Pour éclairer les débats contemporains, il est souvent bon de revenir aux textes fondateurs qui continuent de les inspirer et de les nourrir. Tel est le cas de la Lettre sur la tolérance publiée (en latin) par John Locke en 1689, alors qu'il s'était réfugié en Hollande. Cette courte lettre a durablement marqué la pensée libérale, depuis les Pères de la Constitution américaine jusqu'à Martha Nussbaum. La version d'origine est ici restituée dans la belle traduction française de Jean Le Clerc qui date de 1710.
Locke, écrivant en période d'intenses conflits religieux, montre, tout d'abord, combien la politique de persécutions et de conversions forcées, au nom de la vérité de la foi (alors même que ces questions « épineuses et délicates » ne peuvent être tranchées par la raison humaine) est tout à la fois contraire à l'enseignement pacifique des Evangiles, à la « méthode » employée par le Christ et les apôtres, en même temps qu'une telle politique est inutile, ne produisant, au mieux, qu'une adhésion de façade (un argument semblable sera employé par Pierre Bayle dans son Commentaire philosophique sur le "contrains-les d'entrer").
Locke en vient aussitôt à établir une distinction fondamentale entre « ce qui regarde le gouvernement civil » et ce qui « appartient à la religion », et les justes bornes dans lesquelles doit s'exercer leur autorité respective : « L'Etat, selon mes idées, est une société d'hommes instituée dans la seule vue de l'établissement, de la conservation et de l'avancement de leurs intérêts civils. J'appelle intérêts civils, la vie, la liberté, la santé du corps ; la possession des biens extérieurs, tels que sont l'argent, les terres, les maisons, les meubles, et autres choses de cette nature. Il est du devoir du magistrat civil d'assurer, par l'exécution impartiale de lois équitables, à tout le peuple en général, et à chacun de ses sujets en particulier, la possession légitime de toutes les choses qui regardent cette vie. » Il ajoute, pour bien délimiter les frontières de chaque « compétence » (civile et ecclésiastique) : « La juridiction du magistrat temporel se termine à ces biens temporels, tout pouvoir civil est borné à l'unique soin de les maintenir et de travailler à leur augmentation, sans qu'il puisse ni ne doive s'étendre jusques au salut des âmes. » La délimitation ici établie n'est pas entre la sphère privée et la sphère publique, puisque que les croyances religieuses et tout ce qu'elles impliquent de pratiques (cérémonies, par ex.), s'exercent dans l'espace public. La distinction porte sur la raison, la nature et la finalité du pouvoir politique, à savoir la garantie des grands intérêts – la sécurité, la liberté, la santé et la possession. De là vient que le pouvoir politique, l'autorité de l'Etat, soit bornée et ne puisse en rien s'exercer ni intervenir dans le domaine religieux et spirituel (qui n'a rien, notons-le, de réservé à la sphère privée, l'espace clos de la maisonnée). Pour autant que les citoyens ne portent pas atteinte à ces intérêts civils et qu'ils obéissent aux lois, l'Etat doit être respectueux à l'égard de leurs croyances et de leurs pratiques religieuses. Ce point est évidemment fondamental. Par conséquent, il n'appartient pas à l'Etat de protéger les valeurs d'une culture dominante qui seraient menacées par l'arrivée de populations pratiquant une religion étrangère. Les questions religieuses relèvent de la compétence de l'Eglise.
Voici comment Locke définit celle-ci : « Par ce terme, j'entends une société d'hommes qui se joignent volontairement ensemble pour servir Dieu en public, et lui rendre le culte qu'ils jugent lui être agréable et propre à leur faire obtenir le salut ». Ce qui importe pour Locke, c'est tout d'abord le caractère libre et volontaire de l'appartenance à Eglise avec laquelle il est par conséquent on est toujours libre de rompre (sans encourir de sanction de la part du pouvoir). Cette liberté est tout à fait essentielle dans l'ethos de la pensée libérale : « Il n'y a personne qui, par sa naissance, soit attachée à une certaine église ou à une certaine secte, mais chacun se joint volontairement à la société dont il croit que le culte est le plus agréable à Dieu. Comme l'espérance du salut a été la seule cause qui l'a fait entrer dans cette communion, c'est aussi pour ce seul motif qu'il continue d'y demeurer. Car s'il vient dans la suite à découvrir quelque erreur dans sa doctrine, ou quelque chose d'irrégulier dans le culte, pourquoi ne serait-il pas aussi libre d'en sortir qu'il l'a été d'y entrer ? » L'engagement religieux ne saurait donc être mis au compte d'une sorte de détermination culturelle ou sociale, liée à la naissance, à la famille etc., c'est un engagement de la conscience, qui laisse celle-ci toujours libre d'en changer. C'est ce caractère de liberté qui est essentiel pour Locke, la participation volontaire à l'origine de l'institution ecclésiastique, non le caractère purement privé de la croyance. Le culte de Dieu est un culte public. La question est alors de savoir si et dans quelles limites le pouvoir de l'Etat peut intervenir dans ce domaine.
