Comme il est enfantin de croire que la musique représente quelque chose, les trilles du piano les jeux de l'eau qui coule ! Ce qu'elle est en mesure de révéler est d'une toute autre importance : le fait que chacun est un être absolument unique. Tels sont les courts propos que tient ici le grand chef Serge Célibidache. Voyez la remarque qu'il ajoute sur le pouvoir de spiritualisation de Beethoven écrivant ce sublime scherzo de la 9e alors qu'il était déjà sourd : bien qu'il fût déjà incapable d'entendre une seule note, il savait exactement comment aller sonner ce qu'il composait dans sa tête et couchait sur le papier. Quant à l'affirmation, un peu dépitée, que la musique n'a rien à voir avec l'argent et les contrats... Quel bonheur toujours de voir et d'entendre ce Maître - dans son cas, le titre n'a rien de galvaudé ! - si exigeant, plein d'humour et attachant, qui était de surcroît un penseur très profond.
5 commentaires:
«Je peins par coeur», répondait le peintre équatorien Oswaldo Guayasamín (1910-1999)lorsqu'on lui demandait comment il faisait, devenu aveugle, pour continuer à peindre. Je ne pense pas que ce qui était en jeu, chez lui comme chez Beethoven, était un pouvoir particulier d'abstraction, mais un savoir-faire, des décennies de technique, au service d'un système de signes, qui lui, est partiellement abstrait. Le signe - pictural, musical - me semblent partager avec le signe linguistique d'avoir pour interface signifiante une "empreinte psychique" (Saussure, CLG 131). Ainsi, Beethoven n'a plus besoin de l'ouie pour "entendre" et Guayasamín n'a plus besoin de la vue pour "voir". Quant au caractère non figuratif de la musique, bien sûr! Les gazouillis de la Pastorale ou les bruits d'eau de la Moldau ne sont qu'une illusion. Au risque de passer une fois de plus pour un maniaque de Saussure, je dirais que ces épiphénomènes jouent au sein du système, où le signe est globalement immotivé, le même rôle que les onomatopées, faussement figuratives, dans le langage.
Merci, cher Thierry, pour ce beau commentaire ! Cet aveu du peintre est magnifique et, en son cas, très émouvant. Tu as raison : le savoir faire, les yeux fermés, du grand artiste-artisan !
Amitiés,
Michel
Dire que chacun est unique. Est-ce un premier pas vers la reconnaissance de l'autre? Est-ce un premier pas vers le respect de l'autre? Est-ce un premier pas vers l'acceptation de la différence? vers la valeur de cette différence? J'ai envie de l'imaginer.
Oui, c'est bien cela, cher François. La condition et le commencement de toute morale...
« Je suis une vie avant d'être un homme, une vie que je dois arracher à la langueur des horizons, et, à chaque minute du temps, redresser, comme si je la disputais aux faits qui seront son ombre. Ecrire fort, dur, en phrases crachées. Il faut que mes paroles marquent sur la vie des hommes, et non sur leurs pensées . Nous n'avons que notre imagination pour connaître ceux qui nous entourent, pour percer des masques composés par leurs pensées »
Cette très belle phrase de Joe Bousquet invite l'artiste à se tenir en-deça de la représentation, non seulement de la représentation au sens de "mimésis" mais également au sens de déperdition de la vie. En effet, l'art pour être éprouvé, vécu, ressenti, doit permettre une synergie, une participation de celui qui le reçoit qui n'engage pas seulement son intellect mais son être unifié. En-deça de l'esthétisme et de l'intellectualisme, il y a la Vie: "Insatiable, je m'accroche à notre vie, car il n'y a qu'une seule chose au monde qui ne s'épuise jamais"(Pasolini)
L'art, à condition d'être sincère, a le pouvoir d'éveiller les endormis, de "brutaliser" (au sens d'un choc de la rencontre) les coeurs: "tous ses gestes, en effet, s'ils sont sincères, comblent l'abîme qui s'est à la longue creusé entre mon coeur et mon coeur." Joe Bousquet, Traduit du silence
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