Michel-Ange ne fut pas seulement le sculpteur et le peintre de génie que l'on sait, mais aussi un poète qui ne cessa d'écrire des vers, tout au long de sa vie.
Dans sa belle introduction aux Poèmes de Michel-Ange (Editions Mazarine, 1983), le poète Pierre Leyris, qui en a donné une admirable traduction, écrit :
« Pour qu'il délaissât ainsi, même brièvement, la Sculpture, lui qui avait déjà donné à la chrétienté la Pietà de Saint-Pierre et qui venait de dresser à Florence, devant le palais de la Seigneurie, la nudité civique et triomphale de son David géant, il fallait qu'il fût sérieusement mordu par la Poésie. Elle devint pour lui à la longue, de manière plus discrète et plus constante qu'éclatante, comme une seconde nature. Attentive à ses inspirations diverses, docile à ses besoins changeants, elle l'accompagna fidèlement toute sa vie. Le dernier des quelque trois cents poèmes qu'il nous a laissés (il y en eut sûrement beaucoup plus mais sa main était aussi prompte à détruire qu'à créer) fut écrit à quatre-vingt-cinq ans, dans l'attente – encore prématurée – de sa mort.
[…] Si abrupts ou épineux qu'il leur arrive d'être dans leur langue natale, ces poèmes ont maintenant conquis une fois pour toutes la place qu'ils auraient dû avoir dans l'œuvre multiforme du maître. Personne ne niera plus, je crois, qu'on y perçoit d'emblée, avant même de les avoir complètement déchiffrés, une considérable présence à la mesure de son génie. Même souffrante et plaintive, même accablée par le péché ou par le sentiment du péché, elle s'impose sans jamais se faire écrasante ni cesser d'être fraternelle, réduite qu'elle est – ou plutôt qu'elle était du temps qu'elle émanait d'un vivant – à l'humble lot de la mortalité comme aux mots mal purifiés de la tribu ».
Parmi les plus beaux sont les poèmes adressés à Tommaso Cavalieri, un jeune patricien romain, d'une « incomparable beauté » que Michel-Ange rencontra à Rome en 1532 – il avait cinquante-sept ans – auquel il voua aussitôt une adoration qui devait durer jusqu'à la fin de sa vie. Et les plus poignants, ceux qu'il rédigea à la fin de sa vie et qui sont emprunts d'une piété profonde et angoissée.
Voici un des merveilleux sonnets à Tommaso, et qui servira d'envoi à tous les amants :
Tu sais bien que je sais, mon seigneur, que tu sais
que je m'en suis venu à jouir de toi de plus près ;
et tu sais que je sais que tu sais qui je suis ;
à nous fêter, alors, pourquoi tarder ainsi ?
Si l'espoir dont tu m'as bercé n'est pas trompeur,
s'il est vrai que tu vas combler mon grand désir,
que s'abatte le mur qui les sépare encore,
car le tourment qu'on cèle est un double tourment.
Je n'aime en toi, mon cher seigneur, que cela même
que tu prises le plus : en vas-tu prendre ombrage ?
Mais c'est un esprit qui s'éprend d'un autre esprit !
Ce dont je suis en quête dans ton beau visage,
c'est qu'il m'enseigne, autrui ne peut pas le saisir,
et qui le veut apprendre doit d'abord mourir.
Tu sa' ch'i so, signor mie, che tu sai
ch'i vengo per goderti più da presso,
e sai ch'i so che tu sa' ch'i son desso :
a che più indugio a salutarci omai ?
Se vera è la speranza che mi dai,
se vero è 'l gran desio che m'è concesso,
rompasi il mur fra l'uno e l'altra messo,
ché doppia forzia hann'i celati guai.
S'i' amo sol di te, signor mie caro,
quel che di te più ami, non ti sdegni
ché l'un d'ell'altro spirto s'innamora.
Quel che nel tuo bel volto bramo e 'mpparo,
e mal compres' è dagli umani ingegni,
chi 'l vuol saper convien che prima mora.
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