On se forme l'esprit et le sentiment par les conversations, Pascal

mardi 11 juin 2013

La locomotive et les idées

"On commence à comprendre que, s'il ne peut y avoir de force que dans une chaudière, il ne peut y avoir de puissance que dans un cerveau ; en d'autres termes, que ce qui mène et entraîne le monde, ce ne sont pas les locomotives mais les idées. Attelez les locomotives aux idées, c'est bien ; mais ne prenez pas le cheval pour le cavalier", écrit Hugo dans Les Misérables (VI, 2).
Il y a pourtant bien de la dialectique entre la matière grise et le produit fabriqué. Si le travail de l'esprit vient en premier, il n'est libre que dans un horizon déterminé à l'avance par la finalité productiviste de la recherche. Face à la concurrence économique mondiale et les formes déloyales, humainement indécentes, que celle-ci revêt en de nombreux pays, ce n'est qu'en investissant dans les domaines les plus avancés de la recherche que les sociétés occidentales pourront rester dans la course. Fort bien ! Le cerveau avant les locomotives, que d'autres pourront produire à plus bas coût mais qui sont déjà obsolètes. Qui ne voit pourtant que la course est sans fin ; le cerveau est ici entraîné par la locomotive du progrès qui l'emporte dans un mouvement de folle allure, bouleversant le monde, cultures, sociétés et civilisations, sans que cela ait été voulu par aucune décision concertée ni choix délibéré. Avons-nous assez réfléchi à ce que ce phénomène historique a de nouveau et de troublant ? Hélas, contrairement à ce qu'écrit Hugo, moins lucide en cette affaire que Marx, à l'ère du progrès technologique sans fin le cerveau est tout à la fois aliéné et libre. Voilà ce qu'il advient lorsque nous sommes plus consommateurs que citoyens, et que l'économie a pris le pas sur la politique.

8 commentaires:

Dominique Hohler a dit…

Ne sommes-nous pas ici dans le monde de la technique tel que le voit Heidegger ? Cette folle course en avant comme un cycliste qui sous peine de tomber doit aller toujours plus vite.
Chaque entreprise, condamnée à atteler sa recherche non à la quête de ce qui est bon mais à la quête de ce qui fera la différence par rapport à la concurrence.

Les écrivains, les philosophes, les artistes, avec d'autres mots, d'autres concepts ou d'autres moyens, disent parfois les mêmes choses.

Dominique

michel terestchenko a dit…

Oui, cher Dominique, c'est à cela que je songeais.
Amitiés,
M

MathieuLL a dit…

Belle citation d'Hugo - et commentaire bien fleuri je l'avoue.

Je ne sais pourtant ce que l'on entend exactement par << idée >> ; s'il s'agit des simples représentations ou des représentations << agissantes >>, i.e. les représentations qui sont déjà, en elles-mêmes, ouvertes sur l'extérieur. Je m'explique : l' << idée DE la république >> appartient à cette dernière catégorie ; car elle a pour vocation d'agir sur la matière sociale et politique de son époque. Mais l'idée de la liberté, en soi, n'est pas agissante ; il faut lui adjoindre un objet : la liberté << DE penser >>, << D' entreprendre >>, etc., pour que cette idée fasse sens et ne soit pas qu'une simple bulle vide, une chimère, mais nourrisse une révolution p. ex.

En ce sens - que l'on comprenne bien ma réflexion - je crois que les locomotives précèdent les idées, ou du moins : nulle idée n'est agissante si elle n'est d'abord rattachée à un objet déterminé et qui appelle cette pensée comme la destination appelle le train. Aujourd'hui, les idées n'ont plus d'objets déterminés, on pense (ou dé-pense) de façon ALEATOIRE : on loue facilement toutes les formes de féminisme, comme celui des FEMEN, sans aucune réflexion anthropologique plus poussée ; on se prend pour un humaniste simplement parce que l'on se dit de gauche ; on prêche l'égalitarisme un peu trop facilement, c'est-à-dire sans savoir tout à fait de quoi l'on parle... ; à ce bourbier intellectuel viennent s'ajouter les problèmes du Moyen-orient sur lesquels on se prononce sans les connaître intimement ; puis il y a la dissolution des arts, de la littérature, de la philosophie elle-même autour d'un laisser-aller épuisé et épuisant, c'est-à-dire que l'on prend congé de sa raison pour se fondre dans le moule à bons sentiments... parce que tout doit se valoir, etc. Cette marmitte dans laquelle cuisent nos idées empêche toute cohérence et finalisme dans l'avancé du train ; parce que ces idées n'ont plus d'objets déterminés auquels se joindre - elles sont désincarnées.

Attendons-nous à voir des choses terribles se produire d'ici 2050.
Seule la lucidité permet d'entrevoir l'avenir misérable qui attend cette humanité qui, à peine plus élevée que ses espèces cousines, se dirige vers une auto-destruction assurée. Hormis ces rares exceptions géniales qui ont jalonné les siècles ; les hommes et leur vie semblent dénués de tout intérêt intrinsèque. Il faut apprendre à s'élever au-dessus de cette misère pour devenir, comme je crois l'être, un joyeux perssimiste.

Merci donc pour ce commentaire qui m'a donné à penser !

MathieuLL a dit…

Ps : ma réflexion s'applique aussi au progrès et à la technique : on ne peut penser absolument a priori, il faut un quelque chose à se mettre 'sous la pensée' et ce quelque chose procède du phénomène lui-même : c'est un cercle vicieux. On ne peut penser la technique que lorsque celle-ci apparait : mais il est alors trop tard. Nous la pensons alors... mais voilà qu'elle prend déjà
une autre forme !

J'ai simplement voulu être plus général en étendant la question à la Civilisation.

MathieuLL a dit…

auxquels

Descharmes philippe a dit…

Mais la liberté n'est pas seulement ce sur quoi elle s'exerce, ce qui est prendre les conséquences pour les causes, elle est aussi extérioration, (comme le dit Hegel), c'est à dire qu'elle peut se traduire par une positivité (davantage de liberté) ou d'autre part par une aliénation (réduction de cette même liberté dans son effectuation). C'est pourquoi, il y a certainement réduction du modèle de pensée et de penser dans la "locomotive", plus généralement l'objet, par rapport aux concepts scientifiques dont elle est l'objet.

MathieuLL a dit…

Bonjour Phillipe. Votre commentaire me plaît bien, quoique je ne sois partisan de la conception hégélienne de la liberté, préférant largement les vues spinozistes à ce sujet. Cela étant, je n'ai pas dit que la liberté est toujours liberté DE quelque chose, comme si elle ne pouvait pas devenir objet pour elle-même ; j'ai expliqué que c'est lorsqu'une idée - celle de la liberté en l'occurrence - devient idée DE quelque chose qu'elle acquière une effectivité qui la transcende elle-même, c'est-à-dire qu'elle devient agissante sur autre chose. Je trouve finalement votre propos assez proche du mien. Par exemple, l'idée de la technique - ou le penser de la technique - est nulle - nul - si l'on pas d'abord un objet de la technique - et donc, en tant qu'ob-jet, la chose est devant nous comme chose échappant à l'idée - on ne peut rien penser. " Penser avant d'agir " est une fiction, un délire du sens commun. Le penser et l'agir s'interpénètrent pour former un unique phénomène. C'est cette impossibilité à prévenir qui conduit l'homme à se contenter de guérir. L'oracle de Delphes s'est lourdement trompé : "guéris-toi toi-même" eut été plus juste.

Descharmes philippe a dit…

Merci, je comprends mieux !