On aura beau dire que l'individualisme des sociétés modernes réduit chacun à la considération de ses intérêts privés, en sorte que les vertus de l'honnetêté, du courage, de la probité, du dévouement au bien commun perdent leur valeur d'attrait - c'est faux ! D'où vient que le monde entier salue un homme - peu importe la couleur de sa peau - chez qui elles paraissent se manifester avec une élégance quasi-aristocratique ? Quand la vertu s'allie à l'éloquence, que retrouve-t-on, sinon cette figure de l'homme politique dont les Anciens avaient dressé le portrait et qu'on croyait que la médiocrité des passions démocratiques avait effacé ? Peut-être est-ce le mérite des périodes de crise de donner leur chance aux hommes les meilleurs : non pas les plus compétents - ce n'est pas une affaire d'expertise - ni les plus ambitieux - quoique l'ambition n'ait rien en politique d'une passion coupable - et je ne parle pas non plus du héros providentiel, mais les plus désireux de mettre leur talent au service des problèmes de l'heure. La grandeur de l'action politique - nul doute que le président Obama en mesurera bientôt la nature tragique - tient aussi à ce qu'elle exige une noblesse de caractère qui se rencontre rarement et qu'on est heureux de saluer aujourd'hui. Quoiqu'on puisse se tromper ou exagérer les qualités qu'on lui prête, l'avenir nous le dira, du moins est-il désormais attesté que nous n'avons pas perdu le sens des valeurs morales qu'on attend d'un homme d'Etat digne de ce nom. Que pour les faire reconnaître, il ait fallu que soient mis en place une logistique d'une formidable efficacité et des moyens financiers jamais atteints à ce jour ne signifie pas qu'il faille toujours, en politique, voir dans le réalisme de l'action une forme de cynisme. Avec cette victoire, nous avons tous le sentiment - les Américains pas seulement - d'être un peu grandis et, comment dire ? ennoblis.
Ce président des Etats-Unis, démocrate et noir de surcroît, où donc en avons-nous vu la première incarnation ? Eh bien, dans cette même série 24 heures dont nous avons dit tout le mal qu'elle a fait pour populariser et légitimer la torture. Serait-ce qu'à sa manière, elle aurait préparé le terrain au succès qus nous connaissons aujourd'hui ? L'hypothèse n'a rien d'absurde : David Palmer est bel et bien doté de ces traits d'intelligence et d'intégrité remarquables que l'on attribue à Barak Obama. Deux personnages, l'un de fiction, l'autre de chair et de sang, qui incarnent la figure du "prince bon" tel que Machiavel le décrit et auquel doit être enseigné la leçon de devoir "entrer dans le mal" lorsque les circonstances l'exigent.
Nous savons d'ores et déjà que les heures les plus rudes qui attendent Barak Obama sont devant lui et qu'il ne pourra satisfaire à toutes les attentes. Mais ce que nous espérons et attendons, c'est que de ces déceptions inévitables et des compromis qu'il devra passer avec sa propre conscience, il fasse une expérience qui soit amère, non qu'il s'y résolve avec indifférence et cynisme.
Chez l'homme noble et intègre, le succès en politique et l'accès aux plus hautes fonctions se payent d'une acceptation de voir ses principes et ses convictions buter contre les obstacles et les résistances du monde tel qu'il est. Si nous nous réjouissons aujourd'hui que ce soit cet homme-là qui ait été élu, c'est parce que nous savons d'ores et déjà qu'il va en souffrir.
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