On se forme l'esprit et le sentiment par les conversations, Pascal

samedi 26 octobre 2013

Les très tristes heures d'Alain Finkielkraut

Il est de grands et de beaux livres nostalgiques, tel Le monde d'hier de Stephan Zweig qui célèbre la Vienne d'avant la guerre de 1914, où régnaient encore la stabilité et les prérogatives de l'esprit, mais ces livres ne regardent pas ce passé révolu avec un profond ressentiment à l'égard du présent. On peut regretter, avec Benjamin Constant, ces temps « où la terre était couverte de peuplades nombreuses et animées, où l'espèce humaine s'agitait et s'exerçait en tous sens, dans une sphère proportionnée à ses forces », tout en affirmant : « Ces temps ne sont plus. Les regrets sont inutiles ». On peut encore se désoler, avec Adam Smith, que l'esprit chevaleresque ait cédé la place, dans nos sociétés industrieuses, à l'esprit de commerce et d'épargne tout en reconnaissant les vertus pacificatrices du marché. Il y a dans le dernier livre d'Alain Finkielkraut, L'identité malheureuse [1], de fort belles pages qui relèvent de cette nostalgie, lorsqu'il célèbre la tradition française de la galanterie, cet hommage rendu à la féminité, et nous rappelle au respect des codes sociaux de la civilité et de la courtoisie auxquels tenaient tant les hommes du XVIIe siècle, de Bathalzar Gracian à La Rochefoucauld. On peut encore souscrire, sans trop de peine, au regret qu'il éprouve, avec Hannah Arendt, pour ces temps où l'autorité des maîtres était respectée, où la haute culture, littéraire, philosophique, historique, se transmettait dans une fidélité admirative envers les grands anciens – et là, il faut remonter historiquement très loin en arrière.
S'en serait-il tenu à ces thèmes qui le tourmentent depuis des décennies, depuis La défaite de la pensée jusqu'aux sujets de son émission Réplique sur France-Culture, Finkielkraut resterait nimbé de cette aura qui entoure l'admirateur des ruines et l'on pourrait accueillir ses soupirs avec sympathie. Mais le réquisitoire auquel il se livre de ce qu'est devenue la société française anéantit bientôt cette disposition bienveillante. Ce n'est pas tant le style de l'argumentation qui suscite une exaspération croissante que l'absence même d'argumentation et l'outrance de certaines formules sur des sujets qui mériteraient pourtant d'être abordés avec attention et délicatesse. L'auteur, dit-on, est philosophe, mais ce n'est pas en philosophe qu'il raisonne, parce qu'il ne raisonne pas. Il affirme et constate et ne constate que ce qu'il veut bien voir. Trente ans à tourner à satiété autour de ces préoccupations auraient pu donner enfin le grand livre discutable qu'on attendait. Il n'en est rien.

Les pages qu'il consacre à la laïcité reviennent, il fallait s'y attendre, sur l'affaire du voile islamique. Peut-on admettre qu'une jeune française, de confession musulmane, choisisse volontairement de porter ce signe religieux ? Non, c'est une diabolisation d'elle-même qu'elle valide mais que nous n'avons pas à accepter.[2] J'ai frémi à la lecture de ce passage. Tel jeune manifestant musulman proclame devant les caméras qu'il demande seulement que l'école soit "à l'image de la société" et le voilà aussitôt taxé de "fanatique".|3] Inutile d'apporter ses raisons, la sentence tombe sans qu'on puisse la discuter (aucune référence n'étant jamais donnée, il est impossible d'aller vérifier par soi-même l'exactitude des propos et des citations). Ce n'est pas ainsi qu'on argumente sérieusement, ni surtout qu'on forme à la réflexion critique. L'auteur fut pourtant longtemps professeur à l'Ecole Polytechnique, une des plus belles écoles de la République. Et le reste est à l'avenant.
Dans l’émission La grande table du 14 octobre sur France Culture, Raphaël Liogier pointait face à Alain Finkielkraut une erreur factuelle qu’il interprète comme un "lapsus révélateur" de l’esprit dans lequel le livre a été écrit. Il s’agit de la campagne du Collectif Contre l’Islamophobie en France (CCIF) lancée en automne 2012, évoquée avec inquiétude dans le livre à la page 115 ; campagne qui aurait été un succès, diffusée par des affiches sur lesquelles on pouvait lire : « La nation, c’est nous ». Le slogan écrit sur les affiches disait, en réalité, tout autre chose et de très différent : « Nous aussi sommes la nation », l'adverbe étant intercalé en rouge par un signet entre les mots de la célèbre formule. Il ne s’agissait pas de s’approprier la nation, mais de rassurer, de dire le désir de participer à son aventure. Cette phrase figurait d’ailleurs sur la fameuse peinture du « Serment du jeu de paume », symbolisant par excellence la nation française ; peinture qui avait été habilement modifiée pour que l’on y voit des personnes à l’évidence juives, d’autres musulmanes, certaines noires, d’autres blanches, certaines jeunes, d’autres plus âgées, etc. Bref, l’affiche se voulait avant tout apaisante, une sorte de plaidoyer pour l’intégration harmonieuse des différentes composantes de la nation.



