On se forme l'esprit et le sentiment par les conversations, Pascal

mardi 28 juillet 2009

Et si elles portaient le tchador ?

On s'emballe toujours, on monte sur ses grands chevaux lyriques - merci Monsieur Kundera de nous déniaiser ! - puis la réalité vous rattrape par les cheveux. Mon frère m'apprend que ces religieuses, que je présentais comme des cierges dressés au bord de la mer, en fait étaient venues assister... à une compétition de surf ! Bon, cela ne change pas grand chose : rien me m'interdisait de lire cette photographie avec mes propres yeux et de l'interpréter selon mes préoccupations personnelles, puisqu'elle était sans légende.
Plus intéressante et troublante est la question posée par notre amie, Lara : aurais-je fait le même commentaire si, au lieu de porter la robe des moniales, ces femmes étaient revêtues de la burqa ?
On le sait, une enquête parlementaire est annoncée prochainement sur l'éventualité d'en interdire le port en France (en certains lieux ? partout ? dans certains emplois, c'est déjà le cas) ; des "spécialistes" et des chercheurs en sciences sociales ont déjà été auditionnés par une commission ad hoc. Si le port de la burqa qui dissimule entièrement le corps, et le visage par une meurtrière, peut légimement être dénoncé - il ne s'agit d'ailleurs nullement d'une prescription vestimentaire inscrite dans le Coran - en va-t-il de même du tchador ?
Première question : l'obligation faite aux femmes de se couvrir entièrement le corps - mais est-ce toujours contre leur gré ? - est-elle nécessairement une aliénation ? Franchement, je ne sais pas. Du reste, je doute que la question soit bien posée, la notion de libre-arbitre étant infiniment problématique. Penser la liberté humaine indépendamment des appartenances culturelles, seraient-elles simplement locales, est plutôt illusoire. La question est vaste et fait l'objet d'interminables controverses. Je n'insisterai pas. Mais ce qui me paraît certain, c'est que la chosification du corps féminin, transformé dans nos sociétés en objet d'appétit sexuel (de la part des hommes, évidemment) n'a rien d'une libération. Je n'ai pas grande sympathie pour les expressions extrêmes du féminisme, mais je comprends et je partage leurs protestations lorsqu'il s'agit de dénoncer cet asservissement permanent au désir masculin. Les images données de la femme, dans la publicité par exemple, ne témoignent-elles pas également d'une véritable aliénation ? Le fait que les femmes se conforment librement à cette image donnée (exigée ?) d'elles-mêmes ne change rien à l'affaire. Y a-t-il moins de respect du corps féminin dans l'obligation faite de le couvrir entièrement, excepté les mains et le visage - le visage humain devrait toujours rester à découvert - ou dans les puisssantes incitations (symboliques, sociales, mais économiques aussi) à le rendre désirable ? Dans les deux cas, l'appétit sexuel masculin est là, comme en embuscade, soit pour déjouer sa violence prédatrice, soit, au contraire, pour l'inciter. C'est d'abord cela qu'il faudrait mettre en cause. Chez nous, et pas seulement dans les positions, en effet retrogrades, des Talibans que nous ne saurions tolérer.
Deuxième question qui porte sur la liberté des femmes qui serait ainsi bafouée par une contrainte religieuse archaïque. Le port du tchador ne serait admissible que lorsqu'il résulte d'un choix volontaire. Admettre ce principe serait déjà beaucoup demander à nos concitoyens dont la plupart auront bien du mal à envisager et à accepter qu'une femme, plus encore qu'une jeune fille puisse, aujourd'hui dans notre France moderne, décider librement de se couvrir toute entière. Or, c'est pourtant le cas, que cela nous plaise ou non. Mais on n'est pas en reste d'arguments : une telle décision, prétendrait-elle être libre, ne serait que la manifestation d'une aliénation inconsciente de la personne qu'il faudrait, donc, affranchir malgré elle de ces liens. Si elle est jeune et jolie, c'est franchement un devoir civique. Mais là, mes amis, on n'a pas fini ! Et puis, dites-moi, ce programme est-il seulement acceptable ? N'est-ce pas ce projet - faire le bonheur des hommes malgré eux (c'est-à-dire malgré leur ignorance, leurs passions aveuglantes, leur imbécilité) - qui a nourri toutes les entreprises totalitaires ?
Si le libéralisme politique a une vertu incontestable, c'est d'abord d'avoir compris que ni la société ni l'Etat n'ont à se prononcer sur les conceptions que les individus se font du bien et du bonheur et qu'il leur appartient de respecter la pluralité des conceptions que chacun s'en fait (pour autant qu'elles ne portent pas atteinte à l'ordre public et qu'elles respectent les droits humains fondamentaux). Cela s'appelle la tolérance ! Bien que ce principe ne soit pas sans restrictions, les limites à lui apporter doivent être mûrement réfléchies et justifiées.
Pour ma part, je le dis sans ambages, je serai ravi de vivre dans une société où les policiers au coin de la rue portent le turban sikh et je ne répugnerai pas être servi à la poste par une femme souriante portant le voile islamique ou revêtue du tchador. Eh bien, non, je ne doute pas qu'on puisse porter ce vêtement et avoir le sourire aux lèvres ! Certains ne l'admettrons pas ? Tout le problème est là !

