Revenons au symbolisme lunaire : il évoque la mort, mais aussi la renaissance. Toutes les théories de la renaissance reposent sur un archétype, comme c’est le cas pour toutes les assertions qui concernent une réalité suprasensible. Il y a donc chez tous les peuples de l’univers des assertions concordantes concernant la renaissance. Il faut essayer de rendre compte du processus psychique qui est à la source de ces assertions. Jung distingue deux types d’expériences vécues sur la renaissance : celle de la transcendance de la vie et celle de la transformation du sujet lui-même. Le symbolisme lunaire joue un grand rôle dans ces deux expériences, mais c’est sur la seconde que je vais m’attarder en terminant .
Pour renaître, le sujet doit modifier le rapport qui existe entre son inconscient et son conscient, de façon à ce qu’il ne soit plus la proie de ce que les Types psychologiques appellent les imaginations passives, où le conscient et l’inconscient agissent en sens contraire, mais qu’enfin il devienne capable de produire des images qui manifestent l’équilibre entre les deux instances psychiques. L’abondance de symboles lunaires manifeste le déséquilibre entre conscient et inconscient. Lorsque ces symboles perdent de leur importance, nous pouvons nous attendre à un meilleur équilibre de la personne, qui n’est plus la proie d’un inconscient qui impose ses vues au conscient. Le processus d’individuation, comme l’appelle Jung, vise à libérer l’être humain de son assujettissement à l’inconscient. Il faut alors aider le sujet à vivre ce processus , et c’est ce à quoi vise la méthode de l’imagination active : il s’agit de ne pas en rester au fantasme de l’acte libérateur , mais d’essayer d’en donner une représentation imagée. Il s’agit de s’attarder sur les images qui symbolisent le début de la renaissance, qui sont des représentations intuitives des évolutions à venir, afin d’intégrer à la conscience assez de contenus de l’inconscient, pour qu’elle atteigne ensuite le niveau d’évolution que ces images ont fait entrevoir. L’essentiel est de comprendre que le processus d’individuation vise la liberté de l’esprit, et la naissance du Soi, c’est-à-dire de la totalité psychique, de ce centre inconscient de la personnalité qui réconcilie esprit et corps , qui effectue la conjonction des opposés et réalise les potentialités créatrices présentes en tout homme.
On le voit, l’approche jungienne du symbolisme de la lune n’est pas seulement riche par l’interprétation qu’elle propose d’images qui ont toujours fasciné l’esprit humain, mais par la réflexion entreprise qui vise à comprendre pourquoi ces images apparaissent , dans la vie d’un individu, et quelle en est la fonction. La confrontation de ces images avec celles du soleil, qui apparaissent souvent en même temps est un révélateur de l’état des relations entre conscient et inconscient chez chacun.Une personnalité développée est celle dans laquelle l’inconscient ne compense plus les tendances unilatérales du conscient, mais exprime son accord avec des tendances conscientes qui ont perdu leur unilatéralité . Des images de lune ascendante présentes dans un rêve ou dans une expérience intérieure, comme dans la production artistique accompagnent la naissance de ce processus. Lire Jung ne nous aide pas seulement à comprendre le sens de certains symboles, mais également celui de leur surgissement dans une psyché individuelle.
3 commentaires:
Magnifique texte (s).
N'ayant aucune compétence pour ma part en psychologie et finalement modeste en philosophie, il semble que se profile là une sorte de thérapie, par imagination. Je crois que les anglo-saxon sont en avance sur nous autres latins. Trop souvent l'imagination est chez nous décriée, et du reste il est intéressant de noter que notre pays qui se revendique du cartésianisme le plus pur affiche des recors en matière de suicide. Je me demande s'il n'y a pas là un signe.
Par ailleurs j'aperçois ici une similitude avec Mircéa Elliade. Les mythes de la recréation de l'univers, présentés comme autant de rituels initiatiques dans les sociétés se voulant discrète ou autre, n'activent-ils pas l'idée de la seconde chance ?
Et je pose la question : la méthode de l'imagination permet-elle à tout homme de s’absoudre de son passé aussi obscure soit-il ?
En tout cas merci encore, voici un billet qui m'a permis de voir Monsieur Daval sous un autre...jour...!!!
Bien à vous.
Pierre T.
