On se forme l'esprit et le sentiment par les conversations, Pascal

jeudi 21 janvier 2010

Rousseau

En l'espace de trois semaines à peine Rousseau composa, durant le printemps 1752, un opéra, Le Devin du village, qui fut joué à Fontainebleau devant Louis XV et Madame de Pompadour. Le succès fut tel que Rousseau fut invité à se présenter le lendemain devant le roi. On lui avait fait savoir qu'une pension allait lui être attribuée. Que fit notre homme qui était arrivé à la Cour portant la barbe et en vêtements propres mais plutôt miteux - ses habits de soie lui avaient été volés quelque temps auparavant et il était résolu à rien dissimuler de la pauvreté de sa condition ? Eh bien, il prit la poudre d'escampette, désireux qu'il était de garder son indépendance et sa liberté ! Le monarque en fut bien marri et Diderot, avec lequel il était encore fort lié à l'époque, lui fit reproche de son désintéressement irréfléchi. Une belle leçon à méditer sur les rapports entre les philosophes et le pouvoir.
Mais joue-t-on encore Rousseau aujourd'hui ? Sa pièce était inspirée de l'opéra bouffe italien qu'il défendit bientôt dans une formidable querelle contre la musique française, jugée trop "cartésienne", métaphysique et abstraite parce qu'elle privilégiait l'harmonie plutôt que la mélodie, et qui lui valut les foudres du grand Rameau.
Il faut lire l'admirable biographie, hélas non traduite, en trois volumes que Maurice Cranston a consacrée à Rousseau (The Chicago University Press, 1991).

11 commentaires:

Bertrand Puysségur a dit…

Si Rousseau n'était pas Mozart, il a tout de même influencé le jeune Wolfgang et son oeuvre a eu une grande portée dans l'Europe musicienne des Lumières.
La musicologue Nancy Rieben présente ici le Rousseau musicien :
http://www.ville-ge.ch/culture/rousseau/lettreInformation.html#rieben

On apprend aussi que l'opéra comique français doit beaucoup au Vicaire illuminé...

Michel Terestchenko a dit…

Merci, cher Bertrand. Je vois que vous en savez plus que moi sur cet aspect musical de l'oeuvre de Rousseau que, pour être honnête, je découvre, ne la connaissant jusqu'alors que de fort loin. Au reste, Rousseau rédigea plus de 200 articles consacrés à la musique dans l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert.

Michel Terestchenko a dit…

A quoi s'ajoute, ce qu'on sait mieux, qu'il gagnait sa vie, fort modestement, en copiant des partitions musicales.

Pascal a dit…

Il faut lire à ce sujet le savoureux passage des Confessions (OC p 379-380), pour connaitre les motifs d'ordre psychologique et physiologique qui ont contribué à ce moment inaugural, celui d'une insoumission au pouvoir et d'une fidélité à ses convictions morales. Pour ceux que cette question intéresse, il est un petit livre de Jérôme Meimoz, "Le gueux philosophe".

michel terestchenko a dit…

Merci, cher Pascal, je ne connaissais pas ce livre. Mme d'Epinay chez qui Rousseau vécut un moment, avant de se fâcher avec elle, l'appelait "mon cher ours". C'était un "gueux" qui sans doute m'aimait pas les bourgeois et leur cupidité mais qui ne dédaignait pas la compagnie et la fréquention des grands aristocrates dont il était souvent fort apprécié...

Pascal a dit…

Oui en effet, je crois que ce n'est pas tant la condition sociale qui pose problème chez Rousseau, il n'était d'ailleurs pas tant pour l'égalité absolue que pour l'égalité naturelle; c'est d'avantage l'éventuelle sujétion qui s'y rattache; aussi le Maréchal de Luxembourg a-t-il été l'un de ses plus sincères amis, parce qu'il ne lui en imposait pas. En prenant le parti des gueux, il défend une certaine idée de la liberté mise à mal par un faux pacte social, et donne une leçon d'intégrité à ses amis encyclopédistes qui forcément, voient rouge.

michel terestchenko a dit…

Merci, cher Pascal. Vous avez, il me semble, tout à fait raison. Je vois que votre connaissance de Rousseau, de sa biographie, sont bien précises. Mes références sont anglo saxonnes - l'excellent livre de Maurice Cranston - mais, dites-moi, qu'avez-vous lu en français sur sa vie, à part les Confessions ?

Anonyme a dit…

Et qu'advint-il de la Dame de Pique?

Accent Grave

Pascal a dit…

Pour la biographie, la correspondance est passionnante; le spécialiste actuel, me semble-t-il, est Raymond Trousson, avec des ouvrages comme son "Dictionnaire Jean-Jacques Rousseau" ou "Jean-Jacques Rousseau par ceux qui l'on vu". Si vous cherchez des aspects particuliers de sa personnalité ou de son existence, peut-être puis-je apporter ma modeste contribution.

Pour des travaux récents de portée plus philosophique, n'ayant pas encore lu celui de Paul Audi, je recommande la thèse de Jean-Luc Guichet "Rousseau l'animal et l'homme", ainsi que de Blaise Bachofen, "La condition de la liberté" et tout particulièrement le second chapitre intitulé "Le droit naturel proprement dit ou le droit des surnuméraires".

michel terestchenko a dit…

Merci, cher Pascal. Ces travaux, je l'avoue, ne me sont pas connus. Je vais me les procurer.

Pascal a dit…

Pour revenir à la question de l’aristocratie, je crois que Rousseau n’était pas contre, bien au contraire. S’il s’agit de confier les affaires aux plus excellents (aristo) d’entre nous, l’aristocratie est en fait méritocratie, ce que Rousseau ne fait que défendre. Pour Jean-Jacques, qui a pu réfléchir à cette notion durant son séjour vénitien face à cet incapable de Montaigu, le mérite est, me semble-t-il, la conjonction de dispositions naturelles (les « inégalités physiques ») et du travail (à la différence de Marx qui ne conserve que le travail, voir même, plus précisément, la peine). En revanche, l’aristocrate proclamé du faux contrat est l’illustration même de l’injustice par les deux privilèges qu’il incarne et qui transgressent l’idée d’égalité naturelle. Ces privilèges (« inégalités de convention »), me semble-t-il, perdurent de nos jours sous d’autres formes. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder ceux qui nous gouvernent pour regretter une certaine aristocratie.