On se forme l'esprit et le sentiment par les conversations, Pascal

samedi 30 octobre 2010

Le bonheur, chemin faisant

Tous les hommes veulent être heureux, jusqu'à celui qui va se pendre, écrit à peu de choses près Pascal dans les Pensées. Mais le bonheur, à proportion que nous le recherchons, se dérobe à nous. Plus nous le désirons et agissons en conséquence, moins nous le trouvons. Dans son Autobiographie John Stuart Mill comprit, à l'occasion de la profonde crise qu'il traversa durant l'hiver 1826, que c'est seulement en cessant de poursuivre le bonheur que nous pourrons avoir la chance de le connaître. Le bonheur, ainsi en est-il du sommeil pour l'insomniaque, de l'humilité pour le moine, ne vient que "par surcroît", "chemin faisant", comme par grâce. Parce qu'il ignore cette vérité que je crois profonde - il est des états qui ne peuvent être atteints que si nous ne les voulons pas - l'égoïste ne rencontre jamais que la frustration, l'insatisfaction et, finalement, le malheur. C'est là une des grandes et profondes limites de la théorie des choix rationnels et de l'utilitarisme benthamien.
Multiplier les plaisirs autant que vous voudrez, la satisfaction qu'ils procurent ne vous donneront jamais l'homme pleinement heureux. Parce que la bonne vie n'est pas une vie de plaisirs ? A voir, et il faudrait s'entendre de quels plaisirs nous parlons. La raison est autre : le sentiment du bonheur, de la pleine réalisation de soi, et qui ne peut être éprouvé solitairement - est-on heureux seul ? calme, tranquille, paisible, oui ! mais heureux ? - a ceci de différent d'un plaisir que nous visons celui-ci consciemment et faisons notre possible pour l'atteindre. Mais le bonheur ne peut faire l'objet d'une quelconque stratégie, pas même indirecte. Aucune rationalité instrumentale ne peut nous dire comme s'y prendre, ni nous être d'aucun secours.
Au demeurant, ce n'est pas un dû, ni un droit. Un droit au bonheur ? quelle sottise !
Si tu connais le bonheur, réjouis-toi.
S'il t'échappe encore, ne te plains pas et ne te mets pas en peine de le poursuivre.
Ainsi en est-il des dons de la vie, qu'ils viennent lorsqu'on s'y attend le moins.
Mais comment ne pas désirer ce que tout homme ne peut pas ne pas désirer naturellement ? Ce n'est possible que dans l'état de non-conscience, de non-réflexion. Telle est la grande leçon paradoxale des mystiques chrétiens. De Carlyle aussi dont la lecture influença profondément John Stuart Mill. Les maîtres chinois du non-vouloir n'enseignent pas autre chose.
Décidément, avec cette affaire du bonheur, nous ne sommes pas au bout de nos peines. Car, enfin, l'esprit logique - le fameux principe de non-contradiction - est pris en défaut et s'arracherait les cheveux s'il avait une tête qui soit plus qu'un cerveau : vouloir être heureux, ce n'est pas l'être, mais pour l'être, il ne faut pas le vouloir ! Eh bien alors on fait quoi ? On ne fait rien, ce qui n'est pas ne rien faire. Et vous appelez cela une réponse ? Mais puisqu'on vient de te dire qu'il fallait ne pas poser la question !

7 commentaires:

Anonyme a dit…

Voici un joli texte sur le bonheur qui me met en joie pour la journée!

michel terestchenko a dit…

Et je m'en réjouis de tout coeur !

Anonyme a dit…

Bonjour M. Terestchenko,

merci pour ce texte qui donne une nouvelle fois à réfléchir. Je dois vous confesser mon sentiment ambigu envers le bonheur.

D'une part, je ressens le bonheur comme un devoir. J'ai une famille aimante, une situation matérielle très prospère, des études qui "marchent" bien etc. Je n'ai aucune entrave au bonheur matériel et affectif. Comment oserais-je un instant être malheureux si je compare ma situation à celle de personnes en difficultés?

D'autre part, ce bonheur me gène et j'aimerais m'en débarasser.
Je me sens proche de l'idée dostoïevskienne qui affirme que seuls ceux qui savent souffrir savent aimer. Également, les grands artistes que j'estime et qui me nourrissent (au hasard Andrëi Tarkovski!) ont pu atteindre une certaine transcendance dans leur Art par le chemin de la souffrance.