dimanche 26 juillet 2009

From Outer Space

Diaporama de l'exposition From Outer Space par le collectif de graphistes VLF - Thomas Cristiani, Séraphim Ranson et Antoine Roux - présentée en ce moment à Aix-en-Provence (Galerie Alter Ego).
Vous pourrez (re)lire le texte que j'ai écrit pour leur catalogue en tapant le nom de l'exposition dans la barre de recherche à droite de cette page :



  • www.seraphimranson.com
  • samedi 25 juillet 2009

    Au bord de la mer

    J'ai découvert cette superbe photographie de religieuses au bord de mer, prise par mon frère Ivan, en allant ce matin sur son site (que je vous invite à visiter).
    Je voudrais trouver les mots pour exprimer ce que cette image évoque en moi. Mais comment ne pas être désemparé si l'on compare en esprit ces longs voiles blancs comme des ailes repliées d'oiseau avec l'exposition des corps nus sur les plages en été ? Ce n'est pas seulement pudeur d'un côté et indécence de l'autre : l'opposition est trop moralisante pour toucher juste. Non, c'est d'autre chose dont il s'agit. L'habit monastique nous paraîtrait a priori totalement déplacé en un tel endroit, mais cette photographie ne nous invite pas à rire ou à nous moquer. Elle produit un choc, nous révélant qu'il est une autre manière de vivre et d'être présent au monde dont nous avons, pour la plupart, perdu l'intelligence et le souvenir. La mer ne nous appelle pas nécessairement à nous dénuder et à nous jeter en elle - quoique nous plongions et nagions en elle avec une joie toujours nouvelle ; elle peut aussi se donner à voir et à contempler dans le calme ou l'étonnement. Le mouvement oblique de l'une des femmes indique la possibilité d'une telle surprise qui n'est pas curiosité mais émerveillement au spectacle de la beauté, sans doute partagé par celle debout à ses côtés. Les autres sont assises dans le silence et ce silence se communique à nous. Aucune ne semble prier, mais toutes donnent l'impression de se tenir dans la présence tranquille du sacré.
    Si la nature est un temple à ciel ouvert - cette représentation, à tout prendre, vaut bien celle de la domination technique - quoi d'étonnant qu'il faille y cheminer avec les vêtements qui conviennent ?

  • www.itopus.com
  • Théâtre des Idées

    Le débat, animé par Nicolas Truong, que nous avons eu, Nancy Huston et moi-même, au Théâtre des Idées à Avignon, le 19 juillet, sur le théme "Comment devient-on un héros ? Comment devient-on un bourreau ?", peut être écouté à l'adresse suivante :

