Le développement d'actes terroristes orchestrés par des groupuscules, voire même de simples individus isolés - autrement dit, sans lien nécessaire avec un plan ourdi par un réseau extérieur, tel Al-Qaida - tient au fait que le "jihad" a été interprété, par les doctrinaires de l'islamisme radical, tout à la fois dans un sens légitimant le recours à la violence et, en même temps - et c'est là ce qui est le plus nouveau - comme un acte de dévotion spirituelle qui est une obligation individuelle [fard'ayn], s'ajoutant aux obligations auxquelles tout musulman est soumis (les cinq prières rituelles quotidiennes par exemple, ou encore le voyage à la Mecque].
C'est cette individualisation de la violence islamiste qui est la source de tous les dangers, et la raison pour laquelle elle peut tout à fait échapper à la vigilance des services de renseignement. Une autre conséquence, c'est que, bien évidemment, elle n'est pas à attribuer à la communauté musulmane dans son ensemble.
Le paradoxe, c'est que ces actes de terrorisme sont, en réalité, le produit pathologique d'une société de type individualiste comme la nôtre, alors même qu'ils l'attaquent dans tout ce qu'elle représente et s'opposent radicalement à elle. Comprendre cet aspect proprement moderne de la violence islamiste - en quelle manière celle-ci s'enracine dans le processus d'individualisation de sociétés destructurées, et c'est en partie le cas de la France - est absolument nécessaire si l'on veut analyser les raisons de son évolution et éviter les amalgames que nous avons toutes les raisons de craindre.
Ayant ces causes sociales présentes à l'esprit, on comprendra mieux pourquoi la France est, de tous les pays occidentaux, celui qui envoie en Irak ou en Syrie le plus grand nombre de candidats au djihadisme - à ce jour, plus de mille - ou les voit se développer sur son sol. Que de jeunes français, plus ou moins déracinés et en quête d'identité, puissent s'orienter individuellement vers des idéologies et des actes aussi épouvantables signalent, pour une large part, l'échec de nos politiques publiques (par exemple, en matière d'intégration). Bien que ces actes soient commis au nom de l'islam, l'islam comme tel n'y est pour rien. La plupart n'ont d'ailleurs qu'une connaissance très approximative et superficielle de la foi musulmane et certainement ignorent-ils tout de sa grande tradition théologique et spirituelle. Au reste, celle-ci condamne les interprétations du Coran et des paroles du Prophète qui conduisent à des interprétations aussi meurtrières du "jihad".
Il faut lire, à ce propos, le remarquable ouvrage d'Oliver Roy, L'islam mondialisé [Points-Essais, Le Seuil, 2002] ou encore celui de François Burgat, L'islamisme à l'heure d'Al-Qaida [La Découverte/Poche, 2010].
1 commentaire:
Les lumières à qui l'on a reproché d'être des blasphémateurs n'ont en réalité donné que la véritable place aux croyances qui dépassaient notre raison. Ils ont finalement voulu donner à la foi ce que Pascal infligeait à la raison, une leçon d'humilité.
Ils ont voulu combattre le fanatisme en leur montrant qu'ils jugeaient l'injugeable, en déformant et réinterprétant à loisir des textes dont le sens profond leur échappait. Ils les ont condamnés à leur tour pour leur impiété irrationnelle.
Deux siècles plus tard, l'obscurantisme demeure toujours présent. Il revêt de nouvelles formes, il se propage insidieusement dans une société où les valeurs sont absentes, où les morales sont confuses, où les religions se sont sécularisées. Dans cette configuration aux accents nihilistes, du flou général, des groupes armées représentants une force idéologique novatrice et convaincante s'arrogent les cerveaux des plus faibles en réinterprétant à loisir des volontés qu'ils pensent divines. Cette guerre sainte nous apparaît en tout point barbare, nous les héritiers des lumières, mais en tant que tels il nous faut lutter contre ceux qui amalgament, contre ceux aussi qui déforment, contre ceux encore qui aliènent.
Du sang et des larmes mais surtout aucune leçon retenue des erreurs passées. On ne lutte pas contre les ténèbres avec des bougies, il faut rallumer les lumières...
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