« Le bien public, écrit Locke, est la règle et la mesure des lois ». Dès lors, « l'observance ou l'omission de quelques cérémonies ne peut faire aucun préjudice à la vie, à la liberté ou aux biens des autres ». En l'absence de telles conséquences préjudiciables pour la sécurité ou la paix civile - le même argument sera repris, en substance, par Nussbaum - l'Etat n'a aucun droit, aucune légitimité à intervenir en matière de pratiques religieuses, que celles-ci portent sur les prescriptions alimentaires, vestimentaires ou cérémonielles (par ex. dirions-nous la pratique publique de la prière). Ces prescriptions sont différentes selon les religions, le propre du christianisme étant d'avoir quasiment aboli toutes ces prescriptions, mais il n'en résulte pas que le pouvoir civil ne doive pas respecter d'autres coutumes et tout ce qu'elles impliquent. Il s'agit de là de questions qui sont, du point de l'Etat, « indifférentes » : « Le magistrat, n'ayant nul droit de prescrire à quelque Eglise que ce soit les rites et les cérémonies qu'elle doit suivre, il n'a pas non plus le pouvoir d'empêcher aucune Eglise de suivre le culte et les cérémonies qu'elle juge à propos d'établir ». Ainsi : « si l'envie prenait à quelque personne d'immoler un veau, je ne crois pas que le magistrat eût droit de s'y opposer ». Et il précise la raison de cet interdit : « Le devoir du magistrat est seulement d'empêcher que le public ne reçoive aucun dommage et qu'on ne porte aucun préjudice à la vie ou aux biens d'autrui ».Inversement : « Tout ce qui peut être dommageable à l'Etat et que les lois défendent pour le bien commun de la société, ne doit pas être souffert dans les rites sacrés des Eglises, ni mériter l'impunité ». Mais vient aussitôt la précaution à respecter : « Seulement, il faut que le magistrat prenne bien garde à ne pas abuser de son pouvoir et à ne point opprimer la liberté d'aucune Eglise sous prétexte du bien public » (souligné par moi).
Il y a pourtant des questions morales, par exemple celle des « bonnes mœurs », où le religieux et le politique, « la conscience et le magistrat » se rencontrent d'une façon éventuellement conflictuelle. Locke pose plus précisément la question de savoir ce qu'il en est « lorsque le magistrat ordonne des choses qui répugnent à la conscience des particuliers ». Locke pose, à cette occasion, un de ses grands principes que l'on peut mettre au compte de ce qu'appellerai volontiers une tolérance non accommodante : « alors chaque particulier doit s'abstenir de l'action qu'il condamne en son cœur, et se soumettre à la peine que la loi prescrit ». D'autres solutions plus respectueuses des exigences de conscience (par ex. l'objection de conscience) verront le jour. Pour Locke, la loi n'a pas à tenir compte de ces considérations, puisqu'elle n'a d'autre fin que le bien public, la garantie des intérêts civils et non le respect de toutes les implications des croyances dont il n'y a pas lieu de s'accommoder. J'emploie à dessein cette expression puisque vous savez que la politique québécoise s'efforce, au contraire, de chercher autant que possible, en matière religieuse, des « accommodements raisonnables ».
La seule limite que Locke (tout comme More d'ailleurs et pour de semblables raisons) établit en matière de tolérance religieuse est à l'égard des athées : « Ceux qui nient l'existence d'un Dieu ne doivent pas être tolérés parce que les promesses, les serments, les contrats et la bonne foi, qui sont les principaux liens de la société civile, ne sauraient engagés un athée à tenir sa parole ». Un argument qui est en réalité purement machiavélien (Machiavel soutenant que la religion est nécessaire au respect des engagements). Mais pour le reste, c'est bel et bien le principe de tolérance, de distinction des ordres et des compétences et de respect de la pluralité des conceptions religieuses, qui doit s'imposer.