L’autre erreur, qui se superpose à la première, est de dire que cette campagne fut un succès, alors qu’elle a été, ajoute Raphaël Liogier, mise en échec dès le début, les affiches ayant même été interdites dans le métro à la grande stupéfaction des organisateurs. Ainsi que le remarque Liogier, le lapsus de Finkielkraut n’est pas une simple erreur factuelle mais "le symptôme d’une angoisse de l’encerclement" lui donnant une vision altérée de la réalité : c'est la défaite de la pensée face à l’émotion. Ignorance ou malhonnêteté intellectuelle, peu importe la cause, la fausseté du propos est grave et inacceptable ; erreurs de fond également et qui témoignent d'une étonnante tendance à la simplification des idées.
La pensée libérale, qu'est-ce donc ? Une idéologie de « bobos », de nature essentiellement sceptique, en tous points opposée aux principes de la laïcité républicaine |4]. En quelques mots, bien frappés, tout est dit et il n'y aurait rien à ajouter sur le sens de la liberté selon les Modernes. Benjamin Constant et Tocqueville sont convoqués, mais quiconque connaît ces penseurs ne retrouve rien de la profondeur de leurs analyses et celui qui ne les connaît pas - la majorité sans doute des lecteurs - n'apprend tout simplement rien. La démocratie ? Le gouvernement du peuple par le peuple – la définition est pauvre – une dynamique historique qui vise "l'effacement des frontières et le nivellement des différences" [5] – et là, ce n'est pas tant l'indigence de la définition qui est en cause que son caractère formidablement étroit. A aucun moment, la parole n'est laissée à ce qu'auraient à répondre les partisans d'une conception différente de l'intégration, telle la conception libérale que, de toute évidence, Alain Finkielkraut honnit.

Il est totalement faux d'affirmer que la pensée libérale est par nature sceptique, ne serait-ce que parce qu'elle repose tout entière sur le respect des droits humains fondamentaux et la valeur inconditionnelle de la dignité humaine. Un respect qui s'étend jusqu'aux croyances et aux pratiques religieuses des individus, sur lesquelles l'Etat n'a pas à se prononcer, dont il doit même, pour certains auteurs, telle Martha Nussbaum, promouvoir avec bienveillance la libre expression, dès lors qu'elle ne porte pas atteinte aux « intérêts civils », pour parler comme Locke. On est parfaitement en droit de ne pas être libéral, de préférer le modèle assimiliationniste au multiculturalisme, mais encore faut-il expliquer ce qu'est le multiculturalisme – à peine évoqué, Charles Taylor passe comme une ombre - et les raisons qui vous font rejeter ce type de politique publique. Il existe de puissantes critiques de la vision libérale de l'individu et de la conception libérale du lien social. Depuis plus d'une quarantaine d'années, elles nourrissent, outre-Atlantique surtout, de formidables débats, extrêmement construits et argumentés, dont nous sommes ici cruellement privés, soit qu'ils soient sans intérêt soit qu'ils n'aient rien à nous apporter, dès lors que le multiculturalisme est une expression du "politiquement correct" [6], ce qui est une affirmation idéologique tellement réductrice qu'elle en devient dérisoire.

