Devrais-je renouveler le cours que j'ai donné à mes étudiants de Sc-Pô à Aix-en-Provence mercredi dernier, nul doute que je trouverai la semaine prochaine ma salle de classe justement dégarnie. Que s'agissait-il d'expliquer ? Le lien qui unit les grandes théodicées rationnelles au tournant du XVIIe et du XVIIIe siècles avec la logique sacrificielle de l'utilitarisme classique. Ils avaient beau être polis, faire semblant d'être attentifs, s'efforcer de ne pas perdre le fil, la plupart avaient malgré tout bien du mal à cacher leur ennui, ou leur perplexité. Mais dans quelle galère théologico-philosophique les avais-je donc imprudemment embarqués ?
Il m'apparaît, pourtant, avec une certaine vraisemblance que la légitimation du sacrifice de l'intérêt et du bonheur de quelques individus au nom du bonheur du plus grand nombre - de telle sorte que ces individus-là ne comptent plus, ou ne comptent que dans le grand processus de quantification générale des intérêts où ils se trouvent liquidés - que cette légitimation, donc, peut (également) être entendue comme la sécularisation d'un système de pensée qui s'est d'abord élaboré en vu de justifier Dieu de l'existence du mal.
Pour le dire en substance, on le sait, l'argument principal chez Leibniz, par exemple, est que Dieu agit rationnellement et nécessairement selon le principe du meilleur (de l'optimum) , de sorte que les malheurs que souffrent les hommes ne doivent pas être considérés en eux-mêmes, mais du point de vue de la perfection (relative) de la nature dans son ensemble. Que les hommes protestent de leurs souffrances, de leurs misères, des maux innombrables que leur réserve l'existence – comme chez Voltaire – c'est là l'expression déraisonnable et égoïste d'un individu qui se prend pour le Tout – le centre du monde - et non pour un membre du Tout - chacun compte pour un et pour un seulement, dira Bentham - qui réclame de Dieu qu'il ordonne les choses à son avantage – non mais ! et puis quoi encore ? - au lieu de se soumettre humblement à leur bel ordonnancement. Eh bien, c'est là très exactement la matrice première de ce grand système sacrificiel qu'est l'utilitarisme classique.
Le grand philosophe anglais, Henry Sidgwick, a parfaitement montré dans ses Methods of Ethics (1874) que pour accepter les conséquences éventuellement désastreuses à son endroit du calcul de l'intérêt du plus grand nombre, l'individu doit se placer du point de vue général, non selon la perspective, non moins rationnelle pourtant, de son intérêt « égoïste ». Autrement dit, appliqué à une décision de licenciement, cela signifie que, du point de vue utilitariste, le chômeur n'a pas à se lamenter de son sort si la survie de l'entreprise et l'emploi des autres sont ainsi assurés pour le bien du plus grand nombre. La logique est imparable, dans le même temps qu'elle est insupportable et atroce. Qu'il s'agisse de Dieu, de l'Etat ou de l'entreprise, à quoi a-t-on affaire ? Sinon à un Grand Calculateur qui agissant au nom de la nécessité rationnelle liquide les individus et leur bonheur particulier avec une indifférence inexorable.
Nietzsche n'a eu qu'à prononcer l'acte de décès – le fameux « Dieu est mort » - d'un assassinat en règle qui avait été perpétré de longue date. Par qui donc ? Mais par des philosophes chrétiens, ne le saviez-vous pas ? De fait, ce Dieu abstrait des théodicées, ce « Dieu des échecs » dont parle Leslek Kolakowski dans un son beau livre, Philosophie de la religion, est bel et bien déjà un Dieu mort ! Cela, Pascal le savait parfaitement lorsqu'il oppose, avec une clairoyance qui a les accents du tocsin, le Dieu des philosophes au Dieu vivant d'Abraham, d'Isaac et de Jacob qui est un Dieu d'amour et de miséricorde devant lequel seul, ajoutera Heidegger, il est possible de chanter et de danser.
Mais à quelle divinité pouvons-nous aujourd'hui nous en prendre puisque nous raisonnons désormais en terme de "système" et que le système est sans visage et sans nom ? La rationalité immanente à l'ordre (économique) des choses n'est imputable à personne. Comment donc pourrait-on en faire le procès ? Sauf à montrer qu'il s'agit là d'une gigantesque construction idéologique, non moins fallacieuse que les anciennes constructions théologico-philosophiques. Ce qui est bien le cas.