Si l’œuvre de Jung présente, dans la continuité de Freud un regard nouveau sur la psychanalyse et le symbolisme, et si elle tente de faire l’ébauche d’un intuitif et universel processus d’individuation, par lequel l’homme apprend à s’appartenir à lui-même, son regard sur les astres s’inspire du message de l’alchimie des éléments, héritée aussi bien des présocratiques, que des savoirs ancestraux des philosophies premières. La lune jungienne se fait l’allégorie de la vie humaine. Comme l’homme qui apparait au monde, nait, grandit, disparait, s’épanouit de l’aurore au crépuscule des éléments, elle témoigne du changement perpétuel de l’être et du cosmos, qui jamais identique à lui-même, devient l’acteur de sa propre destinée. Miroir de l’homme, elle symbolise non seulement son devenir, mais également sa part d’ombre dionysiaque, qui une fois la nuit tombée s’exprime, prend le dessus sur sa raison. Comme l’être humain, elle représente l’aplomb de deux forces contraires, qui éternellement se répondent. A l’instar de ce que note René Daval, « la lune incarne un côté sombre de notre personnalité, elle apparait la nuit, et peut être ressentie comme dangereuse ou, tout le moins comme mystérieuse » Comme le dit Jung, la lune c’est cette lumière continuellement changeante dans la nuit, la sphère nocturne de l’expérience humaine ».
Comme la symbolique alchimique de la terre, la lune témoigne de l’ambivalence du caractère humain, trop humain, d’une double signification, bénéfique et maléfique, croissante et descendante, décadente, noire puis blanche dans la personnalité. Elle se fait l’expression d’une initiatique conversion de l’être, qui au sein d’une lecture archétypique de ses visages, révèle la préexistence d’une mémoire ontologique, métaphysique première au sein du cosmos. Et ce puisque les quartiers lunaires dressent les principes d’un apprentissage symbolique, par lequel l’homme s’élève de l’a-connaissance du monde à la sagesse puis s’initie à l’humilité de sa condition imparfaite et mortelle. A l’instar de l’allégorie de la caverne de Platon, et de l’Oracle de Delphes, commandant de se « connaitre soi-même », elle témoigne d’une possible élévation de l’âme humaine, qui de la noirceur de son ignorance, apprend à s’approcher du feu sacré et de la lumière du soleil. La lune incarne un insondable retour des choses, de ses quartiers, comme de la chair de l’homme au sein de la totalité du monde. Elle présente, par son perpétuel recommencement la force d’un équilibre cosmique indubitable, ressenti comme une lecture seconde de l’empirisme. Réceptacle de la lumière divine du soleil, qu’elle reçoit passivement, elle est la gémellité de l’homme et du temps commun de celui-ci, l’expression d’une transcendance promise, par laquelle l’individu apprend à s’arracher de son attachement à la sensibilité et de son amour propre. Jumelle de la terre, elle témoigne, comme ce premier élément naturel alchimique de l’obligation symbolique pour l’homme de se détacher de sa part d’ombre, de sa noirceur, défavorable, qu’il faut sans cesse purifier. Sans s’arrêter là. La lune, en tant qu’elle est considérée comme un archétype, appelle chez Jung, à une lecture plurielle. Elle marque, à l’instar de la terre, lors de sa décroissance, le hasard d’une bile noire, d’un hiver céleste angoissant et mélancolique, par lequel l’homme découvre d’abord « l’esprit de la nuit », l’intuition de la mort et de la destruction dionysiaque, imposé par l’empirisme. Elle témoigne d’une élémentaire nécessité de prendre conscience de soi au sein du monde et propose, par les fantasmes qu’elle véhicule, une cartographie symbolique des phases de la vie humaine. Elément alchimique premier, elle possède, comme la terre dont elle est la sœur, un caractère féminin, hérité de l’ancienne Chine. Elle se fait l’écho du Ying maternel, attendant patiemment son mariage avec son contraire Yang, le soleil. Androgyne, la lune jungienne se fait la matrice passive du principe de vie, le magma bouillonnant et allégorique des grandes métamorphoses intérieures de l’homme. Elle devient, sous couvert d’une lecture alchimique, le témoin d’une naissance nouvelle à soi, non sans sacrifice, par laquelle l’individu se doit de prendre acte d’une éternelle et cyclique remise en question éprouvante de lui-même, où aucune certitude ne demeure acquise. Croissante, puis décroissante, visible puis cachée, elle fait l’office d’une harmonie musicale du cosmos de construction et de déconstruction perpétuelle et donne à voir l’initiatique et plausible transformation de l’être qui, par étapes, reçoit la connaissance comme le soleil, de l’aurore au crépuscule de la vie. Elle est à la fois le soleil noir et le lapis de l’intelligence mesurée du monde, l’espoir d’une possible élévation de l’homme vers son propre solstice et l’expression d’une rectitude originelle, à travers laquelle se dresse devant les yeux de l’homme, sa finitude inévitable. Elle est la conjugaison et l’expression continue d’une alchimie primitive et profonde de la mécanique céleste. Comme la terre, elle se fait le réceptacle d’un mariage androgyne du masculin et du féminin sacré, la matrice passive du feu et du soleil, la garante du secret de la médecine universelle, de l’éternité.
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