Enfin, la crise de l'autorité que connaîtraient les professeurs, en particulier dans certaines banlieues, les "territoires perdus de la République", rendant la pratique de leur métier impossible. Le fait est avéré, sans nul doute. Mais suffit-il pour traiter de cette question, et plus largement de la violence dans le monde éducatif, de citer trois livres de témoignage et d'ignorer superbement les travaux qui ont été menés par les spécialistes de ces questions, tel Eric Debarbieux, qui tentent d'en comprendre les causes et d'y apporter des solutions* ? Il est vrai que Finkielkraut n'aime pas les experts qui, calculette et chiffres abstraits à la main, nous coupent de la « chair du réel ». Nous qui avons lu les analyses de Raphaël Liogier** sur le populisme sommes avertis de prendre avec la plus grande prudence ce genre de propos.

Si la civilisation française est en péril, si l'alarme doit être sonnée, tant la situation est grave, sans qu'on sache exactement quel est ce "pire qui nous menace de nouveau" [7] - rien dans ce constat ne se rapporte à la grande désolation qui traverse le corps social, l'immense souffrance liée à la précarité croissante, au chômage de masse, etc. Pas une ligne, pas un mot sur les raisons économiques et sociales de la crise du "vivre-ensemble". Ou plutôt un rejet radical de ce type d'analyse, mise au compte d'une complaisance indécente, "l'alibi offert par la critique sociale à l'ensauvagement du monde" [8]. Qu'est-ce là, sinon, au bout du compte, une absence totale d'attention aux conditions de vie effective des hommes, pire : un défaut d'imagination, de compassion même, qui est, inséparablement, un défaut d'intelligence. A quoi s'ajoute une sorte de misologie rampante lorsque Finkielkraut nous invite à nous fier à nos sens plutôt qu'à la science [9]. Rien de ce que les études savantes nous apprennent ne semble compter, seul doit être dénoncé, comme la cause ultime du désastre, le renoncement, plus ou moins masochiste, à notre identité patrimoniale dans une situation de "choc des civilisations" [10] où l'Europe est devenu un "continent d'immigration" [11}. Que la pluralité puisse être une source d'enrichissement, autant personnel que collectif, et de créativité est le type même de ces idées bien pensantes qui nous égarent. L'ouverture à l'autre est, selon Finkielkraut, une sorte de slogan béat qui se paye, particulièrement en France, du mépris de soi et du renoncement à notre propre tradition. On peut partager cette inquiétude qui, de fait, n'est pas sans raisons, mais elle est présentée de façon si unilatérale, si peu nuancée, qu'elle se perd dans l'excès. Il ne suffit pas d'utiliser à son profit Pascal et la distinction des ordres [12], il aurait fallu également prendre au sérieux la règle qui est au cœur de sa méthode : "On ne peut faire une bonne physionomie qu'en accordant toutes nos contrariétés"[13]. Le rappel des propos tenus par Claude Lévi-Strauss à la fin de sa conférence, Race et culture, à l'UNESCO en 1971, ne suffit pas à dissiper les malentendus, puisqu'ils ne vont nullement dans le sens de l'intention qu'Alain Finkilekraut leur prête[14]. Est-il besoin de souligner qu'il n'est nullement inscrit dans le marbre que la reconnaissance de l'altérité exige le sacrifice de sa propre identité. Un des principes de base de la conception interculturaliste est, au contraire, que l'accueil et le respect des minorités ethniques et religieuses par la culture hôte doit se faire dans la préservation de son héritage, de ses valeurs fondatrices et de son identité.

Je laisserai les derniers mots au sociologue québécois, Gérard Bouchard, qui présente de façon très juste, dans la préface à son livre, L'interculturalisme [15], le défi auquel sont confrontées les démocraties modernes : « C’est un défi qui pourrait se résumer comme suit : comment arbitrer les rapports entre cultures d’une façon qui assure un avenir à la culture de la société hôte, dans le sens de son histoire, de ses valeurs et de ses aspirations profondes, et qui, en même temps, accommode la diversité en respectant les droits de chacun, tout particulièrement les droits des immigrants et des membres des minorités, lesquels, sous ce rapport, sont ordinairement les citoyens les plus vulnérables. C’est là, comme on sait, une des dimensions de l’immense travail de réaménagement des sociétés modernes depuis quelques décennies dans le but de briser les marginalités,de réinventer la démocratie et de rééquilibrer les rapports de force entre classes, genres, générations et régions, le tout dans un contexte de mondialisation. ". Cette démarche équilibrée, profondément inscrite dans les idéaux politiques de nos démocraties libérales tout en tenant compte de leur évolution, est bien plus féconde que celle adoptée par Alain Finkielkraut qui, plus triste que nostalgique, est surtout sans avenir.
Si la critique de son livre doit être sérieuse et attentive, ce n'est pas tant en raison de ses qualités intrinsèques que de la place médiatique qu'occupe son auteur. Là réside sa force. On ne saurait formuler de compliment moins flatteur.
En guise d'antidote, et pour s'offrir une bouffée de chaleur colorée et joyeuse, pourquoi ne pas relire La vie devant soi de Romain Gary ? Sûr que nous sommes là dans un univers dangereusement bigarré où "rien n'est blanc ou noir, le blanc c'est souvent le noir qui se cache et le noir, c'est parfois le blanc qui s'est fait avoir". Autour de Momo, ce nouveau Gavroche, c'est la mixité à tous les étages. Le Grand Remplacement. L'horreur en somme.