Une sonnette d'alarme devrait toujours s'allumer et résonner à nos oreilles, lorsque le monde des hommes se trouve soumis à une (prétendue) nécessité, qu'elle soit historique, biologique ou économique, qui ne peut faire l'objet d'aucun choix, ni d'aucune délibération.
13 commentaires:
Est-ce vous comprendre que de dire que le grand calculateur est désormais d’autant plus terrifiant dans le système néo-liberal qu’il est précisément sans nom ni visage (à la manière de la main invisible d’Adam Smith) mais le jeu de d’un système globalisé comme l’est le système financier international ?
Impossible de réprimer un rire spontané et compréhensif à la lecture de ces premières lignes.
Quel enseignant ne se retrouve dans ce sentiment d’étrangeté qui le délie parfois de son auditoire ?
Tant nous pouvons prendre cette expérience avec recul et humour par après, tant elle s’exprime par l’inexorable sensation de vivre un « grand moment de solitude » à l’instant même où elle se vit.
Ce qui est le plus remarquable - et salvateur, c’est la persistance de cette expérience qui nous poursuit à travers le sentiment d’avoir -en quelque sorte- échoué .
Car finalement , outre le fait de nous balancer entre le doute en nos propres capacités à intéresser l’auditoire et la capacité de celui- ci à entendre quoi que ce soit - elle nous oblige à plus de persévérance et d’ingéniosité pédagogique…
Maintenant , à décharge pour vos « pauvres » étudiants dont je regrette infiniment ne plus avoir loisir de faire partie , il faut bien reconnaître que vous rentrez dans des problématiques philosophique et théologiques complexes dont la compréhension - pour le moins - ne cohabite pas avec l’évidence , problématiques qui nécessitent un « minimum » de connaissances et que des étudiants en Sc. Pô ne sont peut être pas tout à fait disposés à entendre dans la mesure où elles dépassent le cadre économico – politique stricto sensu pour se situer sur des terres plus « lointaines »…
Et tout cela pour procéder à une généalogie qui remet en cause la légitimité des fondements du système économique dominant et réduire sa réalité - passée pour nécessité- à une pure construction idéologique se justifiant elle-même et justifiant tous ses dégâts collatéraux ?
Terrible conflit socio- cognitif pour l’auditoire , non ?
Bonjour,
Je suis bien d'accord avec cette filiation dont vous parlez et la logique sacrificielle de l'utilitarisme. C'est vrai que devient dans ce calcul rationnel des intérêts et du bonheur du plus grand nombre, la petite minorité?
Elle est sacrifiée et votre exemple de ce qui se passe au sein de l'entreprise est d'autant bien choisi que c'est ce que nous vivons dans l'établissement où je travaille après avoir été racheté il y a à peine 4 mois par un groupe et des licenciements annoncés. Je connais en tant que délégué du personnel et délégué syndical ce problème de deux discours qui s'affrontent, celui du Grand calculateur (chiffre, taux de remplissage, objectifs chiffrés, réductions des coûts...) et de celui qui voit son emploi supprimé pour le bien du plus grand nombre, visée utilitariste du système.
Le problème est que, même si Dieu est mort selon Nietzsche ou que ce soit des philosophes chrétiens qui l'entérinaient (Effectivement la remarque de Pascal est juste), qu'on ne peut pas seulement constater que le système est anonyme, Dieu comme Autre extérieur n'existant plus. Ce mécanisme fondamental (je pense notamment comme vous vous en doutez à René Girard et Jean-Pierre Dupuy qui l'analyse brillament notamment dans Libéralisme et justice sociale) qui est le besoin irrépressible de se penser, en tant que système, société, en rejetant à l'extèrieur du système, ce que Dupuy appelle le point fixe endogène, cet extérieur créer par le système pour mieux se poser comme d'un extérieur. De plus cette nécessité sacrificielle, celle "de casser des oeufs pour faire une omelette" reprend ce mécanisme profond qu'a énoncé René Girard sous le mécanisme de la victime émissaire (en tant que mécanisme violent s'autoreproduisant dans cette propre nécessité sociale).
Pour en revenir au thème de la mort de Dieu qui se trouve déjà chez des philosophes chrétiens, je ferai remarquer ce que disait Derrida qui le reprendra de son ami Philippe Lacoue-Labarthe si je ne m’abuse dans la déconstruction du christianisme, qui rappelle que la Mort de Dieu est déjà un thème chrétien.