11 commentaires:
En France, depuis 1905, il y a eu séparation de l'Eglise et de l'Etat et la République française n'est pas une théocratie, c'est une République laïque, donc elle doit accepter la liberté philosophique, morale et religieuse des individus, dans la mesure ou ceux -ci au nom de celles là ne font pas de prosélytisme dans le cadre des institutions.
Quant au cas des athées ou des libres penseurs, ceux ci peuvent être engagés dans le contrat, pour des raisons morales et des raisons d'honneur, et les croyances, la foi ne sont pas forcément garantes du bon fonctionnement d'un contrat.
L'heure ne devrait plus être aux croisades, mais à des relations de Raison, pacifiées, et non pas d'arguments fallacieux (souvent) d'une sensibilité exacerbée.
(Un commentaire qui ne surprendra pas trop...)
Si vous me permettez, il y a un oubli dans votre billet : John Locke exclut aussi les catholiques puisque ces derniers, obéissant au Pape, constituent (constituaient) une menace pour la sécurité de l’État. Certes, aujourd'hui l’Église catholique est rentré dans les rangs... Mais en va-t-il de même pour d'autres religions ? Le but d'un État, effectivement, n'est pas de favoriser une culture au détriment d'une autre. Mais attention : la culture, ce n'est pas simplement une façon de s'habiller ou de manger, c'est aussi un ensemble de valeurs. Et toutes les valeurs ne se valent pas - sans quoi vous devrez accorder à un nazi la même légitimité qu'à un républicain. La vraie question est donc : peut-on tolérer ce qui n'est pas lui-même tolérant ?
Je voudrais donner ici un exemple : l’Église primitive. Sans doute que, si nous avions vécu à l'époque, nous-autres aurions brandi les bons sentiments pour leur offrir la tolérance religieuse... Et pourtant, dès que l’Église obtint le pouvoir, que devint-elle ? Une institution mortifère. Certes, l’Église a apporté du bon, ce n'est pas moi qui le nierais. Je veux simplement dire qu'un phénomène religieux est toujours dangereux car imprévisible. Finalement, les romains avaient vu juste. Ne devrions-nous pas retenir les leçons du passé ? Il ne faut pas catégoriser évidemment. Mais il suffit d'observer les pays musulmans pour se poser la question suivante : et si l'Islam devenait majoritaire en France, se produirait-il la même chose que là-bas ? Exemple : dans nos pays (
Belgique notamment), des partis musulmans se constituent (grâce à la démocratie...) et prévoient dans leur programme l'instauration de la charia. Je pense que si l'Europe veut affirmer ses valeurs, elle devra montrer les limites de sa tolérance... car une tolérance tolérant l'intolérable est une contradiction dans les termes.
Depuis l'affaire de la crèche Baby Loup, les choses balancent d'avant en arrière dans mon esprit: spontanément, j'ai pensé que rien de grave ne se passerait dans la vie d'un enfant qui aurait été habillé, mouché, etc. par une femme portant un voile; mieux, un petit qui côtoie de gens dont l'appartenance religieuse se devine d'après leur apparence saurait bien vite ignorer cette particularité pour ne voir que l'âme et le cœur de ces personnes. Mais j'ai lu un article dans le magazine Causette et il apparaissait alors que la directrice de la crèche tenait du bout des bras son établissement grâce au principe français de laïcité... depuis je me questionne.
Ce qui m'apparait pourtant, en lisant ton commentaire Mathieu, lorsque que tu finis par regretter que les partis musulmans se constituent grâce à la démocratie, je ne suis pas d'accord. Car la façon d'écraser les partis dont tu parles (à juste titre comme intolérables) n'est pas, à mon sens, de les interdire et de fixer alors une limite à la tolérance envers eux, mais au contraire de les combattre avec les armes de la République et de la laïcité, c'est-à-dire, avec des idées.
Mieux encore, il faut que notre République soit exemplaire du point de vue de la liberté d'expression, et qu'elle permette enfin aux partis politiques quels qu'ils soient, d'avoir des représentants au sein des institutions pour débattre, exposer leur bonnes idées, mais surtout les mauvaises, afin de les voir laminer par la raison, et surtout, par une majorité réellement représentative, avec toutes les difficultés que porte en elle la recherche de la représentativité.
