On se forme l'esprit et le sentiment par les conversations, Pascal

mercredi 7 novembre 2012

Raphaël Liogier, Le mythe de l'islamisation

Il n'est peut-être pas de nation qui puisse subsister sans la distinction de l'ami et de l'ennemi, du citoyen et de l'étranger, sans la délimitation de frontières et d'un espace clos sur lequel s'exerce la souveraineté de l'Etat. A quoi s'ajoute la fabrication d'un récit, plus ou moins fictif, qui vise à souder les citoyens dans le sentiment d'une identité partagée et d'une histoire commune. Mais qu'advient-il à une telle société si les ressorts de l'unité nationale et du patriotisme se nourrissent, chez un nombre croissant de citoyens, de l'imaginaire d'une menace qui conduit à stigmatiser une catégorie d'individus en raison de leur appartenance à une religion particulière ? Est-ce là un facteur de vitalité ou au contraire le symptôme d'une pathologie sociale ? On l'aura compris, c'est la seconde hypothèse qui a toutes les chances d'être la plus exacte. Encore convient-il de prouver qu'il s'agit bien là d'un fantasme se développant au sein d'une société en proie à une profonde crise identitaire. Tel est le diagnostic que porte le sociologue Raphaël Liogier dans son dernier ouvrage, Le mythe de l'islamisation. Essai sur une obsession collective (Paris, Le Seuil, 2012).

L'évolution historique de notre regard sur l'islam est passée, nous rappelle l'auteur, par quatre étapes principales : la fascination à l'égard de l'Orient au XIXe siècle, le mépris au Xxe siècle, puis, à partir des années quatre-vingt, l'effroi, pour aboutir, en ce début du XXIe siècle, à l'obsession, le Musulman, quasiment essentialisé, remplaçant désormais le Noir et l'Arabe dans la figure de « l'altérité adverse fondamentale ». Chiffres à l'appui et nourrissant son analyse d'une enquête scientifique impartiale, l'auteur démonte une à une les sources d'un discours qui voudrait nous faire accroire que la société française, et, au-delà d'elle, l'Europe toute entière, sont exposées à un processus rampant d'islamisation, les corrompant secrètement à la manière d'une gangrène.

Trois arguments principaux sont au cœur de cette vision que Liogier juge « paranoïde » : la bombe potentielle que constituerait la croissance démographique des musulmans, le caractère inassimilable de la religion islamique dont les principes seraient, par nature, contraires aux valeurs fondatrices des démocraties occidentales, l'existence enfin d'un projet de conquète en vue d'imposer aux nations européennes une civilisation fondée sur l'islam.

S'agissant du premier argument, l'envahissement serait imminent : 4% de la population de l'Union européenne est d'origine mulsulmane mais, sous l'effet d'une natalité deux fois supérieure à la moyenne, ce pourcentage serait multiplié par dix dans une génération. La réalité des chiffres montre, au contraire, que dans la plupart des pays à majorité mulsulmane, l'évolution démographique conduit à une baisse considérable des taux de fécondité. Certains travaux sur les musulmans européens confirment cette tendance de l'alignement des taux de fécondité sur l'ensemble de la moyenne européenne, et cet affaissement n'épargne pas la France. Quant à l'idée d'une invasion migratoire, comparable à une colonisation de peuplement, elle n'est pas non plus confirmée par les données statistiques, le taux d'accroissement migratoire étant resté à peu près stable depuis les trente dernières années presque partout en Europe. En France, les musulmans représentent, selon une fourchette basse, entre 3,5 et 5% et, selon la fourchette haute, entre 8 et 11% de la population, dont la moitié de nationalité française. Rien ne permet d'accréditer le scénario que ces pourcentages devraient évoluer à l'avenir d'une manière significative, et certainement pas en direction d'une sorte d'invasion de l'intérieur.

Cette réprésentation erronée de la réalité sociale s'accompagne, note Liogier, d'une équation fallacieuse qui identifie subrepticement l'islam avec ses formes les plus radicales, le tout en relation avec des entreprises terroristes. La « démonologie anti-islamique » a pu se nourrir de certains faits récents, incontestablement dramatiques et inquiétants, tels les assassinats commis par Mohammed Merah, mais le lien général établit entre islamité et délinquance, en particulier dans certains banlieues « ghéttoïsées » passe totalement à côté des raisons économiques et sociales de ce phénomène qui, pour préoccupant qu'il soit, ne conduit nullement à le mettre au compte de causes specifiquement religieuses.

