Je voudrais trouver les mots pour exprimer ce que cette image évoque en moi. Mais comment ne pas être désemparé si l'on compare en esprit ces longs voiles blancs comme des ailes repliées d'oiseau avec l'exposition des corps nus sur les plages en été ? Ce n'est pas seulement pudeur d'un côté et indécence de l'autre : l'opposition est trop moralisante pour toucher juste. Non, c'est d'autre chose dont il s'agit. L'habit monastique nous paraîtrait a priori totalement déplacé en un tel endroit, mais cette photographie ne nous invite pas à rire ou à nous moquer. Elle produit un choc, nous révélant qu'il est une autre manière de vivre et d'être présent au monde dont nous avons, pour la plupart, perdu l'intelligence et le souvenir. La mer ne nous appelle pas nécessairement à nous dénuder et à nous jeter en elle - quoique nous plongions et nagions en elle avec une joie toujours nouvelle ; elle peut aussi se donner à voir et à contempler dans le calme ou l'étonnement. Le mouvement oblique de l'une des femmes indique la possibilité d'une telle surprise qui n'est pas curiosité mais émerveillement au spectacle de la beauté, sans doute partagé par celle debout à ses côtés. Les autres sont assises dans le silence et ce silence se communique à nous. Aucune ne semble prier, mais toutes donnent l'impression de se tenir dans la présence tranquille du sacré.
Si la nature est un temple à ciel ouvert - cette représentation, à tout prendre, vaut bien celle de la domination technique - quoi d'étonnant qu'il faille y cheminer avec les vêtements qui conviennent ?
6 commentaires:
Et il faudrait aussi comparer avec ce que provoquerait la même photo avec des femmes en burka...
Lara
Bonne question ! je suggère aux lecteurs de se prononcer...
Y aurait-il vraiment une différence entre ces femmes revêtues de blanc et des femmes en burka (pourvu qu'on les voit de dos).
La différence serait la couleur, noire.
Et surtout la différence (pour moi en effet obvie, mais ai-je raison ?) entre ce que je pense de ces vêtements blancs empreints de limpidité, et les vêtements noirs dont j'imagine en les voyant qu'ils n'ont d'autres fonctions que de cacher, de voiler, de protéger, de suspendre la relation.
Comment ce que nous pensons vient-il polluer le regard ?
Je crois qu'une coloration du blanc en noir engendrerait une photo magnifique elle aussi.
Je la trouverai sans doute magnifique (tant haute est la couleur noire, et profonde); mais qu'en serait-il si je savais qu'il s'agissait de quatre femmes interdites de regard sur leur propre visage ?
Je pense que je résiterais à me laisser aller à la contemplation de la beauté, pour vaquer à mes réflexions sur la liberté des relations et l'emprisonnement des visages comme métapore du totalitaire.
A vous lire.
Jean-Claude
Vous avez écrit :
"Si la nature est un temple à ciel ouvert - cette représentation, à tout prendre, vaut bien celle de la domination technique - quoi d'étonnant qu'il faille y cheminer avec les vêtements qui conviennent ?"
De cette vision du sacré à travers la beauté simple, comme quelque chose de naturel, émane une confiance et une vénération que l'on retrouve dans les religions orientales, y compris chrétienne orthodoxe.
Là où certains cherchent à tout prix la lumière étincelante et la transcendance absolue, elle se tournera vers les moments simples de la vie, vers les recoins oubliés de l'âme, vers le mystère.
Je dois vous avouer que j'admire profondément cette conception du sacré comme la révélation de l'inévidence, de l'étrange, où la conscience se tait et écoute la présence du mystère.
Peut-être est-ce là un pont qui permettra de rapprocher les peuples, de faire vivre ensemble la burqua, la robe et la soutane. espérons-le!
« La valeur d’une image se mesure à l’étendue de son auréole imaginaire » G. Bachelard
Et dans cette auréole, quatre femmes voilées de dos qui, comme dans les photographies d‘Etienne Jules Marey ou d’Edward Muybridge, ne pourraient être qu’une unique personne ou modèle. Plusieurs moments sont unis dans un seul. Il a la mer et les sœurs photographiées avec la tendresse et l’élégance d’un Boubat…
La mer supérieure dans ses nuances de gris déroule sa douceur infinie.
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