Le cas de Savonorale est, pourtant, bien différent de celui en qui l'on a pu voir, sinon "le pape d'Hitler" - une fabrication des Soviétiques - du moins un homme insensible au coeur froid, incapable de s'opposer comme il l'aurait dû à la politique nazie d'extermination des Juifs.
Sur ce point, je renvoie à l'article de John Allen, "L'heure est-elle venue de canoniser Pie XII ?" que l'on peut consulter à l'adresse suivante :
Quand on songe à Savonarole, la première image qui vient généralement à l'esprit est celle d'une sorte de moine fou, prédicateur passionné et prophète égaré par ses visions, qui aurait travaillé à instaurer à Florence une théocratie implacable, dont il est heureux que les Florentins ait su se débarrasser, avant qu'elle ne déploie toutes ses potentialitès totalitaires. Mais cette vision des choses se rapporte à une légende noire que l'admirable biographie de Roberto Ridolfi (traduite en français chez Arthème-Fayard en 1957) congédie de façon très convaincante. Notons que l'historien est également l'auteur de deux autres biographies passionnantes, l'une de Machiavel - de loin, la plus belle que j'ai lue -, l'autre de François Guichardin.
Machiavel lui-même, peu enclin à juger avec bienveillance les ardeurs vertueuses du moine dominicain - qui annoncent avant l'heure la réforme entreprise, quelques vingt ans plus tard, par Luther -, en parle avec révérence et s'il le critique, c'est pour s'être confié à la prière plutôt qu'à la force des armes, c'est-à-dire parce qu'il incarne la figure idéaliste, condamné à l'échec, du "prophète désarmé" - une critique qui, en réalité, s'adresse secrètement au Christ lui-même. Et, dans le fait, quel fut le crime de Savonarole ? De s'être attaqué à la corruption de l'Eglise qui a l'époque était dirigée par l'un des papes les plus vils de l'histoire, Alexandre VI Borgia. S'il est exact que ses prédications enflammées conduisirent à dresser ce "bûcher des vanités", sur lequel furent jetés aux flammes livres obscènes et colifichets de luxe, elles furent également cause d'une restauration de la vie civique, d'un souci des pauvres et d'une pacification, sans précédent dans le passé de la cité, qui impressionna ses contemporains au point qu'elle faillit conduire Pic de la Mirandole, ami et disciple de Savonarole, à revêtir la robe de bure.
Nonobstant l'image d'Epinal, Savonarole n'était pas, avant l'heure, une sorte de Ben Laden au pouvoir. Ne serait-ce que parce que l'autorité qui était la sienne - et, à un moment donné, elle fut immense - procédait uniquement de la puissance véhémente de sa parole, de la vertu incontestée de sa vie personnelle, et de la réalisation, difficile pour nous à admettre aujourd'hui mais que personne presque ne contestait à l'époque, de ses visions prophétiques. La sagesse politique a probablement peu à voir avec les imprécations des prophètes bibliques - et sans doute vaut-il mieux qu'il en soit ainsi - mais si celles-ci ont pu ouvrir la voie à une contestation et à une résistance radicales face aux autorités les plus oppressantes et les plus corrompues, en quoi y a-t-il lieu de les mépriser ?
Pour prendre la mesure de la question ici posée, il faudrait, en effet, relire Machiavel, ce qui veut dire prendre au sérieux sa critique de la vertu en politique lorsque, sous sa forme chrétienne, elle désarme le ciel et efféminise le monde, autrement dit lorsque conduit les hommes les meilleurs à mourir en croix ou à brûler en place publique. Et pourquoi donc ? Parce qu'ils n'ont su opposer à la mechanceté des hommes que l'exemple de leur vie et les appels de la parole, refusant les arguments autrement plus convaincants de la force et des armes.
Comme on le voit, vues de près, les choses sont toujours plus compliquées, intéressantes et profondes, que leurs présentations réductrices. Saint Savonarole, finalement pourquoi pas ?
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