Il faut enfin en venir au dernier argument. Le port du foulard et du voile intégral serait, parmi d'autres pratiques, le signe d'une incompatibilité de nature entre les recommandations de l'islam et les principes de base de nos démocraties laïques. Or Raphaël Liogier rappelle, à juste titre, premièrement que ces obligations vestimentaires ne sont nullement inscrites dans la religion coranique, elles ne sont prescrites que dans certaines interprétations de celle-ci ; deuxièmement, le voile intégral n'est porté que par un nombre très limité de femmes de confession musulmane dont les motivations devraient être examinées de plus près. Considérer l'islam comme un bloc monolithique, source inévitablement d'aliénation et de régression, c'est ignorer les évolutions qui, ici et ailleurs, travaillent en profondeur son rapport à la modernité, souvent bien plus complexe et progressiste qu'une vision simpliste le laisse entendre.

On peut discuter les passages où Raphaël Liogier conteste, au nom du principe de laïcité, la législation française sur le port des signes religieux ostensibles, mais cette critique s'enracine dans un attachement aux principes fondamentaux de notre tradition libérale, sans doute mieux respectés dans les pays anglo-saxons que chez nous. Si cette position, que je partage personnellement, est sujet à controverse, elle ne conduit cependant pas à mettre en cause la pertinence et la justesse de ses analyses.

Lorsqu'il dénonce le mythe d'une conspiration islamiste qui projeterait la destruction intentionnelle de notre civilisation et la stigmatisation dont les musulmans de France sont de plus en plus victimes, Raphaël Liogier ne fait pas simplement œuvre de savant, c'est en honnête homme qu'il parle. Et s'il s'adresse à nous, ce n'est pas pour défendre une cause, mais pour rétablir la vérité des faits et nous mettre en garde. A ce travail de vigilance nous devons offrir une oreille particulièrement attentive.

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    Raphaël Liogier présente les aspects principaux de son analyse dans l'émission "Ce soir ou jamais" de Frédéric Taddéi du 10 octobre :
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  • 10 commentaires:

    Anonyme a dit…

    Bonsoir Michel

    J'ai lu avec beaucoup d'intérêt l'article concernant le livre de Raphael Liogier. Je ne l'ai pas encore lu, et je me garderai de toute critique s'agissant du contenu de cet ouvrage. D'après ce que j'ai retenu du résumé que vous avez pris la peine d'écrire, il me semble que l'auteur ne traite pas suffisamment voire pas du tout de la dimension politique et sociale de l'Islam. Nous assistons de plus en plus aujourd'hui, à des revendications communautaire d'une minorité de musulmans (ils ne sont pas les seuls)lesquelles sont encouragées par nos valeurs de tolérance et de respect des différences auxquelles nous sommes attachées. Ces revendications sont parfois contraires à ces valeurs que nous défendons. Je citerai à titre d'exemple ,la charia, le blasphème (ex : les caricatures de Mahomet), l'absence de choix de la religion et l'interdiction d'en changer, le statut des femmes etc... A mon grand regret ces revendications communautaires sont reprises souvent partialement voire justifiées par les médias et par nos politiques (tous bords confondus) qui font preuve, en ce qui les concernent, d'une démagogie éhontée s'agissant de cette problèmatique. Je constate également qu'il est difficile de critiquer l'islam, même dans le cadre d'un débat démocratique, et que des critiques un peu trop virulentes, donnent souvent lieu à des condamnations médiatiques voire judiciaires de leurs auteurs. L'islam serait il devenu tabou en France pour que l'on prenne autant de précautions pour en parler?. Pour celui qui ne comprend pas, on brandit le spectre du racisme pour qu'il se taise. Etre catalogué de raciste pour avoir simplement critiqué des idées, dont certaines sont quelque peu rétrogrades et souvent contraires à nos principes, voilà qui dépasse l'entendement.Je pourrai encore développer mon propos mais je ne voudrais pas lasser inutilement les lecteurs de ce blog. J'aurai peut être l'occasion de revenir sur le sujet
    Laurent D

    Kévin a dit…

    Selon vous, Laurent, certains musulmans mettraient à mal "nos" valeurs de tolérance et de respect. Mais n'est ce pas, dans un certain sens, parce que nous ne sommes plus capables de les incarner ? Nous brandons des étendards, les foulons aussitôt et nous étonnons finalement que d'autres fassent de même.

