Statistiquement, on peut d'ores et déjà prédire que plus on va surveiller de gens, plus on aura de chances d'avoir surveillé, et donc raté, celui qui aura été responsable d'un attentat. De fait, tous les "terroristes" qui ont commis des actes violents en France dernièrement étaient fichés, repérés ; certains d'entre eux, ont même été surveillés pendant un certain temps. Mais a-t-on assez vu la conséquence ? La surveillance massive conduira à rendre toujours plus inévitable la représentation de l'échec, avec toutes les conséquences contradictoires qu'entraîne une telle évidence. La seule "réussite" est qu'on interpelle désormais très rapidement les auteurs de crimes ou d'actes violents, soit parce que les dispositifs de vidéosurveillance sont présents partout, soit parce qu'il suffit de retourner à ses fichiers pour retrouver un individu qu'on avait ignoré.
Le débat actuel semble se dessiner ainsi : les uns, arguant qu'un terroriste "connu des services" n'a pas pu être empêché de commettre un acte violent, défendent l'inefficacité du dispositif de surveillance, mais ils légitiment la position de ceux qui, au nom du même fait, défendront la position inverse selon laquelle la commission d'un tel acte n'a pas pu être évitée, soit parce que les informations recueillies étaient incomplètes (appelant donc à un accroissement qualitatif du dispositif de surveillance), soit parce que les ressources consacrées à la surveillance sont trop faibles (exigeant un accroissement quantitatif du même dispositif). L'argument de l'échec – et du fait du développement des techniques de surveillance, il est appelé à être de plus en plus présent dans l'espace public - ne prouve rien, sinon qu'il peut justifier des interprétations contradictoires, conduisant à des politiques elles-mêmes opposées. Quant à l'argument de la réussite de ces dispositifs, il ne peut être prouvé puisque, par définition, les services de renseignement et les gouvernements se contenteront de l'affirmer, à charge pour les citoyens de le prendre pour argent comptant.
La menace terroriste est appelée à durer longtemps et les attentats en France ne pourront pas, c'est à craindre, être tous déjoués. Il faut s'y préparer. Mais il importe de ne pas tomber dans le piège qui consiste à évaluer les politiques de renseignement en se fondant sur leur réussite ou leur échec. Le premier argument est improuvable et échappe à toute discussion critique publique - ce n'est donc pas un argument. Quant au second, il conduit aussi bien à exiger une révision de ces méthodes qu'à exiger leur extension. Il faut donc abandonner le critère de l'utilité ou de l'inutilité des méthodes de renseignement qui sert à toutes les sauces et ne peut donc servir de fondement aux politiques publiques. Seuls les principes le peuvent. Et c'est à ce niveau-là que le débat doit être mené.
Un grand merci à Thomas Catens de m'avoir apporté les éléments de cette réflexion critique.
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