Eric-Emmanuel Schmitt vient de publier un recueil de nouvelles, Les deux messieurs de Bruxelles, dont l'une est intitulée « Le chien ». Je n'ai lu aucun livre de cet auteur à succès, mais invité sur France-Inter ce soir, il a raconté d'où lui est venu l'idée de ce récit : à un moment de Ethique et infini, Emmanuel Lévinas rapporte comme il fut bouleversé par la fête que lui fit un chien, alors qu'il était détenu dans un camp nazi pendant la Seconde Guerre mondiale. Un animal lui avait rendu le sentiment de sa dignité bafouée et s'était comporté à son égard avec une humanité dont les gardiens n'étaient plus capables. Je ne sais comment le romancier s'est emparé de ce souvenir, mais, à peine évoqué, c'est comme un monde et une perspective nouvelle qui s'ouvre devant soi, et je songe à ceci :
Devrait-on se moquer de ces personnes âgées, laissées seules par leurs enfants et leur famille, qui tiennent à la corde de la vie par l'affection d'un animal de compagnie ? La solitude, sans doute, est lourde et triste, mais elle est alourdie et rendue plus insupportable par l'indifférence et l'égoïsme des proches. A défaut de tendresse envers ses parents – peut-être n'en sommes-nous pas tout à fait capables, tant de choses difficiles entre nous se sont passées - ce devrait être pour le moins un devoir d'en prendre soin, de leur témoigner que le sens de l'existence ne s'évalue pas seulement à l'utilité, qu'ils comptent encore, que le temps passé a effacé reproches et récriminations qu'on pouvait nourrir à leur endroit et qu'ils méritent un infini respect parce que, plus que nous, ils se trouvent dans la main de la mort qui nous attend tous. Un animal n'a nul souci de ces considérations ni de ces devoirs. Tout à la joie d'exister, lorsqu'il aboie et frétille de la queue, c'est la vie en lui et la vie en l'autre qu'il célèbre, la vie que nous avons en partage et qui nous est commune, ce grand lien cosmique qui ne connait pas de séparation. Alors que ce puisse être, au terme de son existence, une joie et une consolation de s'en nourrir, comment y voir du ridicule ? Il y a parfois plus d'intelligence profonde chez l'animal que chez l'homme. Qu'elle soit inconsciente ne la rend pas moins mystérieuse ni moins magnifique. La grande loi de l'amour s'y manifeste dans sa sublime indifférence. Qu'importe à la bête qu'on soit riche ou pauvre, jeune ou vieux, d'un physique avenant ou le corps dégradé par la vieillesse et la maladie, sans domicile fixe ou au sommet de la gloire ! Pourvu que nous ne la fassions pas souffrir, dans sa grande équanimité, elle léchera la main de l'un comme de l'autre, et c'est une leçon à retenir.
15 commentaires:
Il est vrai que l´innocence des animaux peut inspirer les hommes et les inciter à reconnaître en chaque individu, indépendamment de sa condition sociale, un être humain à respecter. Toutefois, il faut garder à l´esprit les différences dont l´animal ne peut prendre conscience. Ainsi un chien lèchera tout aussi bien la main d´un saint que d´un scélérat, pourvu que ce dernier lui donne à manger. Un animal n´a pas de conscience morale et n´a aucun problème à suivre fidèlement son maître, même si celui-ci est un assassin ou un violeur. Ainsi, les hommes auraient intérêt à s´inspirer de „l´amour“ désintéressé de l´animal, sans toutefois oublier que, contrairement à lui, il possède une conscience morale. Bien sûr, même un scélérat peut être digne d´amour s´il se repentit, mais il s´agit alors d´un acte de pardon, dont seul l´homme conscient est capable.
