée très intéressant, bien qu’extrêmement complexe.

Imaginons, comme votre invitation l’indique, à considérer que « la douleur éprouvée de la souffrance de l'autre, quel qu'il soit, nous serait à ce point insupportable que nous serions désormais tout simplement incapables de l'infliger à quiconque ». Serions-nous en mesure, dans cette optique, d’entreprendre la moindre action ? Tout acte engendre une forme, selon moi, de souffrance. Un acte, si bienveillant soi t-il, sera toujours accompagné d’une infime souffrance. Ainsi, si nous avions conscience de la souffrance de l’autre, pourrions-nous toujours agir ?