Hier soir, comme la lune s'élevait dans un ciel encore mêlé de gris, à une branche de pin s'égosillait, haut perché, un petit oiseau – à ma grande tristesse, le chant des oiseaux se fait rarement entendre dans ma maison –, cependant que deux crapauds croassaient paisiblement se répondant en rythme l'un à l'autre. Alentour les hauts arbres entraient tranquillement dans l'ombre qui suit le déclin du jour. Et la nuit monta. (Il ne faut pas dire, m'avait presque tancé René Char le jour maintenant lointain où je le rencontrai et comme nous nous apprêtions, mon amie et moi, à le quitter, qu'elle « descend ». Eh bien, soit ! Je ne vais tout de même pas contredire le grand poète !)
Les animaux auraient-ils appris à commencer leur vie lorsque les hommes cessent la leur ? La sagesse imperturbable de la nature m'a toujours profondément frappé comme si, malgré tout le mal que nous lui faisons, les dévastations irréversibles que nous lui infligeons, nous étions, nous les êtres humains, quantité négligeable, à peine des moucherons sur le cuir d'un éléphant. Cette image me vient toujours à l'esprit lorsque je vois de loin des skieurs minuscules descendre les flancs d'une montagne laquelle reste impassible dans sa splendide indifférence et sa royale solitude. Hélas, ces flancs nous les creusons aussi et les dévorons à l'envi, en sorte qu'impasssible, il y a beau temps qu'elle a cessé de l'être.
Si la nature n'était rien et que nous étions tout, d'où vient que nous trouvions tant de bonheur et de sens mystérieux à nous ressourcer à son silence ?
Que l'homme soit devenu un prédateur cruel et inutile, qu'il eût mieux valu pour tous ne jamais voir apparaître, n'est pas une idée que je partage - j'en connais les terribles dangers -, mais c'est une tentation à laquelle il faut parfois faire un effort pour résister. Au reste, cet homme-là, de l'exploitation sans frein et sans limites des biens naturels et disponibles, est apparu il y a quelques siècles à peine. En d'autres temps, en d'autres lieux, si les hommes savaient mieux se tenir à leur place, c'est qu'ils en avaient une. On peut seulement espérer qu'ils la retrouvent, avec un plus grand sens de la mesure et de la justice. Pour qui sait l'entendre, le grand cyprès qui s'élève devant ma terrasse n'enseigne pas une autre leçon.
7 commentaires:
Cher Michel
Peut-on opérer une disjonction si nette entre la nature d'un côté et l'homme être d'antinature de l'autre? L'homme n'est-il pas aussi (mais pas seulement) un être naturel? Ne sommes nous pas limités par une grammaire humaniste qui finalement ne sert pas l'homme, cet être indéfinissable?
Pour ceux qui pensent que l'homme ne se met pas en danger, on peut consulter l'ouvrage certes assez violent du géophysicien André Lebeau, "L'enfermement planétaire".
Merci, cher Pascal, pour cette référence que je connaissais pas. Je ne suis pas sûr de comprendre le sens de votre objection. Que l'homme soit devenu un grand destructeur de la nature est une réalité d'autant plus désolante qu'il est aussi, comme vous le rappelez à juste titre, un être qui appartient à la nature. C'est précisément cette appartenance qu'il faudrait retrouver, à un niveau qui ne soit pas individuel seulement (mais également politique), quoiqu'il ne s'agisse pas de verser dans les excès de la "deep ecology". J'ai l'impression d'ailleurs n'évoquer que des évidences ou de platitudes comme on voudra.
Merci pour votre fidélit et pour avoir pris la peine de laisser un commentaire.
Cette objection n’est pas dirigée contre votre post mais contre un langage qui, me semble-t-il, perpétue malgré lui une transcendance de repli cartésienne qui prévient la pensée d’un problème auquel une écologie utilitariste ne répond pas, question éthique déjà esquissée chez Montaigne et Pascal. Elle serait, selon quelles modalités les êtres naturels (homme compris) s’approprient-ils? Et selon quelle droit l’homme, seul être naturel responsable et de potentialité d’appropriation démultipliée, peut-il s’approprier d’autres êtres au delà de la satisfaction de ses besoins primaires ? Question que me semble-il seul Rousseau prendra à bras le corps et dont la réponse est diffuse dans l’ensemble de l’œuvre, comme chez Plutarque, bien que non conceptualisée chez ce dernier. Sauf erreur de ma part, un usage du terme nature telle qu’on le trouve chez JS Mill, soit l’ensemble des êtres physiques, homme compris, par opposition au surnaturel, me semble plus approprié pour traiter de ces questions et avoir une chance de sauver l’homme moralement mais aussi physiquement si je puis dire. Car en en s’en prenant à la nature, c’est peut-être aussi à la nature en l’homme que l’on s’en prend insidieusement. Pour finir, c’est à moi de vous remercier de votre blog, au nom de tous les autodidactes qui y trouvent une précieuse substance.
Merci, cher Pascal. Je suis bien conscient de ces dangers que j'ai d'ailleurs signalés.
Votre fidélité me touche, alors que je doute souvent de l'intérêt ou de l'utilité d'un tel blog, surtout lorsque je me laisse aller à des considérations plus personnelles et moins académiques. Généralement, ce sont elles qui provoquent le plus de réactions.
J'aime assez ce mélange des genres, et je suis bien content de pouvoir glaner ici et là un bon mot, un auteur, une référence, une idée. N'hésitez pas à nous faire découvrir d'avantage d'artistes, de musiques, sans oublier de l'humour comme ce fameux match Grèce-Allemagne, mais toujours hardcore, oeuvres rares, sombres, inconnues, polémiques. Et racontez nous enfin cette rencontre avec le poète de l'Isle sur Sorgue dont vous nous faites le teasing depuis trop longtemps.
Merci, cher Pascal. Je vais y venir. J'y pense et puis j'oublie, comme dit la chanson.
Je me permets de poser ici un de mes modestes écrits qui, je le crois, avait pour source d'inspiration une même fascination pour notre mère nature :
C’était le matin de cette nouvelle vie,
Au lendemain du règne sanglant des hommes.
La nature qui, ressemblait à un paradis,
Ne faisait que reprendre ses droits en somme.
Dominant sur son nuageux trône magique,
Dans ce ciel que l’air à nouveau purifiait,
Transperçant l’obscurité opaque et tragique,
Cette belle étoile, notre soleil, scintillait.
Le doux sifflement du vent entre deux vallées,
Duquel on ne pouvait plus discerner le charme,
Du bruit incessant des machines endiablées,
Remplaçait à présent l’inaudible vacarme.
Pourtant je compris que cela n’était qu’un rêve,
Une illusion conçue par ma misanthropie,
Que de cet enfer ce sommeil n’était qu’une trêve,
Ce n’était qu’un nouveau matin de cette vie.
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