Notre dignité de citoyen est blessée par la tournure, parfois d’une violence inouïe, qu’a pris récemment le débat public en France et nous protestons.
" Nous voulons que les partis de gouvernement entendent la crise profonde que notre pays traverse, qu’ils apportent sinon des solutions du moins des alternatives éclairées, justes et équitables à la détresse qui touche des millions de nos concitoyens. Nous voulons que l’action publique cesse de naviguer à vue, sans vision directrice – qu’importent les changements d’hommes aux postes clé de l’exécutif – plongeant un nombre sans cesse croissant de citoyens dans un sentiment d’anxiété et d’impuissance qui fait le lit des extrêmes lesquels connaissent des succès électoraux – chose inconcevable, il y a dix ans encore – presque banals. Nous voulons que la politique nous propose ce que nous pouvons raisonnablement espérer dans un monde soumis à des contraintes lourdes et à des menaces qui deviennent de moins en moins incertaines. Nous voulons en somme que les problèmes économiques, sociaux et écologiques soient affrontés avec courage et exposés dans une parole franche et sans détour par des hommes et des femmes assez compétents et intègres pour ne pas les dissimuler et que soit enfin ouvert l’horizon d’un projet commun sur lequel une majorité pourrait s’accorder.
Mais nous n’acceptons pas que notre pays soit gouverné par les diktats d’une technostructure qui ne laisse à l’action politique que l’écume boueuse des stratégies de communication, des ambitions personnelles, des luttes pour le pouvoir et des règlements de compte. Nous sommes fatigués d’assister passivement à l’étalage, sans précédent dans l’histoire récente, de ces affaires, de droite, de gauche, qui donne à tort l’impression d’une corruption généralisée des élites et dont chaque camp s’empare à plaisir pour discréditer l’adversaire. Nous comprenons que l’action politique concrète ne se déroule pas dans le monde rêvé des cités parfaites, mais il y a des limites et des conditions à ce que nous sommes disposés à tolérer. Que les dirigeants s’affrontent à coups de manœuvres politiciennes, d’invectives outrancières et de rivalités partisanes dans un monde clos, cependant que la financiarisation de l’économie impose ses lois implacables pour le plus grand bénéfice de quelques-uns seulement et que les prétendues exigences de sécurité conduisent à une secrète surveillance et en dehors de tout contrôle de nos vies privées, engendre, toutes classes confondues, au minimum l’impression d’une mauvaise foi radicale que nous refusons de laisser croître. Le tableau est caricatural ? 36 % des Français éprouvent de la méfiance envers la politique, 31 % du dégoût, 11 % de l’ennui et 10 % seulement de l’intérêt, selon l’historien Maxime Tandonnet. Quelle démocratie saine et vivante pourrait se développer dans un tel climat d’espoirs déçus, de soupçons et de ressentiment qui ouvre grande la porte à la démagogie et au populisme ?
La vie démocratique ne se limite pas à la participation épisodique des citoyens aux élections : elle se nourrit du sentiment que chacun est l’acteur d’un projet qui lui est donné de choisir, au plan local et national, et qui ne sera pas oublié au lendemain des urnes. D’immenses efforts nous sont demandés et nous sommes disposés à y consentir mais à condition que la crise soit l’occasion d’un regain d’unité de la communauté nationale – une telle chose existe telle encore ? – d’une restauration de ce qu’on appelait autrefois le républicanisme civique sans lequel il n’y a pas ni contrat social ni véritable liberté politique. Les événements récents en Europe de l’Est nous rappellent que la paix est un état précaire. La démocratie est, elle aussi, un régime vulnérable. Les élections municipales ont fait retentir un signal d’alarme. Nous nous effrayons de l’entendre, nous nous effrayons plus encore qu’il reste sans réponse."
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