Oui comme vous dites, à quelle dieu se vouer ? Peut-on seulement le dénoncer comme vous le dites à juste titre ? Certainement en tant que philosophe, presque « en guerre » pour paraphraser le titre d’un des derniers livre de BHL. Le souci est que cette rationalité économique et utilitariste est immanente à l’ordre des choses, une espèce de fatalisme l’accompagne. Entendons les discours de la plupart des hommes politiques par rapport à la sphère économique et financière, bien qu’ils furent servis dans un sens comme dans un autre de la fatalité depuis la crise actuelle. Cela me fait songer à l’immanence du logos stoïcien, et la caricature d’un amor fati stoique fataliste. Même là nous n’aurions rien compris.
Pour ma part et cela me conforte, il faut repenser une autre immanence des choses, non plus mécanique et anonyme, ce qui serait une critique par exemple que j’adresserai à René Girard par exemple. D’autres manières de penser et d’autres valeurs sont possibles, réelles, à réaliser.
Cordialement,
Manuel SANCHEZ
P.S. : Je viens de finir votre dernier essai sur la Torture que j’ai trouvé très intéressant, d’une réflexion stimulante même nécessaire je trouve. A titre plus personnel, vous comprendrez pourquoi, recentrer votre critique de la question de la torture comme atteinte au corps (en tant que corps du sujet, ensemble psycho-somatique) sapant dès lors l’ordre social et politique, de l’humanité versant dans l’inhumain (chapitre 10) m’a particulièrement stimulé dans mes propres réflexions. Pour tout cela je vous en remercie.
Merci, chers amis, de vos magnifiques et longs commentaires qui enrichissent mon petit billet.
Il n'y a rien en effet de plus affreux que cette rationalité sacrificielle sans nom qui jette les individus à la rue comme des mouchoirs. Mais, Manuel, je ne suis pas sûr que ce soit la même chose que la notion girardienne de "bouc émissaire". J'aimerais bien que vous développiez cet argument qui, pour l'instant, ne me convainc pas tout à fait.
Bonjour,
Et pourtant, c’est bien ce que tente d’établir Jean-Pierre Dupuy dans une perspective légèrement différente dans Libéralisme et justice sociale où il dit par exemple :
«… dans sa définition moderne, l’économie est la science du choix rationnel dans un monde où les ressources sont rares. Or choisir, c’est renoncer à un bien pour un autre que l’on juge supérieur. Tout choix est « sacrifice ». L’économie, c’est la gestion rationnelle du sacrifice. » (p.44, Ed Hachette littératures).
Ainsi nous retrouvons une perspective utilitariste, dont Dupuy dit justement qu’elle est la philosophie spontanée de l’économie (notamment mathématique).
Mais bien plus et pour mieux vous répondre, Dupuy reprend selon ses termes le débat dans le chapitre 4 « John Rawls, l’utilitarisme et la question du sacrifice ». Il vise l’universalité abstraite de l’utilitarisme dans la question des intérêts de chacun et celui du plus grand nombre, et critique « l’impartialité » de ce calcul, ainsi écrit-il :
« le principe du sacrifice en découle non moins automatiquement , par la même déduction que dans le cas d’un individu unique […] Lorsqu’on définit l’investissement d’une nation comme « le sacrifice » de sa consommation présente en vue d’une bien être futur ; lorsque la publicité parle de marchandises « sacrifiées » pour dire qu’elles sont soldées à très bas prix, le lien est extrêmement lâche avec la définition originelle du sacrifice comme immolation d’une victime pour apaiser le courroux d’un dieu. Comment expliquer alors que les critiques de l’utilitarisme soient littéralement obsédés par la question du sacrifice humain et plus spécialement encore, celle du «bouc émissaire » ? » (p.121)
Et Dupuy d’en donner plusieurs exemples.
De plus à la fin de ce même chapitre lorsqu’il reprend cette critique de la justification utilitariste du sacrifice (« duel entre Rawls et l’utilitarisme », p. 145), Dupuy nous ouvre à l’explication anthropologique qui est fondamental pour lui et qu’il relie à ce qu’il appelle « la logique sacrificielle » (p.145) et qui pour lui va plus loin car elle concerne aussi « notre conception de la rationalité » (même page). Voici dans cette même partie où il l’aborde en invoquant la thèse girardien et son anthropologie fondamentale :
« Je pourrais aller beaucoup plus loin dans la défense de cette thèse en me référant à la théorie anthropologique de René Girard. Celle-ci postule que tous les systèmes religieux et par voie de dérivation, toutes institutions sociales et culturelles, jaillissent de la mise à mort collective d’une victime sacrificielle, l’archétype avec le mécanisme du bouc émissaire de ce que j’ai appelé une situation sacrificielle. En conséquence, toute situation de choix collectif dans laquelle une décision doit être prise (decidere : couper la gorge de la victime), dériverait plus ou moins directement d’une situation sacrificielle. » (p.157)
Nous avons dans ce dernier passage l’explication de la thèse fondamentale de René Girard, en terme d’un mécanisme anthropologique fondamental à l’origine de conservation et la perpétuation de tout système social, culturel, ou religieux. Le fait alors du besoin de sacrifier dans la perspective girardienne, un individu ou un groupe d’individus pour préserver le groupe ou ce qui est identifié comme son bien.