    Je crois que l'occident voit davantage en "l'islam" une face cachée de lui-même que ce qu'est réellement cette religion.

    Je me permets un exemple :
    Dernièrement, un artiste a "osé" ériger une statue représentant Zinédine Zidane agressant Marco Materrazzi lors de la finale de la coupe du monde 2006. S'en est suivi une polémique sur les biens fondés de cette œuvre d'art. On corromprai la jeunesse, ou peut-être pire on mettrait à mal le football (et donc, surtout, le business qui va avec). A l'inverse, lorsque Charlie hebdo publie des caricatures du prophète, les quelques voix qui s'élèvent sont vites contredites. Au nom de la liberté d'expression, il est plus que logique que de pouvoir s'attaquer au sacré.

    En résumé caricatural on peut taper comme bon nous semble sur la religion, par contre toucher au "business" c'est sacrilège.

    De ce fait, une question : Qui sont les fanatiques ?

    Anonyme a dit…

    Bonjour Laurent D,

    Je me permets de donner une réponse à votre message, même s'il ne m'est pas adressé, j'espère que vous ne me trouverez pas cela hors de propos.

    Ce que Raphaël Liogier veut mettre en lumière, c'est le fait qu'on fait dire que "l'Islam" (ce bloc monolithique comme le dit Michel Terestchenko) aurait des revendications politiques et sociales (ex : charia, voile, etc). Or, ces revendications sont 1) minoritaires, 2) ne sont pas le fait de l'Islam mais d'une interprétation subjective de cette minorité et 3) sont le fruit d'une obsession collective dû à une crise identitaire française.

    J'ai du mal partager votre avis quand vous dites que les médias et nos politiques font preuve d'une démagogie éhontée quand on voit les attaques systématiques contre les individus appartenant à cette religion, les caricaturant eux. Réduire la population musulmane en France à une communauté revendicatrice, défenseur du voile intégral, de la charia, interdisant la liberté d'expression, tabasseurs d'enfants mangeant un pain au chocolat, pour l'inégalité homme-femme, c'est mettre sous silence d'autres questions.

    Par exemple, les difficultés que rencontrent cette minorité à s'intégrer dans notre pays alors qu'ils ont accepté les principes républicains, ou encore l'absence d'une politique d'intégration de cette population au nom d'une universalisme quelque peu utopique. Pourquoi ne parle-t-on pas des autres membres de la communauté musulmane, intégrée, qui réussit, de la "majorité silencieuse" ? Pourquoi parler des revendications religieuses d'une partie de la population et pas de la situation socio-économiques qui le poussent à ce communautarisme (certes contraire à notre pacte républicain, j'en conviens parfaitement) ?

    Opposer "Islam" et valeurs de tolérance et de respects de différences, c'est mal connaître l'Islam et ce que Raphaël Liogier essaie d'expliquer. Il ne remet pas en cause la réalité des faits mais tente de lui redonner un sens et une explication dépassionnée, démystifiée. Ce qui se passe est un problème politique, social et non pas religieux. Ce n'est pas l'Islam qui est le problème, mais le pacte républicain qui a été rompu et ses diverses conséquences. L'Islam est loin d'être un tabou, c'est justement devenu une obsession.

    Cela étant dit, je suis tout à fait d'accord pour dire qu'il est injuste de taxer les gens de raciste quand ils veulent en parler. Les musulmans de France sont devenus un problème sociétal suite à leur instrumentalisation et il faut en parler pour déconstruire les discours simplificateurs : c'est tout l'objet du livre de Raphäel Liogier, qui engage un dialogue de bonne foi pour informer le plus grand nombre sur le mythe de l'islamisation.

