Rouvrons sans plus tarder ce débat, là où nous l’avions laissé en fin d’année. Coup sur coup, par trois arrêts, la Cour européenne des droits de l’homme avait clairement jugé que l’absence d’un avocat au côté d’une personne interrogée en garde à vue viciait irrémédiablement le procès, qui devait dès lors être considéré comme inéquitable. Certes, ces arrêts condamnaient la Turquie et non la France. Mais leur portée générale est manifeste : ils valent mise en demeure de tous les états européens d’avoir à mettre en conformité leur législation sur ce point crucial dans toute démocratie : le statut et les droits des personnes arrêtées et interrogées par les services de police.
2010 sera-t-elle l’année d’une réforme significative du code de procédure pénale français en la matière ? Il faut l’espérer. Suivant la voie tracée par le Bâtonnier Christian Charrière-Bournazel, nombreux sont les avocats qui s’apprêtent à saisir les tribunaux de conclusions de nullité. Mais parions que la chambre criminelle de la Cour de cassation répondra sans tarder que les gardes à vue telles qu’elles se déroulent en France sont légales, dès lors que l’avocat peut visiter son client et lui rappeler son droit de se taire. Tout au plus jugera-t-elle, comme l’a suggéré le ministre de la justice dans une récente circulaire, que les seuls aveux passés alors ne peuvent suffire comme preuve.
Dès mars prochain, les avocats disposeront d’un nouveau recours : la question prioritaire de constitutionnalité, qui leur permettra de saisir le Conseil constitutionnel de ce sujet – à supposer que la juridiction saisie de l’affaire puis la Cour de cassation, comme le prévoit la loi organique du 10 décembre 2009, veuille bien lui transmettre cette question. Que décidera dans ce cas le Conseil constitutionnel ? Se bornera-t-il à un contrôle restreint des textes qui lui seront soumis, ou bien au contraire, ouvrira-t-il une nouvelle ère de sa jurisprudence, à l’instar de la Cour européenne des droits de l’homme, jugeant enfin notre système judiciaire obsolète, notamment la garde à vue ?
Quoi qu’il en soit, ce sera au parlement de prendre ses responsabilités, à un moment ou un autre. Il lui faudra rédiger et voter une nouvelle procédure d’arrestation des personnes par les services de police, définissant avec précision les droits et les garanties des citoyens dans une pareille situation. À ce sujet, les propositions du rapport Léger, comme antérieurement celles du rapport Outreau, ne sont guère enthousiasmantes, il faut bien le dire. Ce n’est qu’au second jour de garde à vue qu’interviendrait l’avocat, et les exceptions seront si nombreuses (délinquance organisée, etc.) qu’au final la défense des personnes en garde à vue sera toujours aussi mal assurée.
N’oublions pas l’essentiel. Le principe fondamental qui doit être affirmé est le suivant : toute personne suspectée d’un crime ou d’un délit a le droit d’être assistée d’un avocat lors de son interrogatoire, après avoir été mise en mesure de prendre connaissance du dossier de la procédure, le tout dans un délai de préparation suffisant et dans des conditions de confidentialité satisfaisantes, à défaut de quoi la personne doit être expressément informée de son droit de se taire, de manière effective, comme c’est la règle dans toutes les démocraties occidentales, sauf en France... La mise en œuvre de ce principe cardinal implique des conséquences qui doivent être bien comprises.
D’une part, la pratique des juges d’instruction d’ordonner sur commission rogatoire le placement en garde à vue des personnes qu’ils s’apprêtent à mettre en examen devrait être à l’avenir interdite, purement et simplement. Cette méthode ne s’est développée dans le passé que pour faire échec au droit des personnes d’être conseillées par un avocat dès avant leur premier interrogatoire par le juge d’instruction. Une dérive inadmissible ! Il en serait de même en enquête préliminaire, à défaut de toute condition d’urgence justifiant un interrogatoire de la personne sans l’assistance de son avocat. Ce n’est que convoquée dans les délais légaux, connaissance prise du dossier, que cette personne pourrait être questionnée, son avocat présent à ses côtés. Une révolution judiciaire !
D’autre part, dans les situations de flagrance, les personnes arrêtées et placées en garde à vue ne devraient pouvoir être interrogées qu’une fois averties formellement de leur droit de ne pas consentir à leur interrogatoire, ou seulement en présence de leur avocat. Celui-ci, convoqué dans l’urgence par téléphone ne disposerait que de quelques instants pour s’entretenir avec son client et lire les quelques procès-verbaux établis à cette phase-là de l’enquête. Autant dire qu’il ne lui sera guère possible de se faire aussitôt une idée précise et définitive de ce que sera la défense de son client. Lui conseiller d’avouer, de nier, ou de différer ses réponses ? À lui de voir au cas par cas.
Ainsi bien comprise, la phase initiale de toute procédure pénale garantirait les droits premiers des personnes placées en garde à vue – que le juge d’instruction soit maintenu ou disparaisse. La police ne sera pas désarmée pour autant. Simplement, il ne lui sera plus possible d’interroger un suspect à la manière des lieutenants criminels de l’Ancien régime ! D’un coup, le nombre des gardes à vue – près de 600 000 en 2009, dont seulement 25% de plus de vingt-quatre heures – chutera de trois quarts ! Et les avocats, quant à eux, n’auront pas à passer leur vie professionnelle dans les commissariats, convoqués à toute heure du jour ou de la nuit...
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