Rédigé à la hâte, comme une esquisse, ce petit texte, à la demande d'un site ami de philosophie et de photographie, Philobjective, magnifiquement créé par d'anciens étudiants de Sc-Pô Aix, auquel je collabore avec joie.
Comme il est faux et bête de parler à l'endroit de l'enfant d'immaturité ! N'est-ce pas chez les adultes surtout que ce défaut se trouve ? « Chaque âge, chaque état de la vie a sa perfection convenable, sa sorte de maturité qui lui est propre .» écrit admirablement Jean-Jacques Rousseau, dans l'Emile. Mesuré à l'aune de la raison, qui fut longtemps considérée, dans notre tradition occidentale, comme le seul critère distinctif de l'humanité, l'enfant devra se faire aussitôt que possible « petit homme », respectueux des règles de la vie sociale et les jouant à merveille, assez intelligent pour apprendre à tracer sa route suivant son intérêt bien compris, à se préparer un avenir où il saura gagner sa place et se rendre utile et efficace, poli et prudent suffisamment pour acquérir les vertus de la dissimulation et du compromis ; il parlera avec aisance le langage des salons ou mieux, le discours formaté des cabinets de recrutement, et se vêtira selon les canons de la mode, désireux déjà de séduire son monde – enfin, il sera, et de toutes les manières possibles, apprêté au grand jeu de dupes qu'est la vie entre adultes au risque, l'âge venu, de voir en celle-ci seulement une foire aux vanités. Et comme bien sûr, malgré toute sa bonne volonté, il ne sait pas encore s'y prendre avec le talent nécessaire, on le jugera, en effet, « immature ».
Mais l'enfant, abandonné à lui-même, à sa solitude rêveuse – comme il vaudrait mieux le préserver un peu de la télévision et de ces nouveaux médias qui brident et entravent l'imagination ! –, laissé à ses fantaisies, à son intelligence, parfois de voyant, au chiffre de sa langue, vif, goguenard et joyeux comme Gavroche, il prend sa place dans la ronde des elfes et s'il est violent à ses heures, ou capricieux, ou s'il se met en danger, ou s'il rechigne trop à apprendre les règles de la vie commune, sans lesquels, c'est entendu, il n'est pas de société d'hommes libres, on le canalisera, il le faudra, c'est sûr. Et s'il est de notre devoir de lui passer le témoin, de lui transmettre petit à petit le sentiment d'admiration et d'amour pour les plus belles œuvres du génie humain, avec l'espoir qu'un jour peut-être, il saura ajouter à la tradition les formes nouvelles de son invention, ce sera sans jamais toucher à ce beau principe qui demande, sans démagogie, et la formule de Rousseau est magnifique, de « laisser mûrir l'enfant dans l'enfant ».
Gavroche, dessin de Victor Hugo
1 commentaire:
Voici un bel écho de la pédagogie de Maria Montessori qui affirme que l'enfant porte en lui même la clef de sa propre énigme personnelle.
Elle affirme en effet que: « L'enfant possède une vie psychique active, même alors qu'il ne peut la manifester, parce qu'il lui faut élaborer longuement et dans le secret ses difficiles réalisations. Et cette conception nous fait percevoir une vérité impressionnante: une âme emprisonnée, obscure, qui cherche venir à la lumière, à naître, à croître; et qui va, peu à peu, animer la chair inerte, l'appelant avec le cri de la volonté, se présentant à la lumière de la conscience avec l'effort d'un être qui vient au monde ».
Il nous est ainsi demandé à nous parents ou professeurs de faire confiance à cet enfant et d'adopter une certaine retenue dans l'éducation que nous souhaiterions lui offrir.
Mais cette retenue qui nous est suggérée n'est-elle pas difficile à mettre en œuvre ? Ne sommes-nous pas tentés de modeler la vie de notre enfant, à sa place ?
Osons « laisser mûrir l'enfant dans l'enfant » !
Maria Montessori, L'enfant, Desclée de Broower, Paris, 2006
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