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1. Stock, Paris, 2013
2. p. 54.
3. p. 40.
4. p. 55.
5. p. 214.
6. p. 210.
7. p. 83, souligné par moi.
8. p. 198.
9. p. 110.
10. p. 176.
11. p. 213.
12. p. 41.
13. Pensées, frag. 684, édition Brunschvicg.
14. Voici ce que déclarait Claude Lévi-Strauss à la fin de son allocution : " Or, on ne peut se dissimuler qu'en dépit de son urgente nécessité pratique et des fins morales élevées qu'elle s'assigne, la lutte contre toutes les formes de discrimination participe de ce même mouvement qui entraîne l'humanité vers une civilisation mondiale, destructrice de ces vieux particularismes auxquels revient l'honneur d'avoir créé les valeurs esthétiques et spirituelles qui donnent son prix à la vie et que nous recueillons précieusement dans les bibliothèques et les musées parce que nous nous sentons de moins en certains d'être capable d'en produire d'aussi évidentes.
Sans doute nous berçons-nous du rêve que l'égalité et la fraternité régneront un jour entre les hommes sans que soient compromises la diversité. Mais si l'humanité ne se résigne pas à devenir la consommatrice stérile des seules valeurs qu'elle a su créer dans le passé, capable seulement de donner le jour à des ouvrages bâtards, à des inventions grossières et puériles, elle devra réapprendre que toute création véritable implique une certaine surdité à l'appel d'autres valeurs, pouvant aller jusqu'à leur refus sinon même à leur négation. Car on ne peut à la fois se fondre dans la jouissance de l'autre, s'identifier à lui, et se maintenir différent. Pleinement réussie, la communication intégrale avec l'autre condamne, à plus ou moins brève échéance, l'originalité de sa et de ma création. Les grandes époques créatrices furent celles où la communication était devenue suffisante pour que des partenaires éloignés se stimulent, sans être cependant assez fréquente et rapide pour que les obstacles indispensables entre les individus comme entre les groupes s'amenuisent au point que des échanges trop faciles égalisent et confondent leur diversité." Ces remarques ne vont nullement dans le sens d'une justification de politiques publiques qui interdiraient activement les pratiques de certaines minorités. Elles réclament un droit à la mise à distance, un droit à être soi contre la tendance à l'uniformisation, parfaitement compatible avec l'idéal libéral de respect des différences. Je remercie Raphaël Liogier de m'avoir éclairé sur ce point.
15. Editions du Boréal, 2012.

*Voir notre précédent billet : "Violence et vulnérabilité, un nouveau paradigme pour l'école".
** Ce populisme qui vient, Textuel, 2013. Voir notre précédent billet de présentation du livre de Raphaël Liogier.

7 commentaires:

Descharmes philippe a dit…

Pour ce qui concerne la laïcité, elle ne doit plus être comprise comme celle des "hussards noirs" de la République anti cléricaux et jusqu'au boutistes dans ce cadre. L'heure est à la mondialisation, pas à une revanche de valeurs passéistes et la France pratique de nombreux échanges économiques et culturels avec les autres pays. On peut critiquer ceci, mais c'est effectif.
C'est pourquoi la laïcité doit être redéfinie dans un mélange d'acceptation des cultures et de différentes pratiques culturelles et religieuses apaisées, pour ne pas faire le lit d'un populisme de la préférence nationale. Nous ne pouvons accepter d'être rétrogrades sur cette question. Simplement (et peut être n'est-ce pas si simple), il importe que les modèles proposés ne s'imposent pas dans la sphère publique ( les institutions doivent garder une neutralité) afin d'éviter de "gommer" la pluralité.
Je voudrais aussi revenir sur l'école et l'autorité du professeur: les circonstances économiques et sociales ont fait que l'ascenseur social fonctionne de moins en moins, que les études faites par les élèves et étudiants ne leur offrent plus forcément de débouchés dans leurs compétences. Mais il y a aussi une désacralisation de l'école pour son public; au cours de ma carrière , j'ai entendu de nombreux élèves se moquer (c'est un euphémisme !)de bons élèves en les traitant "d'intellos". Autrefois ces derniers étaient pris pour modèles, le professeur était aussi le modèle du détenteur du savoir et de la connaissance, et comme ceci perd son effet, il y a perte d'autorité probablement du professeur.
Ceci nous fait revenir au multiculturalisme, car dans des classes hétérogènes, il faut se demander ce que l'on veut comme acquis, et surtout si l'une des valeurs essentielles ne doit pas être le "vivre ensemble".

MathieuLL a dit…

Je dirai juste une chose sur ce sujet, et après j'arrêterai (pour ne pas jouer le rôle du rabat-joie de service). Et toujours le même cheval de bataille : la tentation idéaliste autour de l'immigration, du multiculturalisme, etc. Petit rappel fondamental : l'extrême majorité des 200 000 immigrants (en France) qui viennent chaque année est constituée de gens pauvres. Ce ne sont pas, sauf quelques rarissimes exceptions, des ouvriers qualifiés, des techniciens, des avocats ou que sais-je. Or toute "maison" a ses limites : comment peut-on encore accueillir aussi massivement (je dis bien massivement) des gens qui, on le sait, viendront grossir le rang des chômeurs et/ou des assistés ? Quand il y en a pour deux, il y en a pas forcément pour trois. C'est du pragmatisme (certains parlent allégrement de racisme... mais laissons-les à leurs hallucinations). Alors pas besoin de s'étonner des crises d'identités, de la montée du populisme, etc. Si on laisse le robinet fuir, on accepte la facture. Idéalité et réalité... Une histoire tragique.
Merci pour cette série de débats, et à plus tard.

Pascale Boulogne a dit…

Bonjour à tous,
Je n'ai pas lu l'essai de M. F et pour tout dire, je ne le regrette pas. Je suis toujours étonnée de voir que les media interrogent inlassablement les mêmes personnes. J'ai le sentiment que l'exercice de la pensée s'est arrêté aux années 70. On sort les papes de la philosophie française à chaque fois qu'ils peuvent provoquer une polémique qui fera sensation et ranimera le débat au sein de la société par quilles interposées. On les interroge sur les actions de leurs proches amis de la politique dont ils deviennent en quelque sorte leurs daimon. Par des questions habiles, on s'assure de recueillir les mots justes, ceux qui ont le pouvoir de mettre le feu au poudre. On voit les philosophes aux services des média pour la sortie de leurs livres, le plus souvent acerbes. En fait, ils me font penser à ces très vieux rockers qui ne veulent pas quitter la scène. Soit dit en passant je n'ai rien contre les vieux rockers qui nous étonnent, proposent de nouvelles pistes et nous donnent envie d'une nouvelle écoute. Mais les rockers de la philosophie ont oublié le mouvement, ont oublié la vie et se cantonnent à une posture de révolté qui vire au défaitisme hargneux. Utiliser les armes du fanatisme pour sauver la laïcité, utiliser des propos de prédicateurs illuminés, de ceux que Voltaire dévoilaient, me semble peu approprié venant d'un philosophe.
J'espère donc le retour triomphant des philosophes laborieux car il me semble qu'il existe une multitude d'autres visages et d'autres voix à entendre ...
D'autre part, il me semble que l'école des zones sensibles n'est pas représentative de l'école dans son entier, avant tout parce qu'elle respire la misère. L'école, a elle aussi de nombreux visages auquel le modèle unique ne sourit plus. Reste que l'idéal du village gaulois résiste et qu' il est peut-être mieux ancré que celui du multiculturalisme. Un seul constat, pour exemple, il est difficile de faire comprendre l’intérêt de l'histoire à des enfants issus de l'immigration car leur propre histoire n'est pas seulement, en voulant caricaturer, celle de Louis XIV. Elle est aussi autre chose qu'ils ignorent car les parents et l'école se taisent sur ce sujet. Moi, je me demande comment on se construit sans histoire.
Pour finir, j'ose espérer que l'autorité ne repose pas sur la considération sociale mais qu'elle est avant tout affaire de confiance. Je ne regrette pas le temps où la terreur pouvait s'exercer au sein du système scolaire parce que le maître était un personnage tout puissant.

