On se forme l'esprit et le sentiment par les conversations, Pascal

mercredi 20 mars 2013

Martha Nussbaum ou la démocratie des capabilités, Fabienne Brugère

Fabienne Brugère (professeur à l'université de Bordeaux 3) publie, sur le site La vie des idées, un excellent article consacré à la pensée de Martha Nussbaum, cette philosophe américaine, aujourd'hui internationalement reconnue, dont je vous ai déjà souvent parlé et que j'estime tant.

"Martha Nussbaum a inventé une philosophie morale et politique à même de renouveler la compréhension du féminisme, de la justice mais aussi du rôle des émotions, du développement humain et de la littérature. Cette œuvre n’est pas seulement impressionnante par la variété des thèmes abordés et le nombre de pages écrites ; elle l’est également par la méthode. Cette philosophe, titulaire de la chaire Ernst Freund de Droit et d’Éthique à l’Université de Chicago, revendique une forme d’abstraction toujours combinée à des recherches plus empiriques. Du point de vue de l’ancien partage philosophique issu de l’Antiquité grecque, elle est influencée par Aristote plutôt que par Platon. Dans The Fragility of Goodness, l’un de ses premiers livres qui porte sur l’éthique des anciens Grecs, elle fait d’Aristote le promoteur d’une éthique relationnelle à travers laquelle le souci des apparences prend la forme d’une réflexion sur la vulnérabilité du bien-vivre. [...]"
La suite de l'article peut être lu à l'adresse suivante :
  • www.laviedesidées.fr
  • mardi 19 mars 2013

    L'entraide entre les plantes

    La revue Imagine Magazine, consacrée à l'écologie, publie un article passionnant de Pablo Sevigne qui analyse les mécanismes d'échange de nutriments, autrement dit de coopération et d'entraide, entre les arbres. Où l'on apprend que la compétition n'est pas la seule loi du vivant, contrairement à une idée reçue :

    "Imaginez une vallée alpine où coexistent deux espèces d’arbres, le pin à écorce blanche (Pinus albicaulis) et le sapin des Rocheuses (Abies lasiocarpa). En bas de la vallée, là où il fait bon vivre, leur distribution est aléatoire. En haut, là où les conditions de vie sont plus difficiles, on ne trouve les sapins qu’autour des pins. Mieux, il a été mesuré qu’en bas de la vallée, lorsqu’un pin meurt, les sapins voisins poussent mieux. En haut, lorsqu’un pin meurt, les sapins poussent moins bien… Cette expérience, réalisée dans les années 90, est l’une des premières qui ont fait l’objet de mesures. Poursuivant leurs travaux, les pionniers de la « facilitation » chez les plantes (voir encadré Concept), ont fait le tour du globe pour voir s’ils pouvaient tirer de ces observations une règle générale. Réponse en 2002 dans la revue Nature: sur 11 sites aussi différents que l’Arctique, les déserts ou les forêts tropicales, où l’on trouvait un gradient de conditions faciles-difficiles, et sur 115 espèces de plantes, les chercheurs ont observé de la compétition dans les endroits où il fait bon vivre (9 sur 11) et de la coopération là où les conditions se gâtent (11 sur 11). C’est ainsi que l’écologie (des plantes) redécouvre officiellement l’autre grande loi de la jungle : l’entraide."
    Lire la suite sur le site de la revue :
  • www.imagine-magazine.com
  • jeudi 14 mars 2013

    Bref billet : le choix de vie des personnes âgées

    Ce court texte que j'ai été amené à rédiger pour une revue médicale :