Merci Michel pour votre approche peu attendue du problème.
PS: je ne crois pas que la manifestation d'un culte soit plus dangereuse que l'abondance des styles que véhiculent toutes les modes en ce monde (je pense ici à la maigreur prônée par les magnas de la haute-couture, ou par la pornographie qui fait reculer le droit des femmes).
Bonjour Emmanuel !
C'est justement là que se trouve le problème : dans l'opposition entre l'idée et le réel. J'ai longtemps pensé que l'on pouvait mener des combats idéologiques, faire raisonner les gens à l'aide d'arguments solides... Mais mon expérience m'a montré que ce n'était qu'un doux rêve. Le troupeau (c'est-à-dire 85 % de la population mondiale) n'a que faire de la raison. C'est même le contraire : plus l'on fait preuve de justesse dans le raisonnement, moins on est aimé. Il faut donc diriger avec fermeté... C'est pourquoi je me qualifie moi-même de "gaulliste de gauche", bref, à droite dans la tête et dans l'action, mais à gauche dans l'âme. D'ailleurs, il est intéressant de noter que dans le cours de Michel Terestchenko de Licence 3, Herder y est introduit dans le cadre de la présentation de son concept de "raison nationale"... L'identité n'est dans le fond qu'un moyen. Si le monde n'était fait que de philosophes, alors ces débats n'auraient pas lieu d'être. Il n'y aurait ni frontière ni "populisme" ; la planète ne serait qu'un immense terrain vague où tous vaquerions à des occupations nobles. Mais voilà, l'humanité est faite de bœufs.
Merci Emmanuel, et à bientôt !
où nous tous vaquerions...
Vous savez, cher Mathieu, considérer 85% de la population mondiale comme un "troupeau" n'est vraiment pas digne du niveau auquel nous nous efforçons de maintenir le débat.
Quant à l'argument de Dominique, la confiance dans la capacité de penser par soi-même, le fait de ne pas prendre les êtres pour des enfants (moins encore évidemment comme des moutons), il est central dans l'argumentation libérale contre la censure et la limitation de la liberté d'expression. On peut le juger "naïf", ses défenseurs ne sont pourtant de doux rêveurs, déconnectés du réel. Disons que c'est un pari. Et, à mon sens, il vaut faire celui-ci que tenir les êtres dans le mépris, ce qui est, pour moi, aussi injustifié qu'inacceptable.
Cher Michel Terestchenko...
Parler de troupeau ne semble méprisable que si l'on méprise déjà les animaux et donc les troupeaux. Pour moi, troupeau signifie mode de vie simple (manger, dormir, se reproduire...) C'est au fond le mode de vie auquel on aspire tous. Je considère même que c'est plutôt la raison qui est comme un parasite dans l'humanité (rejoignant ainsi Nietzsche et Schopenhauer, deux de mes grandes références après Spinoza). C'est pourquoi je dévalorise plus la raison que je n'en fait l'apologie. La raison, ce n'est qu'un instrument. C'est peut-être ma dernière phrase qui vous a un peu mis mal à l'aise ("boeufs"). Mais je crois sincèrement que c'est la vérité. Les hommes se soucient avant tout de leur ventre, ne pas lereconnaître est dangereux. N'est-ce pas, au fond, l'une des leçons que vous aviez présentée dans le cours sur Mill ?
Ps pour Manu : pour la pornographie (on en avait déjà parlé) je la trouve aussi dégradante pour l'homme que pour la femme. Attention à ne pas victimiser la femme dans ce qui est un phénomène collectif et permet aux individus d'assouvir des fantasmes inaccessibles dans la réalité... La pornographie est un moindre mal : sans elle, le nombre de viol atteindrait des records. Enfin je crois.
Non, cher Mathieu, ce que vous dites là est tout le contraire de l'enseignement de Mill, même s'il est vrai qu'il fait une distinction entre les plaisirs nobles de l'esprit et les plaisirs vulgaires. Il n'en résulte pas qu'il voit dans l'humanité une sorte de troupeau grégaire (une expression dont la tonalité négative serait sauvée par un respect pour les animaux).