R.Lecomte
Votre commentaire sur le rapport entre les chiens et les hommes, monsieur Terestchenko, m’a fait penser à un extrait du Monde comme volonté et comme représentation, (tome 2, page 232, de la traduction de Burdeau, que je viens de retrouver sur Gallica, car, n’était pas chez moi, je n’ai pu me référer à la version Puf que je possède) : « Remarquons pourtant en passant que son ami unique, le chien, a sur les autres animaux une supériorité propre et caractéristique, je veux parler de son frétillement si expressif, si bienveillant, si foncièrement honnête. Comme ce salut, que lui inspire la nature, forme un heureux contraste avec les révérences et les grimaces polies des hommes ! Comme il est mille fois plus sincère, du moins pour le présent, que leurs assurances d’amitié et de dévouement ! »
En effet, même si les animaux n’ont pas une « conscience » identique à celle des hommes, leur faculté à éprouver des stimuli agréables au contact des humains (ce que nous pourrions dès lors appeler « affections ») et ce quel que soit l’état physique ou moral de la personne, est le signe d’une fidélité sans raison, sans intérêt, c’est-à-dire inconditionnée – ou conditionnée par l’affection elle-même et seulement elle-même. Mieux : cette fidélité nous incite à considérer les êtres humains au-delà de leur « moralité » ou de leur « immoralité ». Car un homme n’est ni bon ni mauvais en soi. En outre, au-delà du plan moral, n’oublions pas qu’il y a derrière chaque homme un être vivant caractérisé par des besoins affectifs incontournables, c’est-à-dire essentiels. Même le monstre, lorsqu’il est brisé, redevient un enfant. Et c’est là que l’animal fait son entrée : il est la réponse à cet appel primitif de tous les organismes : l’affection, la chaleur.
Concernant l’abandon des parents âgés par les enfants… Plutôt que d’y voir un défaut d’amour, pourquoi ne pas reconnaître là le signe d’une gêne insoutenable face à la vieillesse de ceux que l’on a justement chéris ? N’est-ce pas un défi moral que d’accepter de voir ses parents se dégrader peu à peu et finalement sombrer dans la maladie, physique ou mentale ?...
Je suis d'accord avec Matthieu, le manque d'affection des enfants envers leurs parents est moins dû à un manque d'amour qu'au refus d'être confronté à la vieillesse de personnes qui nous sont trop proches, et qui nous rappellent inévitablement notre propre mort. Pourquoi se confronter à l'image de la fin d'une vie, quand on a à la maison des enfants, qui représentent tout le contraire ?
Et peut-être qu'effectivement, le chien joue le même rôle pour les gens qui n'ont pas la chance d'avoir une présence, quelqu'un qui leur rappellerait ce que c'est qu'être vivant, et leur ferait oublier leur propre finitude.
Mais la médaille a alors un douloureux revers : car si le chien vient à mourir avant son maître, l'antidote contre la peur de la mort ne devient-il pas le poison ? Un véritable pharmakon platonicien, en somme.
Ce qui est touchant avec l'histoire racontée par Levinas de Bobby-le-chien, c'est que dans le contexte de camps de concentration, les nazis privaient des hommes d'humanité et les traitaient comme des animaux ; seul Bobby, un chien, a su reconnaître des hommes dans les prisonniers des camps. "Pour lui — c'était incontestable — nous fûmes des hommes." Là où les hommes ne savaient reconnaître leur semblable, le chien, lui a su reconnaître l'humain. Le chien a considéré ces hommes pour ce qu'ils étaient vraiment c'est-à-dire des hommes. C'est pour cela qu'on peut dire que Boby est le « dernier kantien de l'Allemagne nazie ».
Certes, les personnes âgées trouvent du réconfort et arrivent à supporter la solitude grâce à la compagnie d'un chien, d'un animal domestique. Mais ce que l'on peut trouver ridicule à mon sens ce n'est pas cela, c'est que certaines vieilles dames ne considèrent plus ce chien comme le chien qu'il est vraiment mais comme un être humain : Elles lui parlent comme à un humain, le questionnent comme s'il était en mesure de répondre, l'embrassent comme un humain, lui prêtent des sentiments moraux et vont jusqu'à l'habiller et le toiletter comme un humain. C'est cela que l'on peut trouver ridicule, c'est que là où l'animal reconnaît toujours l'homme, l'homme prend parfois l'animal pour un homme. Avec Gilles Deleuze (cf. Abécédaire article A comme Animal http://www.myspace.com/video/ali-la-pointe/gilles-deleuze-a-comme-animal/7587053 ) , on peut rire de la relation des hommes avec les animaux domestiques (Deleuze en est même agacé), du rapport familier et familial que les humains entretiennent avec les bêtes, la façon de leur parler et de se comporter à leur égard comme s'ils étaient des humains, pire des membres de la famille. Certaines vieilles dames (mais parfois aussi des jeunes gens) entretiennent une relation anthropomorphique avec l'animal. L'humanisation de ces animaux n'est-elle pas une « désanimalisation » ? Bergson définissait ce qui fait rire comme « du mécanique plaqué sur du vivant », mais parfois les scènes auxquelles on assiste dans la rue entre des vieilles dames et des chiens bien toilettés nous font nous demander si « de l'humain plaqué sur de l'animal » n'est pas tout aussi drôle. La meilleure preuve de reconnaissance qu'un être humain peut faire à l'égard d' un animal n'est-elle pas de considérer cet animal comme un animal ?