    Une série d'enquêtes sociologiques récentes révèlent que la plupart des personnes qui ont atteint un âge avancé et qui ne peuvent plus vivre sans assistance privilégient, autant que possible, le choix de rester chez elles et de bénéficier d'aides tant professionnelles que familiales, et c'est encore ce choix qui fait l'objet de préférences de la part de leurs proches. Ce n'est qu'à défaut d'une telle possibilité – généralement offerte à la population la plus favorisée - que la maison de retraite se présente comme la solution ultime. Encore convient-il de distinguer selon que cette solution a été librement choisie ou, au contraire, imposée aux personnes concernées sans leur consentement. La seule perspective qui soit majoritairement rejetée est de prendre à son domicile la personne dépendante.
    La vie en institution est faite de diverses contraintes, liées en particulier aux règles de la vie communautaire, qui sont d'autant mieux acceptées que la personne a résolu de son plein gré de s'y soumettre. On comprend qu'un principe fondamental est au cœur de ces décisions : le principe d'autonomie. Ce qui anime les intentions des personnes interrogées, c'est le désir, sans doute légitime, de rester aussi libres et autonomes que possible. Quoique la maladie et l'âge puissent réduire la liberté de mener sa vie « chez soi » comme on l'entend, il s'agit autant que possible d'éviter de peser sur ses proches et de dépendre d'eux. Les motivations des uns et des autres sont cependant diverses. Les familles éprouvent généralement un réel sentiment de responsabilité à l'égard de leurs parents âgés, mais, dans le même temps, elles entendent mettre des limites à ce qu'elles sont prêts à consentir en termes d'aide. Si la relation du don opère dans les relations entre les générations, ce n'est pas un don sacrificiel et illimité. Tout se passe comme si il était entendu que la personne âgée doit demeurer à l'écart de la vie familiale (soit en la maintenant à son domicile soit en la « plaçant » en maison de retraite) et cette nécessité est également partagée par l'immense majorité des personnes qui ne sont plus en état d'assumer seules leur existence. Personne ne doit peser sur personne, telle est la norme fondamentale qui accompagne secrètement l'idée d'autonomie.
    Cependant une telle vision a pour défaut premier de passer à côté de ce qui constitue la réalité dans laquelle la personne âgée se trouve, et qui est tout autre, à savoir une situation de dépendance et de vulnérabilité. Or il y a une opposition essentielle entre l'idéal d'autonomie et la reconnaissance de la vulnérabilité.
    Considérer l'avenir de la personne âgée – et c'est un point de vue que elle-même adopte le plus souvent – à partir de l'idéal d'une vie indépendante, libre et autonome, envisager les diverses possibilités qui s'offre à elle à partir de ce critère n'est pas sans conséquence néfaste. C'est faire peser sur elle une certaine vision sociale – disons, libérale et individualiste – de ce qu'est la « bonne vie » : il faut être en forme, actif, être en mesure de jouer un rôle social valorisant, être créatif, etc. Mais dès lors que l'on ne se trouve plus en mesure de vivre, du fait de maladies ou de divers handicaps, conformément à cet idéal, tout se passe comme s'il fallait, malgré tout, continuer de le viser autant et aussi longtemps que possible. Or, il est un âge, et c'est aussi le cas de personnes gravement malades ou handicapées, où il est tout simplement impossible de satisfaire à ces exigences. Qu'arrive-t-il alors ? Le sentiment de ne plus avoir de raison d'être et de vivre, le sentiment d'être inutile ou en trop. Ce que les enquêtes montrent, c'est à quel point ces normes d'intégration sociale sont acceptées par tous, jusque par les personnes qui ne sont plus capables d'y répondre. Et l'on voit ensuite quels effets désastreux en résulte quant à l'idée qu'elles ont d'elles-mêmes.
    Les courants du care qui sont apparus aux Etats-Unis à la fin des années soixante se sont d'abord pensés en réaction à ce idéal d'autonomie, de liberté et de rationalité. Ils proposent d'approcher la condition humaine à partir d'un autre angle, celui de la vulnérabilité. Celle-ci n'est pas le propre seulement des personnes âgées, handicapées ou malades, mais de la condition humaine en général. Tout être humain est ou sera un jour ou l'autre (et cela commence dès l'enfance) exposé à une situation de dépendance et de fragilité. Et bien qu'il en soit ainsi, il n'en résulte pas qu'il doive, à un moment donné, perdre toute valeur à ses propres yeux ou aux des autres. Les êtres vulnérables n'ont pas à être mis systématiquement à l'écart, serait-ce dans des institutions appropriées à leur cas. Il convient d'en prendre soin – de la l'importance du care – parce qu'ils sont autant que les personnes actives dotés de capacités à mener une existence digne d'être vécue et qu'il faut protéger. C'est une exigence de l'accueil qui s'oppose aux diverses modalités de « mise à l'écart » que proposent nos sociétés, s'agirait-il de maisons de retraite confortables et aménagées de tout l'équipement pour soigner les personnes qui choisissent d'y terminer leur existence