La réponse dominante des gouvernants, du législateur et du système judiciaire à la violence et à la délinquance juvéniles est généralement de nature punitive et sécuritaire. L'idée est toujours la même : des sanctions, éventuellement pénales, sévères et un contrôle social accru sur les adolescents à risque sont mieux à même de prémunir ces phénomènes que la prévention qui s'efforce d'aider l'adolescent à développer des stratégies lui permettant de rester lier ou de se relier, de façon positive, avec sa famille, son école et la société. Bien que cette réponse soit la plus facile à adopter – surtout lorsqu'elle nourrit une rhétorique de l'autorité et de la « tolérance zéro » – en réalité, des décennies de recherche montrent que seules la prévention et une politique scolaire d'attention et d'aide aux plus défavorisés et aux plus vulnérables peut, à terme, réduire les conduites juvéniles antisociales. Un comportement antisocial est décrit comme la violation répétée des normes sociales de comportement en vigueur, « incluant généralement agressions, vandalisme, non respect des règles, défi à l'égard de l'autorité des adultes et violation des normes sociales de la société.»
Il ne saurait être question d'exposer ici avec un peu de détails les nombreux facteurs externes (familiaux, économiques, sociaux) et internes (difficultés d'apprentissage, désordres émotionnels et comportementaux, etc.) des conduites « antisociales » agressives que les chercheurs ont dégagé. Chacun les devine aisément, à défaut de pouvoir les énumérer par le menu.
Le point important qu'il convient de retenir, c'est la relation dynamique qui existe entre l'individu et l'ensemble de ces facteurs, lesquels interagissent également les uns avec les autres, pour former à un moment t le « caractère » d'un individu particulier, c'est-à-dire tout à la fois l'état de développement de ses capacités affectives, morales et intellectuelles et les conduites qui en découlent. Or ce « caractère », pris à un moment t, ne peut être compris dans ce qu'il est et dans ses actes, seraient-ils délinquants ou criminels, qu'à partir du moment où il est envisagé dans la totalité unifiée de l'existence qui est la sienne. L'idée qu'un individu puisse se changer librement, volontairement, lui-même, dès lors qu'il y serait contraint par les représentants de l'autorité, est encore plus fausse et vouée à l'échec lorsqu'elle s'adresse à un enfant ou à un adolescent en formation que lorsque ce discours est servi à un adulte. Dans tous les cas, la volonté est parfaitement incapable de produire ce qu'on attend d'elle, lors même qu'elle le voudrait, tout simplement parce que nous ne sommes pas à disposition de nous-même. La liberté ne peut viser qu'à la longue restauration d'une identité abîmée, non à sa transformation immédiate par un diktat de la volonté, mais cette restauration ne peut se faire sans aide. C'est là la limite que rencontre inévitablement les pratiques pédagogiques qui obéissent à une temporalité (relativement) courte, et non à la prise en charge de l'enfant dans la longue durée et qui demande des compétences particulières. Or il est notoire que les enseignants ne sont nullement formés à cette tâche. L'élève perturbateur, indiscipliné, qui ne fait pas ses devoirs, et défie l'autorité, etc. sera exclu de la classe (temporairement ou définitivement) et non pris en charge par l'institution, l'exclusion aggravant le processus de désocialisation et, potentiellement, de violence. Aussi face aux phénomènes de violence scolaire, on ne peut pas ne pas se poser la question des finalités de l'école, et des moyens qui lui sont accordés pour réaliser ses fins (transmission du savoir, apprentissage des normes de la vie sociale, etc.). Il est des cas où les moyens de la pédagogie traditionnelle se montrent totalement inefficaces. Mais là où le problème de la justice sociale se pose de façon cruciale, c'est que ce sont généralement les enfants les plus fragiles, les plus vulnérables, qui sont incapables de s'adapter et de se conformer aux normes et aux exigences de l'institution scolaire. Or, qu'on le regrette ou non, ce n'est pas une politique de sanction, de répression ou d'exclusion qui constitue la réponse appropriée à ces problèmes. C'est là pour l'école une manière de se défausser, une hypocrisie cruelle dont aucune société décente ne devrait pouvoir s'accommoder. Il faut pourtant aller plus loin.
Les difficultés que l'institution scolaire rencontre face à la violence des plus vulnérables est une conséquence inaperçue de l'idée de contrat sur laquelle elle repose plus ou moins implicitement. Or le défaut principal des doctrines du contrat, c'est qu'elles n'admettent pour protagonistes que des individus déjà adaptés aux normes sociales et capables d'agir conformément à ce qu'elles exigent de chacun (comme sujets rationnels, responsables, autonomes, etc.) Or ce présupposé a des conséquences sacrificielles considérables envers ceux qui ne sont pas en mesure de « jouer le jeu » et qui, dès lors, ne peuvent être qu'exclus du système. N'y a-t-il pas quelque chose de profondément injuste à faire de cette capacité d'adaptation un préalable, et non une fin à viser quelles qu'en soient les difficultés et le prix, sans doute, élevé à payer ?
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Danger : élèves de race blanche
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