  • www.festival-avignon.com
  • mercredi 22 juillet 2009

    Raison et sentiment

    Dans les débats qui aujourd'hui animent la philosophie morale dans le monde anglophone - la France reste à l'écart mais qu'avons-nous produit chez nous ces dernières années qui compte vraiment dans ce domaine ? - domine l'opposition entre les partisans d'une conception déontologique - disons rationnelle - de la motivation morale et ceux qui, au contraire, dans le sillage ouvert par les théoriciens du sentiment moral au XVIIIe siècle (Hutcheson, Hume ou Adam Smith), repris aujourd'hui par les théoriciens du care (Carol Gilligan ou Martin Hoffman), estiment que sans détermination sensible ou affective de la volonté - qu'elle soit à mettre au compte d'un sens moral inné ou d'une inclination naturelle à la sympathie - nul ne serait incité à agir en faveur d'autrui, ni à faire "ce qui convient".
    Pour les premiers, de Kant à Rawls, agir de façon morale, c'est d'abord et avant tout respecter un ensemble de devoirs qui s'imposent de façon inconditionnelle selon les impératifs de la raison. S'il importe de se délier de ce qui vient de la sensibilité, c'est que celle-ci est une faculté à la fois partiale et changeante et que sur un sol aussi mouvant, il est impossible de rien édifier et fonder qui puisse satisfaire aux critères d'universalité et d'impartialité. La morale est composée de principes de base - un ensemble de droits et de devoirs - qui ne sont pas négociables selon les individus ou les circonstances et qui doivent être respectés quelle que soit notre inclination personnelle à leur endroit. Rien donc qui doive être mis au compte du caractère vertueux de chacun, pas plus que de ses dispositions spontanées à suivre les préceptes de la raison. Le devoir de véracité ou l'interdiction de commettre le meurtre s'imposent d'eux-mêmes et la sensibilité ne joue aucune part dans le caractère impérieux de ces principes. Pas plus n'y a-t-il lieu de tenir compte de la relation que nous entretenons avec les autres : qu'ils nous soient proches ou lointains, que nous soyons liés à eux par des relations affectives ou qu'ils nous soient étrangers, voire indifférents, est sans importance.
    A l'opposé, nombre de philosophes, dits "humiens" ou "néo-humiens", reprennent le fameux argument soutenu par l'auteur du Traité de la nature humaine selon lequel la raison est impuissante par elle-même à engager quiconque à agir : "C'est une chose que de connaître la vertu, c'en est une autre que de régler sur elle la volonté" (David Hume, TNH, III, section I). L'obligation morale est éprouvée bien plus qu'elle ne résulte de la représentation (de nature cognitive) d'un bien à suivre ou d'un mal à éviter - "la morale est plus proprement sentie que jugée" (section II) - et elle serait sans efficace si elle n'était enracinée dans le sentiment naturel de sympathie - nous dirions aujourd'hui d'empathie - qui nous fait percevoir les plaisirs et des peines que les autres ressentent, sentiment d'autant plus intense que nous sommes "intéressés" aux êtres dont il s'agit et qu'ils nous sont proches. Le problème, parmi tant d'autres, est que ce sentiment n'a rien de général et d'universel, qu'il n'a rien d'obligatoire, de sorte qu'aucune norme prescriptive ne peut être tirée d'un sentiment qui ne saurait être exigé.
    Il reste cependant que le sens commun estime, à juste, que quiconque est dénué d'empathie au spectacle de la souffrance et de la détresse de ceux qu'il rencontre sur son chemin - on songe, bien sûr, à la célèbre parabole du "Bon samaritain" dans l'Evangile de Luc (10, 25-37) - témoigne d'une sorte de déficience morale qui n'est pas simplement un handicap mais une faute. Sans compter que cette déficience du sentiment d'empathie ouvre la porte à tous les crimes. N'est-ce pas précisément de cela dont manquaient les Nazis à l'égard de leurs victimes ?
    Une philosophie morale qui excluerait tout de qui relève de la sensibilité tombe dans une conception des devoirs que marque un formalisme ou un rationalisme trop abstrait. Car enfin on ne serait guère porté à considérer comme vraiment "moral" un homme qui n'agirait que par contrainte et discipline, alors que son "coeur" resterait désespérement froid. Nous serions au mieux porter à louer les efforts qu'il fait pour surmonter son égoïsme ou son indifférence, mais nous ne saurions voir en lui l'exemple d'une humanité morale accomplie.
    Est-on cependant condamner à opposer ces deux versants de la philosophie morale, l'un "rationaliste", l'autre "sentimentaliste", l'une qui souligne ce qui, en nous, relève d'une spontanéité naturelle à secourir et à venir en aide, l'autre qui met l'accent sur la représentation de la loi et la discipline à suivre ?
    On voit bien ce que cette présentation a d'excessivement antinomique. Comme toutes les exclusions trop rigoureuses, elle manque la vérité qui est dans l'entre-deux. S'il est vrai que nous approuvons une action désintéressée, généreuse, qui procède d'un élan sans calcul, presque immédiat, nous entendons aussi qu'elle ne soit pas dénuée de réflexion, nous voulons aussi qu'elle convienne à la situation présente et qu'elle réponde à des valeurs qui s'imposent lors même que cette spontanéité ferait défaut, en sorte que telle action puisse être approuvée par un "spectateur impartial", c'est-à-dire par nous-même tel que nous nous verrions dans le regard objectif d'un autre (c'est là une idée centrale chez Adam Smith). De même, nous n'acceptons pas que le bien doive être réservé et restreint à ceux dont nous sommes proches - nos enfants, nos amis, nos concitoyens, etc : il est des obligations de nature morale qui doivent être respectées à l'égard de tout homme quelqu'il soit.