Je n’ai fait que donner quelques éléments à partir de ce qu’a écrit JP Dupuy, car il est bien celui qui a établi le lien au sein d’une même logique sacrificielle, depuis notamment L’enfer des choses. Comme il résume bien et reprend la thèse girardienne, j’ai pris cette liberté afin non de le paraphraser mais de montrer que la logique sacrificielle utilitariste reprend pour l’époque moderne le mécanisme anthropologique énoncée par René Girard.
Cordialement,
M.S.
Cher Manuel,
Merci d'avoir pris la peine de cette longue explication. Je suis évidemment d'accord avec la loqique sacrificielle de l'utilitarisme, mais celle-ci résulte d'une vision holiste (comme dans les théodicées) dont je vois pas comment on pourrait la mettre au compte du bouc-émissaire (qui désigne tout à fait autre chose).
Voilà la raison de ma réserve.
1ère partie :
Je comprends votre réserve. Nous sommes en tout cas d’accord sur la logique sacrificielle de l’utilitarisme. En quoi peut-elle, issue d’une vision holiste, avoir un lien avec le phénomène du bouc émissaire, qui est classiquement l’immolation d’une victime portant toute la faute d’une communauté, comme le rite biblique que devait effectué Aaron ? C’est là assez proche du sens traditionnel de cette expression de « bouc émissaire ». Cependant Girard a certains moments prend des précautions face à la restriction de ce phénomène entendu traditionnellement à la problématique qu’il a essayé de montrer, notamment en parlant de « phénomène de la victime émissaire », et dont il a essayé de dégager en terme de « mécanisme » comme le dit l’article Bouc émissaire dans Le vocabulaire de Girard (C. Ramond, ellipses p.5). En effet comme poursuit Ramond :
« l’humanité serait donc née, selon Girard, de la répétition innombrable de ce « mécanisme de bouc émissaire » (c’est-à-dire d’expulsion de la violence par la violence ») … « l’unanimité violente du « tous contre un » est en effet le moyen le plus primitif et le plus simple de produire de l’unité et de la loi, c’est-à-dire de la culture. »
Ce que vise notamment la description de ce mécanisme est l’unanimité du groupe contre l’individu accusé, ce que Girard nomme « le tous-contre-un » et la disparition de la victime dans ce thème du « bouc émissaire », car le groupe doit rester dans la méconnaissance du mécanisme par lequel elle s’institue : « Pour fonctionner, le « mécanisme du bouc émissaire » doit donc rester totalement ignoré de ceux qui y participent : il ne peut fonctionner que dans la méconnaissance de soi » (p.7). En effet le bouc émissaire est aux yeux du groupe unanime réellement coupable et responsable du désordre et de la violence dans la communauté, violence résultant des conflits perpétuels des individus entre eux.
2ème partie
C’est ce que nous enseigne Jean-Pierre Dupuy dans son livre Libéralisme et Justice sociale comme je l’ai rappelé à propos de l’utilitarisme : il vise au sein même de la pensée utilitariste l’unanimité nécessaire à sa logique et qui entraîne irrémédiablement une logique du sacrifice, celui des intérêts de la minorité. Cette unanimité se découvre sous l’universalité abstraite du calcul, de l’impartialité annoncée et donc de son objectivité. Ce que couvre le calcul utilitariste c’est qu’elle tente de régler ce qui peut faire conflit, le conflit d’intérêt justement, de résoudre donc une explosion de la violence entre les individus d’une société, en reconnaissant que l’individu est digne de poursuivre ses intérêts, c’en est même sa définition si on grossit un peu le trait. Mais dès lors si c’est aussi au nom du calcul des intérêts que la minorité doit s’incliner, pour le bien-être de la société qui est assimilée ici à la majorité, ce glissement majorité = société, se fait en soustrayant la minorité qui s’identifie à ses intérêts, alors devenus quantité négligeable. Il y a une double violence opéré sur le dos de la minorité, celle de dévalorisation et celle de son expulsion de la société (majorité vs minorité au sein d’un même tout sociétal). La vision holiste, à partir du Tout, n’est qu’un pastiche, un mythe de la Raison pour trancher, décider sans que je rappelle son étymologie déjà évoquée.