    Analyser le problème (si tenté qu'il existe...) des musulmans de France sous le prisme religieux occulte les paramètres sociaux et permet de ne pas parler de la "fracture sociale" qui existe en France depuis des années et qu'on a laissé s'envenimer. C'est pour cela qu'il est devenu difficile de parler de l'Islam : c'est toujours pour montrer qu'il est contraire aux valeurs de la France au lieu de mettre le doigt sur les raisons qui ont causé le communautarisme d'une infime minorité. Les causes ne sont pas intrinsèques à l'Islam mais sociales. Raphaël Liogier, par sa position de sociologue, offre enfin l'analyse qui manquait pour comprendre le phénomène social des musulmans de France.

    J'espère avoir pu répondre un tant soit peu à vos questions, à laquelle je laisse Michel Terestchenko répondre, avec sans doute plus d'acuité.

    Cordialement

    PS : Un article qui pourrait vous intéresser (même si vous devez être loin de partager ses idées): http://lmsi.net/Comment-peut-on-etre-Francais

    MathieuLL a dit…

    Bonjour à tous…

    J’espère ne pas arriver comme un cheveu sur la soupe dans ce débat déjà bien entamé… mais j’aimerais faire part de quelques idées qui, je crois, pourraient éclairer la question.

    Il n’est pas possible de fermer les yeux sur ce point : que toute religion, toute idéologie, est par essence vorace. Ce que l’on reproche à l’Islam (ou l’ « Islam extrémiste »)… s’applique aussi à tout système de pensées et de valeurs qui revendique l’absoluité. On dénonce le crime d’apostasie dans l’islam, et donc l’interdiction de changer de religion sous peine de mort (dans les pays où ils peuvent appliquer leurs lois, bien sûr…). Mais ne trouvons-nous pas les mêmes principes dans le Nouveau Testament, ce livre de l’ « amour » ? Lisez par exemple les versets 9 et 10 de la seconde épître de Jean, et sa recommandation à se séparer de tous ceux qui n’enseigneraient pas la doctrine chrétienne… Oh bien sûr, nous avons appris à opérer une lecture « symbolique »… mais pourquoi donc ?

    Dans Foi et savoir, Derrida déclare quelque chose de très pertinent, et je le cite en substance : 'lorsqu’une religion commence à reconnaître la nécessité de l’œcuménisme, c’est qu’elle a perdu sa puissance'. Si aujourd’hui les religions chrétiennes, en Occident, semblent poser moins de problèmes que l’Islam, notamment sur la question de la tolérance…, si l’islam semble plus archaïque et menaçante… ce n’est là qu’illusion. L’Eglise a perdu son pouvoir (en particulier depuis 1905). Ayant perdu son pouvoir temporel et, dans une autre mesure, son pourvoir spirituel, elle s’est peu à peu transformé en « fossile » dans la société. Limité au dimanche, le Clergé a perdu son pouvoir. Cependant, le christianisme continue de garder en puissance, et même parfois en acte, des instincts inquisiteurs, instincts qui sont sublimés à cause des chaînes salutaires de la Laïcité et de la République.
    Pour l’Islam, c’est différent. Pourquoi ? Précisément parce qu’il s’agit d’une religion qui, dans ses terres d’origines, n’a pas encore connu d’échec ou de limitation conséquente de ses pouvoirs. De fait, sa situation correspond à peu près à celle de l’Occident lorsque l’Eglise en était encore maîtresse. De fait, les musulmans transportent avec eux, dans les pays d’Europe où ils se retrouvent, cet air d’archaïsme et de « vieux moyen-âge » que nous ne pouvons pas nier. Mais comprenons bien qu''il n’y a pas de différences fondamentales entre les valeurs et les comportements de l’islam et les nôtres… simplement : il existe un décalage temporel, sorte d’anachronisme, qui rend très difficile l’échange et la communication.

    CEPENDANT, l’Islam occidental apprend à évoluer dans son nouvel environnement : il apprend à sublimer ses instincts inquisiteurs. Et c’est cela que l’on doit prendre en compte, sous peine, en effet, de sombrer dans la paranoïa. Il y a donc musulmans et musulmans. Les premiers vivent selon leurs instincts naturels et propres à toute religion expansionniste (comme le judaïsme orthodoxe, par exemple, qui atteint des records en matière de racisme et de discrimination, ou certaines branches protestantes qui n’ont toujours pas perdu de leur rancoeur envers les catholiques !), et ceux-là ne doivent pas être écartés par « pudeur ». Les seconds ont accepté le processus d’ « évolution » que rencontre toute religion ou système idéologique lorsqu’il(elle) apprend à dépasser ses instincts « carnassiers »… C’est cet Islam qu’il faut revaloriser, comme le fait Liogier.

