La place de la sympathie dans la relation thérapeutique : la question de la « bonne distance. »
La question de la « bonne distance » dans la relation thérapeutique est de celle que ne peut pas ne pas se poser tout médecin qui ne conçoit pas son métier simplement comme une technique de soin, mais comme une technique qui s'adresse à une personne en souffrance et qui par conséquent recommande une certaine attitude, l'attitude qui convient, c'est-à-dire une certaine manière d'être présent à l'autre. Dans la mesure où ce qui est en question, c'est bel et bien une attitude à avoir, nous sommes d'emblée placé dans le domaine de l'éthique. Parce que l'éthique, du moins telle que l'entendaient les Anciens, Aristote par exemple, a à voir avec la façon dont un être se tient et se comporte dans le monde en vu de se réaliser lui-même dans la perspective de la « bonne vie ». Autrement dit, l'éthique n'est pas d'abord simplement une affaire d'application abstraite ou inconditionnelle de principes et de devoirs. Ce dont il s'agit, c'est leur application dans une situation particulière, contingente, en l'occurrence face à telle personne précise. Agir comme il convient, c'est le propre de la vertu laquelle désigne, pour Aristote, un juste milieu entre deux excès. S'agissant du médecin, la bonne attitude, l'attitude « vertueuse », serait un milieu entre l'indifférence et une autre attitude qui consisterait à envahir l'autre et à se laisser envahir par lui dans l'intention de lui faire du bien, une sorte donc de bienveillance intrusive. Il n'y a pas de règles définitives, s'appliquant dans tous les cas, déterminant à l'avance en quoi consiste la « bonne distance » vertueuse, mais du moins peut-on la rapporter à une disposition, et cette disposition est celle de la sympathie.
Deux points sont particulièrement importants à souligner :
Le premier, c'est que contrairement à ce que l'on pense trop souvent, il n'y pas lieu d'opposer sympathie et compétence. Soit plus généralement, ce qui relève de la raison et ce qui relève de la sensibilité. Dans la mesure où la pratique du soin n'est pas simplement une ensemble de techniques, et certainement pas un ensemble de techniques infaillibles, elle inclut pour une part qui reste à définir, l'activité des émotions et des sentiments, mais de sentiments et d'émotions « contrôlés » par le jugement.
Le deuxième porte sur la nature même de cette disposition à la fois affective et intellectuelle et, plus encore, sur la nature du lien qui, sur cette base, s'établit entre le soignant et le patient. Dans quelle mesure, cette relation doit-elle être réciproque ? Dans le cadre de la psychiatrie, le problème est plus difficile qu'ailleurs du fait de l'état de forclusion psychique dans laquelle se trouvent certains patients. Pour le dire en bref, la relation sympathique, pour fonctionner doit être à double sens. Elle ne peut se réaliser que si un lieu de convenance, un lieu commun si l'on veut, est trouvé entre les deux protagonistes de la relation. Mais en quelle manière cela est-il possible face à certains malades lorsqu'ils sont comme enfermés dans leur état psychique ? Autrement dit, ce qui a un sens dans des maladies disons physiques l'a-t-il en psychatrie ?
Il faudrait enfin poser la question de savoir si l'hôpital peut constituer ce que j'appelle une « institution bienveillante » ? C'est-à-dire pas simplement une institution juste, mais quelque chose de différent qui inclut, structurellement, cette attitude de la sympathie ou, pour lui donner un autre nom mais qui en est le synonyme, de la compassion.
Reprenons brièvement le premier point, selon lequel il n'est pas justifié d'opposer sympathie et compétence. Naturellement, il faut bien distinguer ces deux qualités, l'une qui tient à un savoir et à un savoir faire, l'autre à une disposition attentive et, disons-le, bienveillante, mais elles doivent se conjuguer dans l'attitude appropriée du médecin et du soignant.