Il y a bien des manières de s'en prendre aux prétentions de la raison, chez Pascal par exemple : "Deux excès : exclure la raison, n'admettre que la raison" ou encore chez Kant. Quant à considérer que la raison est de nature purement instrumentale, c'est un sujet vaste que nous laisserons de côté pour l'heure.
Penser que les hommes s soucient d'abord et avant tout de leur ventre, c'est la leçon terrible du Grand Inquisiteur, mais avec quel amour la proclame-t-il face au Christ qui garde le silence. De toute façon, il y a d'autres manières de l'entendre, dès lors qu'il y a des circonstances ou, en effet, une paire de bottes comptent plus qu'une pièce de Shakespeare.
Juste pour finir sur ce sujet (pour ma part). Je ne sauve pas mon propos avec l'amour des animaux (voyez la photo en profil, ainsi que les propos que j'avais tenu récemment sur l'animalité de l'homme, et l'innocence d'une telle animalité). Comme je l'ai encore dit au sujet de l'amour désintéressé : il n'y a pas de différence entre l'égoïste et l'altruiste : tous deux jouissent à leur manière. Je crois que la confusion vient de ce que vous projetez sur mes mots vos propres définitions (pour moi, penser à son ventre avant tout n'est pas "vulgaire", mais naturel et innocent.) Comme Spinoza, je traite des passions sans en rire et sans en pleurer. (Je diffère de lui sur le statut de la raison, mais trop long à expliquer ici). Par noblesse je n'entends pas autre chose que la capacité à dépasser les plaisirs primaires, mais le noble est encore un jouisseur. Vous voyez, nous n'avons pas les mêmes définitions, c'est pourquoi - enfin je crois - nous avons un peu de mal à nous accorder... Car, vraiment, je ne considère pas le "troupeau" comme un terme péjoratif (c'est vous qui me prêtez ces intentions) mais comme un terme à la fois neutre (l'homme tel qu'il est vraiment) ou ACCIDENTELLEMENT triste (les conséquences éventuelles d'une telle passivité). Ceux qui me connaissent savent combien j'exalte dans mes productions écrites (je parle de mes activités personnelles) le retour à la nature ; l'extinction de la raison au profit d'une contemplation béate - la vie embryonnaire - du divin (car à mon sens, la nature ne s'oppose pas à la Grâce). Au fond, votre critique me fait un peu penser à ce que Nietzsche dénonçait déjà : l'ascétisme, le mépris de la chair et de la spontanéité qui caractérise l'homme. En ce qui me concerne, l'animalité de l'homme ne me pose aucun problème.
Moi non plus, l'animalité ne me pose aucun problème, cher Mathieu. C'est simplement qu'il faut prendre beaucoup de précaution lorsqu'on emploie des mots ou des expressions (comme celle de troupeau) qui son fortement connotés et qui peuvent prêter à malentendus. Au fond, c'est une manière de prendre soin de son lecteur, de ne pas le heurter. Personnellement, je tiens beaucoup à ces précautions.
Il m'apparait étrange tout de même, ce libéralisme qui s'abstient de se mêler de métaphysique pour autant que cette métaphysique soit habitée par l'option religieuse. L'Etat ne se mêle pas des manifestations cultuelles qui relèvent du salut des âmes, bon Prince il les tolère toutes… Sauf celle qui renonce au salut de l'âme. Bon ou mauvais, le Prince de Machiavel abonde dans ce sens en invoquant la sécurité juridique. Car les athées n'auraient pas de parole.
Donc pas de tolérance pour les athées.
De ce seul fait ce libéralisme ne peut affirmer que sa juridiction s'arrête aux biens temporels, il est à mon sens pire encore que l'absolutisme qui étend son empire aux options métaphysiques car en se proclamant libéral il est en réalité intolérant de la pire des intolérances, celle qui discrimine ses victimes en fonction de leur proximité à la vérité du Prince. Curieuse similitude avec l'Islam qui lui aussi condamne plus durement les sans-dieux que les adeptes d'une religion différente.
Quant à l'argument machiavélien, il est facile à retourner : ne commet-on pas les pires crimes contre l'humanité sous le couvert de la foi ? L'athée n'est-il pas davantage en prise direct avec l'éthique de son for intérieur que le croyant qui se voit obligé de préférer le décret divin à son sentiment de justice ?
Je n'ose imaginer les persécutions envers les athées, justifiées par le besoin de sécurité juridique, qui résulteraient de la mise en pratique de la lettre sur la tolérance.
Dominique
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