    Il est donc triste d’éclipser l’Islam intellectuel, l’Islam bénéfique… au détriment du premier Islam. Mais n’est-ce pas là la preuve que cette religion est en pleine mutation ? Et une mutation ne s’accompagne-t-elle pas nécessairement de crises ? Nous qui avons accompli nos révolutions intellectuelles… Pourquoi ne nous réjouirions-nous pas du Printemps Arabe… ?

    Kévin a dit…

    je vous rejoints, Matthieu, pour dire que toute religion, toute idéologie (qu'elle soit religieuse ou idéologique) est par essence vorace. En effet, elles croient toujours détenir une forme de vérité et fait toujours tout pour que cette vérité soit faite. Or, les plus sages savent bien, comme Krishnamurti, que "la Vérité est un pays sans chemin". Aussi, je considérerais volontiers qu'une idéologie est vraie à partir du moment où l'on peut s'en passer. Mais là n'est pas le débat.

    Pour revenir à ce qui nous concerne ici, je comparerais plutôt l'idéologie de l'islam à l'idéologie "croissanciste" qui nous mène aujourd'hui en occident et qui n'est pas, non plus, sans inconvénients.

    A mon sens, ce que nous nous représentons de l'islam est le reflet inversé des dérives de cette idéologie croissanciste. En fait, ce que je tente d'exprimer est que le discours occidental sur l'Islam est moins un discours sur ce dernier que les sur les parties obscures du projet croissanciste. Comme j'ai voulu l'indiquer dans mon premier commentaire, à travers leur "fanatisme", c'est le nôtre qui nous fait peur. A travers la question du voile, c'est peut-être notre propre exploitation de ce qu'Annick de Souzenelle appelle "le féminin intérieur" et que la nature objective en partie.

    MathieuLL a dit…

    Bonjour Kevin,

    [La référence de Derrida, Foi et Savoir, que j'ai enfin retrouvée… ! : §37.1).a),b)]

    En effet. La peur de l'autre, la peur de l'inconnu, la peur de l'insolite selon nos mœurs…, cette peur primitive, mais naturelle, est le plus grand obstacle pour toutes sociétés vivant en promiscuité. Si je dis qu’elle est naturelle, je ne dis pas pour autant qu’elle est légitime ! C’est une réaction instinctive de l’homme, de l’animal, devant ce qui est nouveau et qui peut, le doute s’impose d’abord, s’avérer dangereux. Le meilleur « moyen » de sortir de cet état de crainte et de bassesse intellectuelle : Philosopher ! Ce sont toujours ceux qui croient savoir, ie ceux qui pensent connaître de façon certaine le bien, le mal, le juste, l’injuste, le vrai le faux… qui engendrent les plus grands conflits (guerres de religions, conflits politiques, culturels, moraux…). Si l’Occident réagit mal contre l’Islam, la réciproque est vraie ! Ils ne nous comprennent pas plus que nous ne les comprenons…

    Pour rejoindre implicitement votre pensée : j’aime beaucoup l’idée de l’inconscient collectif… L’étude comparée des religions, ou plutôt des cultures, nous apprend que tous les hommes sont fondamentalement les mêmes. De la plus petite tribu africaine trop stéréotypée à la société la plus complexe… le matériau reste le même : l’Homme. Et tous ses instincts ‘primitifs’ : fétichisme, magie, superstition, cannibalisme, etc. ne sont jamais supprimés, mais seulmement transformés. Le plus difficile, donc, pour une société, c’est de réussir à maintenir l’ordre à travers une telle palette de cultures variées, qui ne se sont pas développées au même rythme. Mais attention : ne jamais introduire ici les notions de supériorité ou d’infériorité d’une culture sur une autre !! Les mécanismes sont simplement différents, présentant chacun des avantages et des inconvénients.

