"Article 1 : Tout Etat qui aura fait l'objet d'un attentat terroriste sur son sol a le droit de poursuivre ses auteurs dans le monde entier et de procéder à leur exécution sommaire où qu'ils se trouvent. Toutes les dispositions antérieures du droit international selon lesquelles une personne soupçonnée de crimes ayant entrainé la mort de civils innocents doit être traduite devant un tribunal et bénéficier d'un procès équitable, sont abolies par la présente résolution."
Par une notable évolution de la législation internationale, se trouvait ainsi remise en cause la portée générale de l'article 3 de la Déclaration universelle des droits de l'homme qui énonce que "tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne", et de l'article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui réaffirme que "le droit à la vie est inhérent à la personne humaine". Cette disposition stipule aussi que "ce droit doit être protégé par la loi" et que "nul ne peut être arbitrairement privé de la vie".
"Justice est faite !" s'est exclamé le président Obama, annoncant publiquement l'élimination de celui que les Etats-Unis traquaient depuis plus de dix ans. Mais à moins de reviser le droit international dans le sens de la petite fiction ci-dessus évoquée, on pourra dire tout de qu'on veut, sauf que la justice a été rendue conformément aux principes fondamentaux de notre conception du droit et de la justice, et aux lois en vigueur dans nos systèmes juridiques. Que nous soyons si prompts à les violer d'une façon aussi manifeste, et à nous en réjouir - quelles que soient les bonnes raisons dont se réclame cette violation - a quelque chose de stupéfiant. Que personne ne regrette, c'est entendu, la mort de cet homme, qui était en effet, le chef d'un réseau terroriste particulièrement meurtrier, n'implique nullement qu'on doive considérér comme légitime, moins encore comme légale, la façon dont il a été liquidé. Ce n'est pas faire preuve de candeur, de naïveté ou d'angélisme de rappeler les autorités de l'Etat au respect des principes premiers de nos démocraties libérales et des droits humains fondamentaux - voir infra* - parmi lesquels figure en première place celui selon lequel "nul ne peut être privé arbitrairement de la vie".
Contrairement à ce que l'on pourrait croire, ce type d'exécution extra-judiciaire ne correspond nullement aux situations de "légitime défense" ou d'"état de nécessité" prévues par la loi et qui sont encadrées par des conditions extrêmement restrictives. Ce sont de semblables raisons que la précédente administration américaine avait invoquées pour justifier le recours chirurgical à la torture contre les membres des réseaux terroristes, en violation flagrante avec les dispositions du droit international, ouvrant aux abus que l'on sait.
Je ne dis pas que l'assassinat ou la tentative d'assassinat de certains individus - je songe au complot contre Hitler en juillet 1944 par exemple - ne puisse être justifié par un ensemble d'arguments, éventuellement "moraux", mais ceux-ci ne peuvent être mis au compte de la justice telle que nous l'entendons. Veuillez m'excuser : oui, je proteste ! Non pas contre l'acte lui-même, mais contre cette justification.
S'il faut appeler les choses par leur nom, du point de vue de la loi, l'éxécution de Ben Laden est un assassinat, un meurtre avec préméditation, perpétré par le président de ce pays qu'on appelle "la première démocratie". On ne peut tout de même pas se contenter d'applaudir des deux mains et de s'en réjouir, ou alors il faudra désormais considérer comme parfaitement légales les exécutions ciblées pratiquées par un certain nombre d'Etats démocratiques, tels Israël et aujourd'hui les Etats-Unis, et réviser le droit international dans ce sens. Mais qui peut prévoir à quelles dérives de telles pratiques peuvent conduire à l'avenir, chez nous comme ailleurs, ailleurs surtout, si nous-mêmes violons en toute impunité à la face du monde les principes restrictifs qui fondent nos démocraties ? La moindre des choses serait de reconnaître qu'il y a là un grave et terrible problème.
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* "Dans la résolution 2393 (XXIII) du 26 novembre 1968, l'Assemblée générale de l'ONU a invité les gouvernements à assurer l'application des procédures légales les plus scrupuleuses et les plus grandes garanties possibles à toute personne accusée d'un crime passible de la peine capitale dans les pays où elle est en vigueur. En 1980, le Sixième Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants a condamné "le meurtre et l'exécution d'opposants politiques ou de délinquants présumés commis par les forces armées, par les autorités chargées de l'application des lois et par d'autres organes gouvernementaux, ou par des groupements politiques, agissant avec l'appui tacite ou autres de ces forces ou
organes".
L'Assemblée générale, alarmée par les exécutions sommaires et les exécutions arbitraires qui avaient eu lieu dans différentes régions du monde et préoccupée par l'existence de cas d'exécutions répondant à des motifs politiques, a adopté la résolution 35/172 du 15 décembre 1980, dans laquelle elle a prié instamment les Etats Membres de respecter, en tant que critère minimal, le contenu des dispositions des articles 6, 14 et 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui portent sur le droit à la vie et prévoient diverses garanties d'une procédure équitable et impartiale."
5 commentaires:
Entièrement d'accord avec vous!
Juste une petite remarque, un assassinat se définit comme étant un meurtre avec préméditation. De fait, il est un peu redondant de dire "assassinat avec préméditation".
Merci!
Merci, Florent, ça m'avait échappé.
Eh bien bravo, moi qui ai lu l'article un peu vite, je m'apprêtais à vous demander pourquoi l'article n'était pas plus centré sur a résolution -qui m'étonnait tout de même un peu, mais que j'avais accepté.
Heureusement que j'y ai regardé à deux fois avant de publier, je me serai senti stupide !
merci....
En fait les états unis sont un pays terroriste et en france pays alliés, nous leur disons amen.(entre criminels de distinction démocratique on se respecte)
en pratique, est ce qu'un flic respecte la loi? non, il la fait respecter! nuance.
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