On se forme l'esprit et le sentiment par les conversations, Pascal

jeudi 13 mars 2014

Des Maïdan pour la Syrie

Tribune parue sur le site du journal La Croix de ce jour.

Des Maïdan pour la Syrie
Dire notre refus du discours et de la politique de l'impuissance


"A quoi bon dénoncer les horreurs du passé, la complaisance des citoyens et des organisations sociales (partis, syndicats, Eglises) qui les ont laissés survenir si nous n'en tirons aucune leçon ? La réprobation rétrospective est une posture aisée et elle est inutile si elle ne nous conduit pas à faire tout notre possible pour empêcher les tragédies qui se déroulent sous nos yeux et dont notre silence et notre indifférence nous rendent complices.
Trois ans après le début de l'insurrection contre le régime de Bachar el-Hassad, les souffrances quotidiennes subies par  le peuple syrien sont une réalité que nous ne pouvons plus continuer de tolérer. Voilà ce que nous devrions faire entendre aux responsables politiques de nos Etats démocratiques qui prétendent que la situation est tellement complexe, inextricable, qu'à part tenter de réunir les protagonistes du conflit, il n'y a vraiment rien à faire, rien de raisonnable du moins. Nous avons tant intégré ce discours de la Realpolitik, répété à l'envie par les analystes, que notre déploration s'accompagne d'une attitude généralisée de passivité. Mais pour en arriver là, il aura fallu que nous ayons oublié les vertus de la mobilisation collective. Ce discours réaliste justifie une politique de retrait dans les affaires syriennes. Du reste, c'est à peine si on en parle encore depuis les événements d'Ukraine et maintenant de Crimée. Mais imagine-t-on que nos gouvernants pourraient continuer d'adopter une telle pusillanimité si jour après jour, semaine après semaine, mois après mois, se réunissaient des milliers, des dizaines de milliers de manifestants, plantant leurs tentes sur les principales places et artères des capitales occidentales pour clamer haut et fort : nous ne partirons pas tant que vous n'aurez pas tout essayé, tout fait, et de concert, pour mettre un terme au massacre des innocents.
Quelle solution exactement ? Nous ne savons pas. C'est votre responsabilité, Mmes et MM nos gouvernants, de la trouver. La nôtre est de vous engager à vous y atteler et ne nous dites pas qu'il faut se résoudre à être les spectateurs de l'inévitable. Nous ferons de Times Square, de Piccadilly Circus, de la place de la Concorde, de tous les lieux où se réunissent les hommes libres, autant de Maïdan, non pour la défense de nos intérêts mais pour la garantie des principes et des droits sans lesquels la vie humaine est une existence sans dignité. Et quel droit est plus fondamental que de ne pas laisser des femmes et  des enfants être exposés aux viols, aux tortures de la faim, aux bombes et à la mort, à la nécessité de vivre comme des rats pour espérer survivre peut-être ? Face à une telle détermination, aucun dirigeant ne prendrait le risque de soutenir une position « réaliste » qui le conduirait au discrédit, à l'humiliation publique et à la ruine de sa carrière.
Sans doute, ne s'agit-il là que d'une expérience de pensée, mais elle n'a rien d'une fiction. C'est le devoir des citoyens des sociétés démocratiques, parce qu'ils en ont la liberté, d'exercer un contrôle, voire, dans certains cas, une pression forte sur leurs dirigeants. En l'occurrence, ce ne serait pas pour protester contre tels projets de loi sur les retraites ou le mariage pour tous, lesquels ont pourtant jeté dans la rue des foules considérables. Non, nous nous mobiliserions pour dire notre refus du discours et de la politique de l'impuissance et, en attendant les résultats, pour  faire savoir aux victimes de ce conflit effroyable : vous n'êtes pas seuls.
Nul angélisme dans ce rappel de notre responsabilité commune à l'égard des politiques publiques, relèverait-elle des affaires étrangères de l'Etat. Face à l'horreur, il n'y a pas de domaine réservé. Sans l'aiguillon de l'idéalisme des citoyens le réalisme n'est le plus souvent, en politique, qu'une forme déguisée de cynisme."

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