    mardi 21 juillet 2009

    Avignon, 2009










    Nancy Huston et votre serviteur avant notre débat au Théâtre des Idées en Avignon, le 19 juillet 2009. Bras dessus, bras dessous, au sens propre comme au figuré, tant de choses nous rapprochant spirituellement et intellectuellement. "Quelquefois, il y a des sympathies si réelles que, se rencontrant pour la première fois, on semble se retrouver". Rarement ai-je eu l'occasion d'éprouver de façon si inattendue la justesse de ce mot de Musset.
    Au reste, le succès fut au rendez-vous : plus de 700 personnes présentes. La joie de rencontrer quelques lecteurs du Vernis fragile qui m'ont dit des mots touchants qui valent toutes les récompenses et que je remercie de tout coeur.

    samedi 18 juillet 2009

    Nancy Huston

    De tous les essais et romans de Nancy Huston que j'ai lus en préparation au débat que nous aurons aujourd'hui en Avignon, les plus beaux sont, à mes yeux, Professeurs de désespoir et Journal de la création (publiés chez Acte Sud dans la collection Babel). S'en dégage, entre autres thèmes, une apologie de la vie, dans ses heurs et ses malheurs quotidiens, qui se refuse aux postures nihilistes ou "négativistes", chères à de nombreux écrivains contemporains (de Cioran à Houellebecq en passant par Jelinek, Thomas Bernhard et d'autres), un éloge de la maternité et du corps (et donc de la féminité, mais qui n'a rien de "féministe"), de l'amour humain aussi dans ses diverses expressions. L'expérience personnelle, parfois très intime, de l'auteur s'accompagne d'évocations passionnantes de nombreuses grandes figures de notre tradition littéraire (sa culture, dans ce domaine est impressionnante). Dans la belle langue d'un écrivain authentique - ce qui n'est pas si fréquent aujourd'hui, reconnaissons-le - chaque ligne témoigne avec pudeur, mais parfois avec une fureur à peine contrôlée lorsqu'elle rencontre le discours de la haine de soi, de cet amor mundi qui la rend si proche, sur ce point du moins, d'Hannah Arendt. Quoique celle-ci n'ait pas eu d'enfant, la notion de "natalité", liée au miracle du commencement, détermine en effet profondément sa conception de la liberté humaine.
    Est-ce le privilège des femmes qui refusent de calquer leur existence sur la vision masculine du monde (à la différence de Simone de Beauvoir par exemple) de nous inviter à respecter la vie, à ne pas la détruire ni à la mépriser ou à la haïr, tout simplement parce qu'elles l'ont portée et qu'elles l'ont donnée ? S'il y a un thème qui traverse l'oeuvre de Nancy Huston - j'allais dire la chair de son oeuvre -, c'est bien celui-là. Ce n'est peut-être pas toujours une leçon de joie, mais c'est incontestablement une leçon de paix.
    Hannah Arendt fut victime un jour d'un grave accident de voiture qui la laissa entre la vie et la mort. Dans cet étrange état intermédiaire, elle eut, raconte-t-elle, à "choisir" entre partir ou rester ici-bas. Son existence lui parut alors assez belle et intéressante pour ne pas se précipiter vers le grand Voyage, et elle survécut. Cette question - la vie vaut-elle la peine d'être vécue - Rousseau l'aborda dans une fameuse lettre à Voltaire (qui date de 1756, si je me souviens bien) en réponse au pessimisme, presque désespéré, affiché dans le Poème sur le désastre de Lisbonne.
    Si ces références me reviennent à l'esprit en écrivant ces brèves lignes sur Nancy Huston, c'est parce que la tonalité existentielle qui traverse ses essais est, en dernier ressort, celle de la confiance, une confiance qui est ancrée dans la plus belle des joies qui nous soient réservées sur terre : l'amour que nous donnent nos enfants. En sorte que, non, tout ne se résume pas à l'absurde, au néant et au vide. Les professeurs de désespoir exercent une séduction d'autant plus grande qu'ils prétendent incarner le regard de la lucidité, mais l'intelligence de la vie ne saurait se satisfaire de ces imprécations, finalement assez factices. Voilà pourquoi il faut lire Nancy Huston.