Il en va de même pour les théodicées. Non seulement elle cherche à dédouaner Dieu de la responsabilité du mal, ce qui est quelque part chrétien (le Christ étant innocent des fautes qu’on lui a imputé), ce qui caractérise bien « l’instinct » humain de chercher un coupable au mal (autrement dit un bouc émissaire), mais elle le fait en demandant aux hommes de se placer d’un point de vue de surplomb, au niveau du Tout, que la mal devient quantité négligeable par rapport à l’optimum de bien. Cette vision des choses répète la même opération : dévaloriser la mal qui affecte les victimes de ce mal, donc doublement injustifiés ces victimes, en en faisant quantité négligeable dans cette harmonie du Tout ( Voir Leibniz, son idée d’harmonie), autre figure de l’unanimité recherchée, ici encore dans un discours rationnel (théologique et philosophique).
Je ne rentre pas entièrement dans toute la subtilité de Dupuy ou de Girard (notamment que cette unanimité violente ne peut plus opérer après la révélation évangélique…) mais je distingue bien le thème du « bouc émissaire » (ses rituels à la Frazer par exemple) et le mécanisme que Girard a tenté de dégager et ce que recèle par ailleurs (notamment d’un point de vue anthropologique) tout vision holiste opérant et justifiant cette logique sacrificielle, où toute victime disparaît (victime du mal dans la théodicée, victime du calcul utilitariste) intégrée au Tout.
M.S.
Merci, cher Manuel, pour cette longue explication. Mais je ne suis toujours pas convaincu que la logique sacrificielle (holiste et/ou utilitariste) procède de la désignation du bouc-émissaire. Le sacrifice holiste est rationnel, calculateur et anonyme (la personne ne compte pas). Et je crois que l'on pourrait aisément mobiliser bien d'autres arguments que nous sommes là dans des conceptions très différentes.
J'en prends acte. Il faudrait beaucoup plus que 2 commentaires pour développer cette question. D'autres arguments existent dans un sens comme dans l'autre et mériteraient discussion. Le débat reste ouvert.
Je comprends bien que "Le sacrifice holiste est rationnel, calculateur et anonyme (la personne ne compte pas)". C'est bien là le problème et que l'individu (je préfère ici utiliser ce terme à la personne) ne compte pas. Son absence est bien thématisée dans le "mécanisme du bouc émissaire" de René Girard et repris par Dupuy pour ne reprendre que ces auteurs dont j'ai parlé.
Enfin toujours un plaisir de vous lire et d'y réagir.
M.S.
Merci, cher Manuel. Le débat reste donc ouvert.
Bien amicalement à vous.
N'ai-je pas cru comprendre, ce matin même, que ce pérènne enseignement de la philosophie dans nos établissements universitaires devait s'excuser de sa rémanence par son utilité servile au "système anonyme" ? Que nous ne devions pas, nous autres braves L1, nous flageller trop ardemment d'être égoïstement en philosophie, en vertu de son utilitarisme, impérieuse nécessité pour qu'une discipline survive dans "le système" sans être couverte de crachats et d'opprobre ? Plutôt que d'opposer la noblesse et l'intérêt fondamentale de la philosophie aux rires méprisants de nos amis (persuadés d'oeuvrer plus que quiconque pour le bien commun et la grandeur de l'humanité dans leur faculté de commerce), il nous a été conseillé d'invoquer son utilitarisme au court terme (dans les entreprises), ce qui m'a, je l'avoue, assez surpris. Si Dieu est investi du préjugé finaliste que lui prêtent les hommes, et si l'ordre de nos sociétés fonctionne selon celui-ci (car il découle naturellement de ce premier), il n'était pas insensé de caresser l'espoir qu'il en soit autrement en philosophie cinq siècles après Spinoza, non ?
Mais peut-être mon indignation repose-t-elle uniquement sur mon ignorance des bienfaits pour la survie générale de la philosophie qu'apporte une telle façon de la promouvoir ; sans doute aurais-je perdu l'esprit sacrificel !
Quoi-qu'il en soit, votre texte m'a beaucoup intéressé, et j'ai hâte d'être votre élève.
Respectueusement.
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