Merci à Paul Jorion d'avoir fait circuler sur le forum du MAUSS ce témoignage, un peu décalé, sur la personnalité de Claude Lévi-Strauss.
"La première image qui me revient de Claude Lévi-Strauss date de la fin des années soixante et c'est celle de son dos : les longues minutes qu’il pouvait passer lors de son cours au Collège de France, le dos tourné à la salle, tout occupé au dessin d'un diagramme représentant les relations d'inversion entre divers passages de mythes amérindiens. Cette absence totale d'intérêt pour ceux qui venaient l'écouter débutait au moment où il entrait dans l'amphithéâtre, sans le moindre regard pour eux, et il ignorait tout aussi bien son auditoire au moment de quitter la salle.
On pourrait évoquer la timidité, ou l'arrogance, mais il ne s'agissait pas de cela : c'était plutôt que les choses qui l'intéressaient étaient peu nombreuses et faisaient pour lui l'objet d'une quête d'ordre essentiellement privé. Le désir de communiquer n'était pas le sien, et s'il communiqua, ce fut principalement, et comme il se plaisait à le rappeler, à la demande d'autres : directeurs de collection, UNESCO, éditeurs, autorités académiques, etc.
Ceux parmi ses élèves qui furent ses proches, évoquent, non sans une certaine amertume, le fait que ses contributions aux conversations qu'ils tentèrent d'avoir avec lui furent principalement monosyllabiques. Je ne lui parlai personnellement en tête-à-tête qu'en très peu d'occasions mais durant ces rares fois, mon expérience fut très différente. Je me souviens en particulier d’une conversation longue et animée que nous avons eue, vingt ans après l'époque où je participai à son séminaire consacré au rapport existant (ou n'existant pas) entre les objets mathématiques et le monde. Les interlocuteurs qu'il put trouver sur les rares sujets qui le passionnaient n'existaient en réalité qu’en très petit nombre.
Chose à laquelle il m'est difficile de m'identifier personnellement, la quête solitaire lui paraissait non seulement le mode par défaut de la réflexion intellectuelle, mais bien plus encore, sa forme ordinaire. En témoigne en particulier, son instance à affirmer, non sans une certaine satisfaction d'ailleurs, qu’il n'était pas à la tête d'une école. Sentiment que ne partageaient ni ceux qui se considéraient légitimement ses disciples, ni les imitateurs innombrables, et au talent très inégal, de sa fameuse anthropologie structurale. L'illusion qu'il entretenait de l'absence d'une école de pensée lévi-straussienne, reflétait tout simplement le peu d'intérêt qu'avaient à ses yeux les travaux des chercheurs que son oeuvre inspirait, confirmation supplémentaire du caractère purement privé de sa « pulsion épistémophile ».
J'ai lu ces jours derniers, les hommages de certains autres de ses élèves et nous sommes nombreux aujourd'hui à nous souvenir d'un talent très spécial dont notre maître faisait montre à l'occasion de son séminaire. Toujours attentif aux propos de son invité, il lui arrivait de le laisser se dépatouiller dans un exposé laborieux des travaux auxquels celui-ci avait consacré dix années de sa vie au moins, pour lui dire quand il avait fini : « Ne pourrait-on pas également présenter les choses de la manière suivante ? » Et de porter alors l'estocade, en faisant apparaître, pareil au magicien, l'harmonie et la beauté enfin rétablies dans leurs droits, au sein du système boiteux que le malheureux avait seulement été capable de construire.
L'humiliation de l'invité n'était pas recherchée par lui, et il aurait sans doute été très surpris si on la lui avait mentionnée, ni non plus l'arrogance. Non : il s'agissait pour Lévi-Strauss de comprendre, et ce qu'il nous communiquait sous forme d'explication (puisqu'après tout, nous étions là), c'était ce déchiffrage qu'il avait opéré à titre privé et dont le mécanisme devait être de la même nature exactement que quand il lisait un ouvrage mal ficelé dans l'espace clos de son propre bureau.
Le monde était en effet pour Lévi-Strauss un vaste ensemble de choses à comprendre. Il s'appliqua sans aucun doute à cette tâche dès son premier jour et il est mort, j'en suis sûr, en continuant à penser. Nous qui avons eu l'honneur de le côtoyer en avons immensément bénéficié. Qu'en a-t-il lui tiré ? Rien ou presque. Qu'importe ! la machine à penser à la fois grandiose et monstrueuse qu'il était, à la fois Dieu et animal, avait cette capacité de fonctionner en circuit fermé, sans apport extérieur. « À la fois Dieu et animal », comme Octave réfléchissant à sa double nature dans la pièce inachevée L'apothéose d'Auguste que Lévi-Strauss évoque dans Tristes Tropiques. Avec Octave se métamorphosant en Auguste, c'était certainement le paradoxe de sa propre personne qu'il mettait en scène. Sans aucune prétention d'ailleurs : la vanité n'avait aucune place dans son univers. Il était bien au-dessus de tout cela !"
4 commentaires:
Un témoignage encourageant pour les autodidactes qui cherchent leur voie bien seuls, comme l'était "Rousseau, notre maître, Rousseau, notre frère", d'après Tristes Tropiques.
Il s'agit aussi d'une invitation à nuancer la célébration funéraire et médiatique tendant à en faire, après coup, un maître à penser qu'il n'a - on le voit ici - jamais été...
Lévi-strauss est un epnseur issu du colonialisme, qui regrette la fin du colonialisme, car avec l'émancipation. Il ne faiulaait pas traité les peuples colonisés comme des objets mais pour lui ils étaient "objet de connaissance", et surtout pas des sujets. Il souhaitiat vivre à un époque où il y avait le colonialisme pour pouvoir voyager rapidement jusqu'au x minorités mais que celles-ci ne soit pas totalement détruite. Lévi-Strauss est un FOSSOYEUR, il travaillait "pour nous" non pour ces peuples. Ceci se comprend bien si comme il l'affirme la pensée strucutrale a à voir avec l'empire coloniale hollandais et la confrontation de la pensée hollandaise strucurale aux peuple indonésien. Le départ de l'anthropologie structurale est là même si Levi-Strauss se défend d'en avoir eu connaissance au début, Jacobson ayant été une rencontre décisive.
Lévi-Strauss reste un penseur de l'oligarchie. Debray qui ne comprend jamias le milieu où ilest,aura beau dire que c'était un anachiste en habit vert, il s'est leurré. La description de Jorion laisse poindre cela, il a tous les traits du "plus hideux des hommes".
Mais personne n'a rien compris à rien, excepté Jorion comme d'habitude... Vénérons l'irrévencieux alors, mais avec Lévi-Strauss c'est bien le serpent du savoir qui se mort la queue. Les exemple autres que ceux que je viens de citer ne manquent pas, ils sont tirés des propos même de Lévi-Strauss. Mais la grandeur de cet oligarche est qu'il n'a jamais eu à porter de masque, la vénration veugle et toute l'impcompréhension qui l'entourait aussi. Est-ce un hasard s'il se demandait dans une longue interview croisée avec Bourdieu, Vernantr, Compte-Sponville, si la science qu'il pratiquait avait un sens... J'arrête ici mes indications.
Bonne continuation à vous.
Je vois que j'ai écrit : "son instance à affirmer", c'est "son insistance à affirmer" bien entendu. A effacer ensuite svp !
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