On se forme l'esprit et le sentiment par les conversations, Pascal

samedi 3 novembre 2018

Critique du mérite

A propos d'un article de Anca Mihalache, doctorante en philosophie à la Sorbonne et ancienne élève de l'ENS Ulm, paru sur le site du journal Libération : "Sciences humaines, le jeunes chercheurs à l'épreuve du néolibéralisme académique".

Tout se passe comme s'il était entendu que la réussite n'était qu'une affaire de mérite individuel et ne dépendait pas des formations que la société favorise ou au contraire tolère avec une certaine indifférence. Voilà ce qu'il en est aujourd'hui des "humanités" en général, et de la recherche en sciences humaines en particulier : la loi du marché fait qu'on ne les poursuit qu'au prix d'un engagement, d'un renoncement, d'un dévouement proche du sacrifice. Peut-être n'est-ce pas à proprement parler "injuste", mais c'est infiniment désolant. Nous savons tous comme il est plus aisé de trouver sa place sur le marché du travail, lorsque l'on s'oriente vers les sciences, les technologies ou le commerce. Quiconque bénéficie de cet environnement social favorable (éducation, valorisation de certaines tâches, etc.) est en dette vis-à-vis de la société plus qu'il n'est en droit de retirer uniquement pour lui-même, comme une propriété lui appartenant, les bénéfices (en termes de revenu, de statut) liés à son "mérite". On aura beau faire l'apologie de la méritocratie et de l'ascenseur social, si l'on entend par mérite une qualité qui nous revient en propre, et à nous seul, c'est bel et bien là une illusion.

Notons qu'une telle illusion n'est pas constitutive du libéralisme, du moins de tout libéralisme. John Rawls fait une critique radicale du mérite, et c'est un libéral.

  • www.liberation.net
  • 5 commentaires:

    Francis Vincenti a dit…

    La question posée est de savoir comment, au sein d’une société, distinguer entre les individus.
    Dans les sociétés contemporaines, construites sur le modèle de la démocratie libérale, le système le plus « commun » est celui dit du « mérite » qui renvoie à la prise en compte de la capacité, des talents propres à chaque individu.
    En France, c’est bien à ce critère que se réfère l’article 6 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen proclamée le 26 août 1789 quand il dispose que « … les citoyens … sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ».
    D’autres systèmes peuvent être mis en œuvre tels que l’élection, le tirage au sort. Dès lors, le système du mérite est-il le meilleur ? (Pour répondre à cette question, encore faudrait-il définir la valeur de référence : la justice ? l’utilité sociale ?)
    Dans tous les cas, le mérite présuppose la « réalisation » (au sens juridique, c’est-à-dire la survenance réelle) d’une condition : que tous les individus soient sur le même pied d’égalité.
    Est-ce réaliste ? Répondre par l’affirmative ce serait ignorer la réalité à la fois des inégalités naturelles et d’environnement notamment socio-culturel qui conditionnent et déterminent la vie et le sort de chaque individu. On comprend dès lors, la critique que J. Rawls fait du mérite.
    Ainsi, pour que ce système soit pleinement efficace, il appartient à la société de garantir l’égalité des chances en mettant en place des institutions et des mécanismes de « discrimination positive » qui permettent aux individus défavorisées de combler leur handicap… Vaste programme

    Pauline L a dit…

    La lecture de J.Rawls est très intéressante car celui-ci vient déconstruire le mérite personnel qui structure nos sociétés libérales. La France a fait de la "méritocratie républicaine" un véritable symbole qui est désormais de plus en plus contesté.
    N'est-il pas séduisant d'être plongé dans un monde d'égal liberté où s'opère le "voile d'ignorance", chacun étant ignorant de sa nationalité, son sexe, sa richesse ou sa pauvreté? C'est par ce monde d'égal liberté que débute la Théorie de la justice. Dans son ouvrage, Rawls énumère de nombreux principes qui fondent cette société juste avec notamment celui de l'égalité des chances.

    Je vais ici m'intéresser à l'égalité des chances qui assure, à niveau de talent identique, l'égalité d'accès aux fonctions. Il remet ainsi en cause l'idée du mérite individuel. Je cite : " la répartition découle de la loterie naturelle et ce résultat est arbitraire d'un point de vue moral. Il n'y a pas plus de raison de permettre que la répartition des revenus et de la richesse soit fixée par la répartition des atouts naturels que par le hasard social ou historique".
    Il est question que tous les individus, à part égal puissent avoir une chance d'atteindre les mêmes motivations sociales. Il est ainsi contre tout systèmes méritocratiques, car tout talent, aptitude ou disposition sont réparties tout autant arbitrairement que l'origine sociale. Pourquoi les individus pourraient revendiquer une part plus importante de ressources sociales ? D'autant plus que cette revendication dépend seulement que de critères arbitrairement réparties entre les individus. Rawls met bien en avant le fait que nous ne sommes uniquement les dépositaires de nos talents et non les propriétaires. C'est pourquoi il n'y a aucune raison morale de revendiquer les fruits des talents qui sont répartis arbitrairement entre les individus.

    Le mérite ne dépend ainsi pas de nous. Il n'est plus individuel mais conditionné par tout un cadre social, d'éléments extérieurs qui ne dépendent pas de nous mais seulement du hasard.