    A mon sens, le meilleur moyen de surmonter ces difficultés réside dans l’Education. Enseigner la philosophie (ou des matières « équivalentes »…) dès le collège permettrait de dégonfler les esprits trop croyants (pas simplement au sens religieux) afin de les rendre plus ouverts, plus sincèrement pacifistes.

    Bon, j’ai assez parlé je crois …
    Salutations
    Mathieu Lopes Luis

    Emmanuel Gaudiot a dit…

    Chers amis, vos échanges sont intéressants ; je ne crois pas trahir votre pensée, Mathieu, en disant que la solution est la philosophie. Nous autres, nous l'avons, chacun d'entre-nous à son échelle : d'aucuns l'articulent avec brio, connaissent les textes de nombreux auteurs, d'autres la pratiquent comme un acte d'apaisement, je crois appartenir à la seconde catégorie.
    Cette revendication s'inscrit, à mon sens, dans la lignée de la démarche de Raphaël Liogier, qui a produit cette étude, ou de Michel Terestchenko qui la promeut. La question qui sourd n'est pas celle de l'Islam -car il est un alibi-, mais celle de la tolérance. Notre devoir, en tant que philosophes, est d'alerter ceux qui le sont moins, ou pas du tout, de l'erreur qu'ils commentent quand ils brandissent l'arme de la stigmatisation : l'histoire est riche de massacres, et d'autres actions collectives insensées de mise à l'index de celui qui est différent. Nous devons sans cesse rappeler des drames comme celui de la Shoa, mais nous devons le faire de manière apaisée, car il ne faut pas répondre à la violence par la violence.
    La difficulté réside justement en ce que l'immédiateté de l'information (lire in-formation comme une mise en scène pour choquer, percuter, marquer les consciences) ne permet pas au commun des mortels de prendre du recul, et que le temps du philosophe est un "sine die" : le sentiment créé par la diffusion d'images est si délicat à maîtriser!
    Remarquons également dans quel contexte émerge ce qu'il n'est pas exagéré d'appeler un repli identitaire ; tout ce passe comme si l'humanité était soudain fractionnée : en cultes, en ethnies, en groupes sociaux, etc. Ce que l'on oublierait c'est qu'il en a toujours été de même, c'est que le système le plus unifié que l'on nomme "american way of life" n'a pas pour autant dissout totalement les autres systèmes grégaires, mais que son échec est évident, que l'économie néolibérale semble s'inscrire comme un totalitarisme, et que le moyen d'y échapper est le retour à ce qu'on connait le mieux -son dieu, son pays,...
    Un dernier sentiment nous assiège : celui de l'urgence. Puisque chaque évènement chasse l'autre, puisque chaque crise succède à une autre crise, que chaque provocation prolonge la précédente de façon si rapide, grâce aux moyens de communication moderne (inernet, twitter, facebook,...) chacun a l'impression d'être agressé à chaque instant, croit devoir réagir sur tout à tout instant. La véritable solution est vraiment la philosophie.
    Merci Michel pour cet article, et pardon à tous pour cette glose : ça fait tellement longtemps!

    Anonyme a dit…

    Bonjour à tous

    Sans entrer dans ce débat plus politique (qui est un citoyen? Que cela implique-t-il comme droits et obligations?) que philosophique, personne n'a jamais réussi à me départir de ce sentiment profond: sous l'égide d'une civilisation musulmane, Bach n'aurait pas composé, Raphaël n'aurait pas peint, Montaigne et Hegel n'auraient pas écrit, Brel et Barbara n'auraient pas chanté, A bout de souffle n'aurait pas été filmé. Chacun y mettra ses propres références, mais j'ai du mal à croire que les civilisations soient égales et que les religions soufflent le même esprit universaliste.