    vendredi 17 juillet 2009

    Avignon

    Le journaliste du Monde Nicolas Truong a eu la gentillesse de m'inviter à un débat organisé par le Festival d'Avignon, dans le cadre du Théâtre des Idées, qui aura lieu demain, 19 juillet, avec la romancière et essayiste Nancy Huston, sur le thème "Héros et bourreaux". Le débat sera ensuite diffusé par France-Culture et sur le site de Télérama.
    N'étant jamais allé au Festival, c'est pour moi une première expérience que je vous raconterai le moment venu.

    jeudi 16 juillet 2009

    Hannah Arendt

    Hannah Arendt donna fort peu d'interviews télévisées. Celle qu'elle accorda à Roger Ferrara en 1974, un an avant sa mort, est donc d'autant plus précieuse. Elle y évoque brièvement certains des thèmes principaux de sa pensée politique : sa critique du nationalisme et de l'Etat-nation, son attachement à la pluralité des opinions, liée au refus d'une conception de la démocratie fondée sur le principe du vote majoritaire (conduisant à l'éviction des minorités), l'importance dans le système républicain des Etats-Unis de la Constitution, dont le premier but, explicitement poursuivi par les Pères fondateurs, est d'éviter l'apparition d'une tyrannie de l'exécutif.
    A l'époque, l'oeuvre d'Hannah Arendt était fort peu connue en France. Seul son livre Eichmann à Jérusalem avait été lu, ayant déclenché, ici comme aux Etats-Unis, une vive polémique, en particulier dans Le Nouvel Observateur, mais pour le reste, il fallut encore presque deux décennies pour que sa pensée soit reconnue comme étant l'une des plus importantes contributions à la philosophie politique du XXe siècle.

    dimanche 12 juillet 2009

    Mépris de la coutume

    Le coeur de la pensée libérale - ce courant est aujourd'hui si décrié qu'on peine à y regarder de plus près - est exprimé dans ces quelques phrases, tirées de De la liberté de John Stuart Mill (1859) :
    "J'ai dit qu'il était important de laisser le plus de champ possible aux pratiques contraires à la coutume, afin qu'on puisse voir en temps voulu lesquelles sont propres à passer dans la coutume. Mais l'indépendance d'action et le mépris de la coutume ne méritent pas seulement d'être encouragés pour l'opportunité qu'ils donnent de découvrir de meilleures façons d'agir et des coutumes plus dignes d'être adoptées par tous. Il n'y a pas que les gens dotés d'un esprit nettement supérieur qui puissent mener la vie qui leur plaît. Il n'y a pas de raison pour que toute existence humaine doive se construire sur un modèle unique ou sur un petit nombre de modèles seulement. Si une personne possède juste assez de sens commun et d'expérience, sa propre façon de tracer le plan de son existence est le meilleure, non parce que c'est la meilleure en soi, mais parce que c'est la sienne propre."
    L'ouvrage de John Mill est un plaidoyer vibrant qui défend le "droit" de chacun à mener son existence comme il l'entend, indépendamment, voire à contre-courant, des modes de vie établis ou convenus. Tout d'abord - et c'est la raison essentielle - parce que pour un libéral, il n'est pas de conception du bien ou de la vie bonne qui échappe à la pluralité des conceptions que s'en font les hommes et que la liberté et l'indépendance sont les seuls principes auxquels nous devons accorder une valeur absolue.
    La liberté, ainsi entendue, fait de l'individu un être originairement asocial, l'établissant dans son autonomie comme un "moi désengagé" (l'expression est de Michael Sandel). C'est sur cet aspect anthropologique que porte d'abord la plupart des critiques - dits "communautariens" - du libéralisme : poser le principe de cette primauté et de cette transcendance du "moi" est une illusion, ne serait-ce que parce que le moi dont il est question est lui-même historiquement et socialement inscrit dans un monde, une communauté précisément, qui le précède. Le défenseur de la doctrine libérale ne niera pas une telle inscription, mais il affirmera que le sujet peut toujours établir un rapport critique avec les allégeances, les coutumes et les normes sociales qui déterminent les fins de son existence. Selon les mots de John Rawls, "nous sommes à nous-mêmes nos propres sources de prétentions valides".
    Les éditions des PUF ont publié en 1997 un remarquable recueil d'articles consacrés à ce débat sous le titre Libéraux et communautariens.