Mon bonheur, que je perçois donc comme une obligation, me rend "mou" et vide. C'est, je pense, une des raisons aux taux impressionnants de dépressions dans les sociétés occidentales (notamment en France). La disparition de toute forme de spiritualité (pas forcément religieuse, même si le dénigrement constant de notre héritage chrétien est une stupidité selon moi) au profit de la consommation comme "horizon indépassable de notre temps", et de l'accumulation de plaisirs comme seule voie d'accès au bonheur, est le grand malheur de notre époque.

Je ne sais pas si ce genre de considérations très personnelles ont leur place sur ce blog, si tel n'est pas le cas, veuillez m'en excuser!

Merci encore pour votre blog que je lis avec beaucoup d'intérêt.

Marc de Pierrefeu.

michel terestchenko a dit…

Cher Marc,

Merci de votre témoignage si personnel que vous n'hésitez pas à livrer aux lecteurs, mais je suis sûr que ceux d'ici sont plus que bienveillants. Je vous suppose jeune, car ce goût de la souffrance est un magnifique appétit de la jeunesse. Mais avec l'âge et les épreuves de l'existence, on en vient à juger avec moins de condescendance l'idée que nous avons à être heureux. Je ne suis moi-même pas très doué hélas pour cela. C'est un art qui apprend à ne pas gâcher bêtement le bien qui nous advient, mais c'est un art finalement bien difficile. Car enfin qui d'autre plus que nous-même sommes les artisans de notre mal vivre ?
Vous voyez, je m'expose aussi un peu moi-même.
Merci de votre fidélité.

Anonyme a dit…

Bonsoir,

Je vais quitter mon mode anonyme pour une fois pour vous dire que ce blog est un petit bol de bonheur qui a le don de mettre de bonne humeur par tous les temps!

Merci de l'entretenir pour vos lecteurs et lectrices!

Hélène

michel terestchenko a dit…

Merci, et de tout coeur, chère Hélène, de vos encouragements.Croyez bien qu'ils comptent beaucoup pour moi qui rédige ces textes dans une condition d'éloignement avec les lecteurs, seraient-ils quelqu'uns à être fidèles, dont l'anonymat, l'absence de réactions de leur part -ce n'est pas de l'indifférence nécessairement, je le comprends bien -, me paraissent parfois un peu décourageants. Et l'on se demande : à quoi bon ? Votre soutien est donc vraiment bien venu. Merci !

Anonyme a dit…

Nous sommes les artisans de notre mal vivre? Comment est ce possible que nous voulions nous rendre malade ou que nous ne puissions avoir assez de recul ou que nous ne considérions pas plus sérieusement les conseils de ceux qui savent être heureux? Pourquoi même réunis en société tout l'aménagement du temps concourre à nous éloigner, à ne nous voir "qu'en vitesse"? Car le bonheur n'est pas seul mais ne pas être seul c'est difficil à moins d'être enfant. Tout est fait "en société" pour qu'il n'y ai pas de présent, assez longtemps en tout cas, et que tout devienne un souvenir ou soit un futur moment. Le bonheur est plus facil quand on est enfant. Mais parce que nous ne sommes que dans le présent parce que nous ne savons pas qu'il y aura un après et que tout semble durer à peu près sur le même instant. C'est d'ailleurs ce qui fait la différence entre l'enfance et les âges "adultes", nous passons du présent pérpetuel à un temps fait d'avant et d'après.
Il peut être plus facil aussi d'être heureux ou de penser au bonheur en vieillissant car il y a moins d'enjeux. Comme il est plus angoissant de penser à la mort à 20ans qu'à 60 ans. Dans la vieillesse ce sont les enjeux et le poids d'avoir à réussir son bonheur avant de mourir qui disparaissent. Le bonheur, la jeunesse ne nous dit pas comment l'avoir même si elle nous le fait sentir comme vital. Il faut passer par tant d'expériences avant de découvrir la solution du problème n'est ce pas c'est cu qui est dit en général.. Et c'est souvent une fois plus vieux que nous comprenons l'erreur et comment être heureux. Pourquoi faut-il toujours comprendre l'essentiel une fois que nous n'avons plus longtemps à le vivre? Serait-il possible, et sans y perdre toute son énergie, sa jeunesse et se dessiner plus rapidement des rides, d'avoir la sagesse du bonheur à 20 ans? Et si les philosophes etc savent être heureux, combien d'années ont-ils utilisé et d'épreuves ont-ils vécus pour l'être?