Merci, en tout cas pour cette colère raisonnée

Michel Terestchenko a dit…

Merci, chère Pascale, je suis assez d'accord avec vous. Je me souviens du bruit autour de ces "nouveaux philosophes", il y a une trentaine d'années : BHL, Finkielkraut et Gluksmann (qui s'est fait bien plus discret). Tout cela sent un peu la naphtaline.

Emmanuel Gaudiot a dit…

Apparemment, monsieur Finkielkraut est un chercheur qui ne cherche plus, d'après vos commentaires. Pour ma part, je ne le l'ai jamais lu...et je n'ai pas envie de le lire.
L'âge avançant, on se rend compte que certains de nos rêves s'éloignent et s'éloignent encore. C'est peu comme l'espoir de trouver un travail en cette période de crise pour une personne qui passe du statut de demandeur d'emploi à celui de sans emploi.
Alors, autant la colère de l'homme avançant dans l'âge dont la carrière a été, pour certains, brisée plusieurs fois, est assez facile à comprendre, sa tentation de suivre les chemins que l'élite bannit comme légitime, n'en déplaise aux penseurs donneurs de leçons (que nous sommes tous ici), autant le renoncement d'un philosophe à la pensée est condamnable. Je suis d'accord avec ton commentaire Pascale, la pensée semble avoir croisé le regard de Minerve en France, il semble que ce soit ailleurs que les choses évoluent, si l'on se réfère bien sûr à l'écho médiatique (d'où un questionnement légitime sur le pouvoir médiatique)...
Pour ce qui concerne l'Ecole, le problème est bien plus profond que l'intégration d'enfants d'immigrés, il se situe, à mon sens dans la désacralisation des enseignants auxquels les enfants ne peuvent plus marquer de respect puisque les parents (pas tous, s'entend) contestent leur autorité et se livrent à des attaques ad hominem. Je crois que les politiques qui ont gouverné la France ces dix dernières années y sont pour quelque chose...
Merci Michel de nous faire partager votre colère.

Dominique Hohler a dit…

Le titre du roman d'Emile Ajar nous projette dans l'avenir et son contenu dresse autour de nous (quand nous sommes tous des Momos) la bienveillante promesse d'une tendresse venue d'ailleurs. Peu importe que Rosa ne soit pas de là-bas ou que Momo ne vienne pas d'ici, la tendresse enjambe la distance qui les sépare et ils sont tous les deux "nés de travers", elle de par son ancien métier, lui de par son origine.
Ajar-Gary avait écrit son roman à une époque où il n'était pas ridicule de parler d'avenir et de tendresse. Ce texte m'avait marqué et que vous l'évoquiez, cher Michel, dans un billet consacré à un livre qui nous projette dans le passé, est une manière de mettre le doigt sur la charnière autour de laquelle s'articulent un espoir heureux et de sombres perspectives. L'effroi auquel Finkielkraut prête sa voix est celui des porteurs de repères qui créditaient Momo d'une distante indulgence comme ces enfants qui s'extasient devant des lionceaux. Momo a pris de l'âge, il a essuyé des humiliations, il ne rencontre plus beaucoup de Rosas, il est passé dans la moulinette qui vous met face à l'équation des déshérités : tu ne pourras survivre en restant gentil.
Les porteurs de repères voient Momo brûler des voitures et quand il leur adresse la parole pour demander l'heure ils ont le sentiment qu'il les agresse. Il faut ajouter à cela que Momo a été confronté à une culture qui ne veut pas de lui et qu'il s'est réfugié dans les excès symétriques d'une culture tout aussi excluante.
Les Momos fascinés puis déçus par le bain effervescent de l'occident se crispent sur un déséquilibre instable qu'un souffle suffirait à faire tomber d'un côté comme de l'autre. C'est le moment que choisit Alain Finkielkraut, lui aussi déçu par les insuffisances des siens (insuffisances pour lesquelles Momo ne porte aucune responsabilité) pour nous inviter à jeter le bébé avec l'eau du bain.

Dominique

Michel Terestchenko a dit…

Merci, cher Dominique, pour cette belle contribution imagée.