    lundi 6 juillet 2009

    Exposition

    Lorsque Antoine Roux, Thomas Cristiani et Séraphim Ranson - associés sous le sigle VLF - m'ont demandé de rédiger un texte pour le catalogue de l'exposition, From Outer Space, qu'ils présentent à Aix-en-Provence, malgré l'honneur qui m'était fait, j'ai failli me dérober. Ecrire quelques mots généraux sur l'art abstrait, la sculpture d'inspiration cubiste, la signification de la perception esthétique d'un objet saisi dans ses découpes géométriques, eût été une manière de succomber à la facilité que ce travail interdisait d'emblée. Et cela d'autant plus qu'il s'agit de jeunes artistes, déjà animés par un sérieux, un sens de l'exigence et de la discipline qui imposent le respect. Non, décidément, je ne saurai pas être à la hauteur, me disais-je. Ce monde m'est étranger, comme il le sera sans doute pour nombre de visiteurs, ne serait-ce que parce qu'ils viennent de l'univers du graphisme et qu'ils posent aux outils technologiques dont ils se servent des interrogations théoriques qui ne nous sont pas familières.
    Et pourtant... au premier regard, cette étrangeté ne nous laisse ni indifférents ni perplexes, et elle n'est certainement pas faite pour choquer. Ces cubes assemblés en plans complexes et savants se tiennent dans une présence déroutante, énigmatique, qui n'est la représentation d'aucune réalité. Pas plus qu'ils ne font image, ne sont-ils l'expression de quelque subjectivité, abandonnée sans retenue à ses élans. Ils sont là, tout simplement, à la fois massifs et légers, porteurs silencieux d'un message qui nous échappe mais qui ne défie personne. S'adresse-t-il même à nous ? On n'en sait rien. Jouant de la lumière dans leur beauté sobre, comme des blocs tombés d'un ailleurs inexploré - de là le titre de l'exposition - ils nous invitent à une expérience ascétique du dépaysement qui ouvre à la méditation plus qu'au commentaire, pas même à la rêverie. On songe immanquablement aux sombres monolithes de 2001, l'Odyssée de l'espace de Stanley Kubrick. Libre variation des formes, mais pensée et donc tout sauf gratuite et arbitraire. Mettant en mouvement les facultés de l'esprit - la sensibilité, l'imagination et l'entendement - parce qu'on a le sentiment, plus intuitif que raisonné, que tout fait sens, s'ordonne dans une cohérence interne, quoiqu'elle se déploie en expressions diverses et multiples - volumes ou dessins - que les artistes font entrer en résonance et en réseau. Notre perception ordinaire est déplacée par des constructions qui ne désignent aucune réalité connue mais qui nous rappellent que toute perception sensorielle est, de toute façon et toujours, une construction mentale du réel. Cela ne signifie pas que le monde n'existe pas sans nous, mais qu'il ne nous est accessible que par le biais de médiations. Toutes n'ont pas pour fin de rendre le monde plus compréhensible, intelligible ou maîtrisable. L'art obéit à d'autres lois, qui lui sont propres.
    Le texte, remarquable, de Kim de Groot qu'on lira dans les pages suivantes du catalogue apporte de précieuses indications pour comprendre ce qui se joue dans ce travail d'une grande sophistication : en quelle manière les hypercubes s'inscrivent dans la tradition cubiste, quoique dans un sens plus radicalement conceptuel ; plus originalement encore, comment des images purement virtuelles et impossibles, produites par un logiciel informatique, se matérialisent dans des volumes concrets qui invitent à repenser le rapport entre réalité et virtualité.
    Mais l'oeuvre d'art, on le voit ici, n'est jamais réductible à la fabrication ni même à l'intention dont elle procède. Toujours, elle s'échappe dans une existence autonome qu'il appartient à chacun de saisir, sans jamais pouvoir se l'approprier. On peut ne rien connaître du monde dont proviennent ces jeunes créateurs et se sentir, néanmoins, pleinement à l'aise avec leurs oeuvres simples et impeccables. Si celles-ci nous touchent, nous intéressent, convoquent notre attention et engendrent en nous un véritable plaisir, c'est qu'elles existent en elles-mêmes, indépendamment de toute référence et connotation. Cela suffit !

    dimanche 5 juillet 2009

    From Outer Space

    La belle exposition "From Outer Space" des jeunes artistes Antoine Roux, Thomas Cristiani et Séraphim Ranson, qui vient d'être présentée avec grand succès à Rotterdam, pourra être appréciée à Aix-en-Provence (Galerie Alter Ego, 9, rue Aumône Vieille, du 9 au 31 juillet). Le vernissage aura lieu jeudi 9 juillet à partir de 19h.









  • www.virtualloveflash.com