    Aissa Benyagoub, L3 SEPAD a dit…


    Je suis français d'origine maghrébine.Le Maghreb est une terre d'Islam,de facto je suis donc selon la tradition, musulman.Mais suis-je croyant?La tradition musulmane permet à "qui le veut" d’être musulman assez facilement,personne ne vérifiera la réalité de votre foi.Il y a une adhésion par conviction et par tradition ou formalisme.Ainsi,en ce qui concerne la délinquance ,par exemple, qui est également le fait de sujets français d'origine maghrébine,stricto sensu au regard de la religion,ils ne peuvent être croyants du fait de leurs délits,en dépit de leur islamité formelle.
    Ces propos afin de mettre en garde un fois de plus contre l'amalgame,délinquance,terrorisme et Islam.Plutôt il faut questionner ,enquêter cet amalgame si simple, si pratique pour certains politiques.
    Pour Raphaël Lioger,le mythe de l'islamisation procède de l'imaginaire d'une menace.Je pense qu'il y a actuellement chez tout les peuples européens,un sentiment réelle de dépossession générale:souveraineté,démocratie,etc...Certe la réalité de cette dépossession est discutable...La menace d'un Islam conquérant fait partie de ce sentiment.Mais outre ce sentiment,il y a bien un jeu de l'imaginaire(via les masses médias)avec ses symboles?Par exemple,qu'est-ce que Al Qaida?Une organisation réelle?Ou un nom symbolisant l'ennemi qui ne dit pas son nom?Également,en lame de fond,certes des problèmes économiques,sociaux,identitaire qui sont bien réels,opère le mécanisme psychologique de projection sur l'Autre.A ce titre, je remarque dans les commentaires précèdent les "Nous" et "eux"qu'on peut retrouver chez certains citoyens français de confession musulmane.
    Pour moi, on peut critiquer l'Islam,cela ne peut être que salutaire,je n'ai aucune difficulté avec cela.Au contraire cela permet l'échange,la réflexion avec ,tout de même un prérequis qui est l’honnêteté intellectuelle.
    Je choisis à la place du terme tolérance celui d'acceptation mutuelle,en tant que musulman,de ce qui peut nous être commun.Et en tant que citoyen français ma devise est celle d'un Voltaire:je ne suis pas d'accord avec vos idées mais je ferais tout pour que vous puissiez les exprimer et les défendre.Je récuse le terme de "voracité" concernant les religions.Au contraire je l'applique volontiers au système capitaliste et néocapitaliste.Philosopher,c'est rechercher ensemble et de bonne foi le vrai selon la méthode et l'attitude socratique.
    Pour Alain de Libéra,spécialiste de philosophie médiévale<>(entretien donné dans Philosophie magasine).Je renvoie,pour ceux qui sont intéressé,aux penseurs de l'Andalus du 12eme siècle:Ibn Bajja(Avempace),Ibn Tuyfayl(Abubacer) et Ibn Rushd(Averroès);l'époque où à Bagdad(période du Haut moyen age)se traduisait du grec en langue arabe les œuvres d'Aristote,Platon,Plotin,Proclus.Egalement Avicenne(Ibn Sina) qui dans son livre "Le livre de la guérison(Kitab al shifa),commente et paraphrase l'essentiel de l’œuvre d'Aristote qui nous ai ,aujourd'hui accessible.
    Je ne suis pas nostalgique de cette période,je vis avec mon époque.Un temps dans lequel s'engage une réflexion,un travail de réforme de l'Islam,je pense à l'ouvrage de Tarik Ramadan "La réforme radicale".Pour Alain de Libéra << le monde musulman a cessé de traduire les Anciens et il n'a jamais eu ses modernes>>(sic).Je conclurais avec ses mots,à la question de l'existence d'un modèle andalou,il répond<>.

    Aissa Bneyagoub L3 SEPAD a dit…

    ...

    Citations d'Alain de Libéra:

    Citation 1 <>

    "De 1200 à 1600,à l'époque où l'expression "philosophe arabe" était un pléonasme,c'est en lisant Averroès(Ibn Rushd en arabe)que les latins ont appris à philosopher.C'est donc un penseur musulman d'Al Andalûs (Andalousie)qui,aux côtés d'Aristote, a pendnat quatre siècles incarné la rationnalité philosophique dans l'Occident chrétien"(entretien donné à Philosophie magasine;oct/nov 2006)

    Citation 2: <>

    "Non,il y a plutôt un mythe andalou: celui de la "convivance".Les mythes ont leur force et leur utilité.Mais l'histoire,la discipline historique,en a plus encore.La Philosophie n'a besoin ni de modèles ni de mythes.Elle n'a besoin que de philosophes et d'étudiants".