Jean-baptiste Richard M1 SEPAD
Bonjour à tous
Quelle belle unanimité en faveur du chien! On l’a paré de telles qualités que du coup on se sent un peu coupable de n’être pas aussi humain que lui, le chien, meilleur ami de l’homme. Pourtant on oublie que dans bien des langues, «chien» est une insulte. Traiter quelqu’un de chien c’est comme lui cracher au visage.
Cela ne doit pas bien sûr inciter à porter un regard condescendant sur les personnes seules qui trouvent auprès de leur animal l’affection dont elles sont par ailleurs privées.
Quand on détourne les yeux d’un parent âgé, c’est aussi pour échapper à des attentes auxquelles nul ne peut répondre, à commencer par ses enfants. Le cours de Mr Bouvel sur le vieillissement est à cet égard très révélateur qui pointe l’aversion pour l’inversion des rôles, hantise de l’analyste...
Pour en revenir aux animaux de compagnie, je reste convaincue que le meilleur ami du philosophe fut-il débutant, c’est le chat! Tant pis pour Arthur Schopenhauer qu’on imagine solitaire promenant son caniche et son amertume. Le chat que jamais l’on n’asservit, qui ne marche pas en laisse et choisit sa maison, a inspiré les poètes, les musiciens et accompagne en silence nos questionnements.
«Viens, mon beau chat, sur mon cœur amoureux ;
Retiens les griffes de ta patte,
Et laisse-moi plonger dans tes beaux yeux
Mêlés de métal et d’agate.» Le Chat, première strophe, Charles Baudelaire «Les fleurs du mal»
Une des plus belles évocations littéraires du chien, Karénine dans L'insoutenable légèreté de l'être. A l'occasion de sa mort, à la fin du roman, Kundera s'abandonne à un lyrisme dont il n'est pas coutumier. Mais entre chien et chat (tiens, je songe au Maître et Marguerité de Boulgakov), ne décidons pas !
Une fois de plus, c'est d'oubli qu'il s'agit : nous autres les hommes nous savons créer de choses, mais le pendant c'est que nous savons en oublier d'autres, tout aussi essentielles. Les animaux, et parmi eux, les chiens qui nous sont les plus proches, sont quant à eux toujours les mêmes : ils aiment les hommes sans limites et sans conditions.
Ainsi les hommes explorent tous les possibles, même les plus terribles : dans ce pêle-mêle, ne citons que les génocides, les normes applicables aux installations électriques et, pour coller au sujet, savez-vous que les Américains (permettez cette formulation réductrice!) ont créé une chaîne de télévision dédiée aux chiens et aux chats. Sans commentaire...
En ce qui concerne nos aînés, je ne crois pas que l'on puisse se soustraire à la question de leur abandon par une pirouette qui consiste à dire qu'il est trop dur de les voir partir. La vérité de cette réalité c'est que les occidentaux ont perdu le lien générationnel : on ne veut plus de vieux chez nous ; on les colle à l'hospice, ou on recours au service à la personne. Il n'y a plus de reconnaissance à vie pour les anciens. On peut avancer l'idée que l'on vit de plus en plus longtemps et que cela bouscule les curseurs dans l'organisation d'une vie ; mais n'oublions pas non plus que les gens sont bien portants bien plus longtemps, si bien qu'ils se maintiennent dans la société "active" jusqu'à fort tard dans l'âge. Jusqu'au pépin de santé qui est une césure fatale dans la poésie de la vie. Il en découle une mise à l'écart, une sorte de mise à la casse ; et la solitude, l'abandon...
Un autre facteur insolite qui ruine la vie des séniors : c'est les maladies neurologiques comme la maladie d'Alzheimer ; nous sommes désemparés et effrayés de gérer cette fausse vie qui est aussi une fausse mort. Pour le coup, on peut comprendre l'argument réfuté un peu plus haut.
Ces considérations nous font apercevoir, et même envier la condition des chiens : ils n'ont qu'à aimer sans limite. Les chats, quant à eux sont encore plus chanceux car ils fixent eux-mêmes les limites de leur relations avec nous.