    DORIS LORI a dit…

    Après 5 ans de relation avec mon petit ami, il a soudainement changé et a cessé de me contacter régulièrement. Il proposait des excuses pour ne pas me voir tout le temps. Il a cessé de répondre à mes appels et à mes sms et il a cessé de me voir régulièrement. J'ai ensuite commencé à le rencontrer avec différentes amies de filles, mais à chaque fois, il disait qu'il m'aimait et qu'il avait besoin de temps pour réfléchir à notre relation. Mais après que j’ai contacté (padmanlovespell@yahoo.com), Dr.Padman du temple des sorts jeté un sortilège d’amour et après un jour, mon petit ami a commencé à me contacter régulièrement et nous avons emménagé ensemble au bout de quelques mois et il était plus ouvert à moi. qu’avant et il a commencé à passer plus de temps avec moi que ses amis. Nous nous sommes finalement mariés et nous sommes maintenant mariés avec bonheur depuis 2 ans avec un fils. Depuis que le Dr. Padman de padmanlovespell@yahoo.com m'a aidé, mon partenaire est très stable, fidèle et plus proche de moi qu'auparavant

    Robesdore a dit…

    Bonjour Monsieur,

    Cette critique du mérite s'articule avec la dénonciation des inégalités sociales et de leur reproduction par le système académique. Ma réflexion s'organise alors comme suit : pour que les inégalités sociales découlent strictement du mérite - comme le défendent les tenants de la méritocratie - il faut assurer l'égalité des chances. Les inégalités ne seraient acceptables que si elles résultaient des mérites personnels. Dans la logique méritocratique, les meilleures places reviennent aux plus "méritants", à ceux qui ont le plus travaillé, qui ont le plus développé leurs compétences personnelles sans qu'il n'existe d'inégalité des chances. Autrement dit, pour que l'inégalité sociale soit acceptable, il faut que chacun et chacune ait les mêmes chances d'être "méritant" par l'effort et l'effort seulement. L'égalité des chances se déploie selon deux modalités : l'égalité formelle et l'égalité réelle des chances. L'égalité formelle des chances renvoie au fait que nous sommes tous et toutes traité(e)s de la même manière par la loi. L'égalité réelle renvoie au fait de bénéficier des mêmes conditions matérielles d'existence. Or les différences d'origines sociales font que les positionnements dans les classes socio-économiques ne découlent pas du mérite personnel mais de la chance. La probabilité d'accéder à une position sociale élevée sachant que la personne est issue d'un milieu socio-économique favorisé est supérieure à la probabilité d'accéder à une position sociale élevée sachant que la personne est issue d'un milieu socio-économique défavorisé. Michael J. Sandel explique dans son livre Justice : " Permettre à chacun de prendre part à la course est une bonne chose, mais si la ligne de départ n'est pas la même pour tous les coureurs, on aura du mal à prétendre que la course est juste". Il est illusoire de croire que l'égalité réelle des chances est assurée - bien qu'on puisse défendre que l'égalité formelle le soit. Rawls ajoute à tout celà un critère supplémentaire. Admettons que l'égalité formelle et l'égalité réelle soient assurées : Rawls affirme que les inégalités sociales ne s'expliqueraient pas seulement par le mérite. Pour que le mérite soit l'unique et l'authentique origine de l'inégalité sociale il faut que les positions sociales soient le reflet des compétences et que ces compétences aient la même chance d'être acquises à talents innés égaux (vision méritocratique classique). Rawls affirme que les inégalités, dans un monde où l'égalité (formelle et réelle) des chances est réalisée, ne s'expliqueraient pas seulement par la différence de mérite (accès à la position sociale par la compétence) mais aussi par les différences de talents innés. Il introduit alors la chance génétique dans le discours. Dans "La justice comme équité : une reformulation de Théorie de la justice" il explique que la méritocratie "continue de permettre que la répartition des richesses et des revenus soit déterminée par la répartition naturelle des capacités et des talents". Michael J. Sandel va même plus loin et explique qu'il faut ajouter un critère supplémentaire : celui du contexte sociétal. Certains talents innés sont plus ou moins valorisés en fonction de l'époque, de la situation socio-économique du pays, selon que le pays soit en état de guerre ou de paix ou selon l'accès à la culture (pour que le talent naturel d'un enfant doué en musique se deploie il faut avant tout que cet enfant ait accès à l'enseignement musical).(partie 1)

    Robesdore a dit…

    Le système éducatif français n'arrive pas à assurer l'égalité réelle des chances - les systèmes politique et économique n'y arrivent pas davantage. Ainsi, l'école agit comme un outil de reproduction sociale. C'est d'ailleurs ce qu'explique Anca Mihalache dans l'article que vous mentionnez : "de nombreuses études indiquent que l'accès aux ressources dépend des éléments comme l'origine sociale, la nationalité ou le sexe". Par conséquent, l'idéal libéral - car c'est vers celui ci que tend notre système - loin d'être progressiste, porte une confusion réactionnaire puisqu'il dissimule les conséquences éminemment aristocratiques derrière l'idée de méritocratie. En effet, les meilleures positions sociales reviennent majoritairement aux plus "compétents" sans que l'égalité des chances ne soit véritablement assurée. Or ces "compétences" ne découlent pas de l'effort mais de la chance. Et ce qui figure parmi les compétences valorisées n'est qu'une "formation que la société favorise" pour reprendre vos mots. Par conséquent, la plupart des meilleures positions sont héritées : le capital social suit le capital génétique. Lorsque cette idée se traduit par un ensemble d'institutions, on parle d'aristocratie. Mais l'introduction de l'égalité formelle des chances suffit à elle seule, pour certains libéraux, à transformer l'aristocratie en méritocratie - bien que l'état de faits n'ait pas beaucoup varié. Certains diraient alors qu'il s'agit d'une méritocratie imparfaite. Mais la méritocratie parfaite est déjà assez discutable - pour ne pas dire très largement problématique - pour qu'on se satisfasse d'une méritocratie imparfaite. La situation des doctorants n'apparait alors que comme un des symptômes d'un mal plus profond. (partie 2)

    Sélim A. EAD philosophie