L'attention, dans la relation thérapeutique, ne peut pas concerner simplement un cas, un cas clinique parmi d'autres, parce que ce cas est aussi une personne, une personne humaine, à chaque fois différente de tout autre qu'il faut bien, j'allais dire qu'on le veuille ou non, considérer dans sa singularité. Or cette attention à la singularité exige une disposition d'écoute et de présence qui est une certaine manière de s'ouvrir et de s'avancer, même si celle-ci doit être « mesurée ». Or cette disposition d'écoute et d'attention qui consiste à s'ouvrir et à s'avancer, c'est précisement ce que désigne la sympathie, du moins telle qu'elle a été réfléchie par les philosophes qui s'en sont préoccupés. On ne peut donc pas s'en tenir à une conception purement technicienne ou procédurale de la médecine parce que celle-ci se réalise, qu'on le veuille ou non, dans le cadre d'une relation qu'il s'agit de nouer. Et cela est certainement beaucoup plus vrai pour le psychiatre que pour, disons le chirurgien. Il faut donc laisser une place à ce qui relève du sentiment, sans mettre le sentiment au compte de l'irrationalité, ainsi que nous y invite pourtant toute une tradition de pensée. La disposition attentive conjugue des aspects intellectuels – parce qu'il s'agit de comprendre à quoi on a à faire – et des aspects disons « émotifs » ou « affectifs » - précisément parce que le médecin a affaire à un qui et pas simplement à un quoi. La totale incapacité d'un médecin à éprouver la moindre bienveillance à l'endroit de son patient n'en ferait pas un « bon médecin », un médecin compétent, quels que soient l'étendue de ses connaissances théoriques par ailleurs. Précisément parce que ce savoir est un savoir faire, une pratique qui s'adresse à la singularité d'un individu qu'il faut considérer comme tel, dans son histoire personnelle et ses particularités individuelles. Autrement dit, l'indifférence totale n'est pas l'attitude qui convient, l'attitude appropriée. En réalité, l'objectivité du jugement n'exclut nullement le rôle de la sensibilité et des affects. Mais s'ouvrir, accepter en quelque manière d'être affecté, ne pas s'en tenir à une représentation de l'autre qui soit purement abstraite et anonyme – la figure scientifique du « cas clinique » - ce n'est pas se laisser gagner et être envahi. (A suivre)
5 commentaires:
Bonsoir,
Si vous ne le connaissez pas, je vous recommande d'appeler le SEL, Santé Ethique et Libertés, à Lyon. Hélas, sa fondatrice, le dr Nicole Léry, médecin légiste, est décédée il y a quelques années, et le dr Louis Léry l'a suivie en juillet dernier. Mais ils ont tous deux beaucoup réfléchi/travaillé/écrit sur la question. Les articles de Nicole Léry furent des précurseurs à bien des égards, et j'imagine qu'on pourrait vous les communiquer.
Cordialement.
Merci de cette référence. Je vais les contacter.
Cher Michel, je crois qu'un patient attend un "savoir" d'un médecin mais pas seulement un savoir de nature scientifique. Je crois tout autant que le non-savoir du médecin est ce qui l'embarrasse le plus et que le premier des soins consisterait à se rendre vierge de tout savoir afin d'ouvrir un autre espace, une proximité ou cette "bonne distance" dont vous parlez. C'est à mon sens un rapport à l'égalité qui fait défaut. Le savoir n'est pas la seule autorité, inspirer de la confiance c'est déjà commencer à soigner.Bien à vous.
Bonsoir,
Je vais justement aborder cette question dans un cadre médical. A ce sujet, j'ai lu un article intéressant de Michel Duval (Canada) sur le site "l'école des soignants".
Sinon, un grand ami médecin doit sortir un livre sur la question de l'empathie vers le mois de mai.
Bien cordialement,
LH
Notons que le thérapeutique est née en parallèle de la clinique avec la relation médecin-patient mais elle l’a pas toujours été comme elle l’est actuellement. Le patient, le “malade” était davantage vu par le médecin comme un objet d’observation dans le but de progresser dans les découvertes sur l’anatomo-pathologie, et non comme une personne à part entière. Pour reprendre, les termes employés ci-dessus le savoir (théorique) était prioritaire au savoir-faire, la raison triomphait sur la sensibilité dans les institutions hospitalières. Mais encore que la psychiatrie à ses prémisses usait contrairement à aujourd’hui des méthodes de guérison basées sur un système punitif où il s’agissait de faire reconnaître au malade mental qu’il était fou sur le système de l’aveu (culpabilité), nous sommes bien loin à ce moment là de l’écoute et de la compréhension du malade, nous pouvons retrouver ces observations dans Le Pouvoir psychiatrique de Michel Foucault.
L’éthique étant définie comme une attitude “vertueuse” et indiquant la meilleure conduite à adopter pour le médecin envers le malade est celle qui permettrait à ce dernier d’être écouté non pas vu comme une maladie mais comme un individu doué de sensibilité, dont la singularité est prise en compte. Ainsi, lors d’une consultation entre un patient et un praticien la sympathie peut s’avérer bénéfique dans le sens où la posture “d’autorité” du médecin se dissipera.
Je pense que l’hôpital peut être une “institution bienveillante” dans le sens où le médecin peut faire preuve de sensibilité, de compassion à l'égard de son patient sans pour autant que celle-ci n’altère son jugement sur la méthode thérapeutique à mettre en place. A ce propos, ne pouvons pas noter que l’une des motivations premières je pense de devenir médecin est le désir de soigner un individu, ce qui requiert à mon avis une certaine compassion pour l'humanité ?
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