On se forme l'esprit et le sentiment par les conversations, Pascal

lundi 17 décembre 2018

Recension dans la Revue Etudes

Revue Etudes, juillet 2018, par Gildas Labey

"Quoi de commun entre le personnage de Jean, dans L'angoisse de Salomon de Romain Gary, celui du prince Mychkine, dans L'idiot de Dostoïevski, de Billy, dans Billy Budd, marin d'Hermann Melville, de l'évêque Myriel et de Jean Valjean, dans Les Misérables, d'Anton, dans La pitié dangereuse de Stefan Zweig, d'autres personnages chez Vassili Grossman et Lioudmila Oulitskaïa ? Michel Terestchenko, écrivain et philosophe, montre que, par chacun de ces personnages, fait irruption, sans réflexion ni calcul, une bonté instauratrice ou dévastatrice (comme chez Zweig), puissance et beauté de la vie même, qui fait ressortir le mal du mal et en avive les assauts. On est loin des « bons sentiments » consolateurs, des vertus recommandables, des impératifs moraux. D'où le titre de l'ouvrage, emprunté à un propos des Misérables, après que l'évêque Myriel a donné à Jean Valjean les chandeliers qu'il lui avait volés – geste apparemment insensé – et qui le sauve d'une nouvelle condamnation : « Au sortir de cette chose difforme et noire, qu'on appelle le bagne, l'évêque lui avait fait mal à l'âme. » Tel est ce bien qui fait mal : il saisit un être malgré lui, l'arrache « presque au mépris de sa volonté propre » au cours coutumier de sa vie pour l'engager sur une voie radicale, pour le meilleur ou le pire. D'une écriture limpide, d'une grande acuité d'analyse, ce livre remarquable se conclut par une réflexion sur le sens du roman : ni représentation ni image de la vie, mais présence de la vie même, « manifestée en tant qu'elle nous apparaît », le roman est pour son lecteur l'occasion d'une expérience véritable et, ici, d'une expérience morale."

Ne croyez pas que je cherche à me mettre en avant, en publiant cette aimable chronique de la Revue Etudes. L'honnêteté m'invite à vous dire que "Ce bien qui fait mal à l'âme" a été accueilli, dans la presse, qu'elle soit écrite ou radiophonique, avec la plus parfaite indifférence. Mise à part une très élogieuse chronique sur France Inter de Christilla Pellé-Rouël - et qui m'a fait rougir - aucune émission, ni sur France Culture ni ailleurs, n'a cherché à en parler, à la différence des ouvrages précédents qui avaient reçu bien meilleur accueil médiatique.
Est-ce parce que cette publication ne serait pas digne de la moindre discussion ou recension ? Nombre de mes amis dans le milieu littéraire et qui ont aimé le livre m'ont donné de tout autres raisons, quoique différentes les unes des autres. Qu'un livre traitant de la littérature et du bien - c'était le titre initial qui n'a pas été retenu - tombe dès sa publication dans le silence le plus total comme une pierre au fond de l'eau m'a surpris, je l'avoue, et laissé longtemps perplexe. Le fait est qu'il n'a pas trouvé sa place. Sans doute est-ce qu'évoquer la puissance impitoyable du bien tient de la provocation. La thèse résultait pourtant d'une analyse serrée d'oeuvres magnifiques.
Nul ressentiment dans cette petite mise au point, soyez-en assurés. J'aurais plutôt tendance à penser que ce mur du silence a quelque chose de symptomatique. Le mal intéresse davantage !

  • www.revue-etudes.com
  • 1 commentaire:

    Anonyme a dit…

    "L'amour véritable, parfait, n'est-il pas celui qui conduit à l'abnégation, à l'anéantissement, au sacrifice de soi ? La question aurait pu être posée par saint Augustin. Ses Confessions sont à la fois un récit autobiographique mais également une belle interrogation sur l’amour. Son cheminement est semblable à l’initiation de Socrate au mystère de l’amour dans le Banquet de Platon. Tout d’abord, le désir s’attache aux beaux corps. Ce qui fait dire à saint Augustin « Aimer et être aimé m’était bien plus doux, quand je jouissais du corps de l’objet aimé » (Idem) mais il n’est pas satisfait, il prend conscience qu’il « aimait à aimer » (Idem). « Après quoi, c’est la beauté dans les âmes qu’il estimera plus précieuse que celle qui appartient au corps » (Platon, Le Banquet). Saint Augustin s’attache alors aux beaux caractères et cultive l’amitié. Or l’amitié n’est pas sans passions. « Après les occupations, c’est aux connaissances que le mènera son guide » (Idem). Saint Augustin est professeur de rhétorique, par conséquent il s’intéresse à beaucoup de disciplines. Il se met à étudier la Bible. « On arrive pour finir à cette science […], ce qui est beau par soi seul » (Le Banquet). Alors que chez Platon, la contemplation est intellectuelle, chez saint Augustin, elle est surnaturelle. Il se sent visité par Dieu, il contemple alors celui qui est pour lui le créateur de toutes choses. L’amour véritable est celui que l’on voue à Dieu, un amour gratuit, désintéressé à l’image du Dieu lui-même, un être parfait, infini, le Bien suprême. Son âme ainsi comblée, il cherche alors à purifier son amour envers Dieu et les hommes. Sa vie est jalonnée par une série de renoncements vécus parfois de manière douloureuse. Il rompt avec sa compagne avec laquelle il vit depuis quinze ans. Il abandonne une carrière prometteuse. Son fils meurt. Enfin, il choisit une vie religieuse : il est ordonné prêtre et devient évêque d’Hippone. « Tourné vers le vaste océan du Beau, et le contemplant, il pourra enfanter de magnifiques discours » (Le Banquet). Saint Augustin nous laisse une œuvre considérable.