J'oserai enfin une référence artistique (bien moins prestigieuse que Kundera ou Bergson, ni Schopenhauer) : la chanson "Baltique" de Renaud qui évoque le chien de François Mitterrand que le chanteur imagine suivre le cortège funèbre de l'ancien président de la République.
Intelligence des bêtes ou folie des hommes ?
Comment ne pas se laisser toucher par le récit de Lévinas ? Et pourquoi ne pas en tirer des leçons comme celles dont vous nous faites part, monsieur Terestchenko, sur le regard que nous pouvons porter parfois sur des personnes qui semblent aimer démesurément leur animal de compagnie. N'est-ce pas au fond comme vous le dite parce qu'ils trouvent chez leur bête ce qu'ils ne trouvent plus chez les hommes ?
Notre attention se porte alors sur ces animaux qui semblent parfois avoir des sentiments si humains. Si la fidèlité est, par excellence la vertu que l'on attribue aux chiens - tant et si bien que c'est un chien que l'on représente sur un blason ou sur un gisant pour exprimer la vertu de celui qui porte ce blason ou qui est représenté sur ce gisant - si donc la fidélité est la vertu qu'on attribue à cette bête, c'est que les exemples de ce comportement n'ont pas manqué. Que l'on pense à Argos, le chien d'Ulysse, qui reconnaîtra son maître après une absence de vingt ans et qui mourrat dans la foulée comme s'il n'avait attendu que cela pour pouvoir partir, ou que l'on pense à Hachiko, qui attendit à la gare, dix ans durant, le retour de son maître, le professeur Hidesaburo Ueno, mort au travail.
Mais le signe de la vertu n'est pas la vertu elle-même, et l'amour qu'un animal porte à son maître, l'attachement qu'il a pour lui, n'est au fond que l'attachement d'un animal. Amour, fidélité sont-ils alors à entendre dans un sens univoque quand on le dit de l'animal ou de l'homme ? Je ne le pense pas. Est-ce même une analogie ? Je tendrais plutôt pour la métaphore, en fait.
Pourtant, quand bien même le mot amour serait pris dans un sens impropre, il me semble que le problème reste entier pour ce qui est de la remarque sur ces personnes qui sont attachés à leur animal de compagnie d'une façon qui peut nous sembler ridicule. Il reste entier, mais au lieu de chercher du côté de l'animal, il nous invite peut-être à regarder davantage du côté de l'homme. Ne sommes-nous pas en train de dire : si seulement l'homme était un loup (ou un chien) pour l'homme ! Mais le malheur est bien que parfois l'homme est en deçà de ce qu'il est censé dominé par sa dignité. Lui qui a été institué par Dieu au faîte de la création visible, le voilà qui se conduit à certains moments comme la plus basse de toutes les créatures.
Il semble qu'il y ait deux extrêmes qui expriment cette déchéance humaine. Le premier est celui que décrit Lévinas, ou bien que vous exprimez dans l'exemple de ces personnes agées abandonnées par leurs proches. Cette déchéance est le 'fruit' de l'autre qui ne me regarde même plus comme un semblable. Cet autre, c'est le garde du camps de concentration qui traite le détenu moins bien qu'un animal parce que ce détenu n'est rien à ses yeux, moins qu'une chose. Cet autre, c'est encore l'enfant qui ne visite pas ses parents âgés et seuls, parce qu'il n'a pas le temps, ou parce que ça le renvoie à sa propre vie qui s'écoule et qui se tarit lentement, mais irrémédiablement, ou encore plus simplement parce que ça l'ennui profondément. Ce qui qualifie ce premier extrême est l'absence total de compassion, une sorte d'insensibilité à ce que l'autre peut ressentir, éprouver, une incapacité foncière à me mettre à la place d'autrui.
(suite dans le commentaire suivant)
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Si l'animal, et parmi eux peut-être plus le chien, a dans sa nature une égalité d'humeur et une constance qui fait qu'il est toujours là, même quand ça ne va pas, qu'il continue à reconnaître un homme, même quand le monde entière s'acharne à destituer celui-ci de sa dignité, ce comportement n'a rien à voir avec de la compassion. Le chien aime peut-être à chaque instant, mais il ne peut pas compatir. Je lui préférerai alors sans hésitation l'attitude d'un Maximilien Kolbe. Ce prêtre de l'ordre de saint François d'Assise qui demanda à un officier nazi de bien vouloir le prendre à la place d'un père de famille, d'origine juive, qui venait d'être désigné au hasard pour mourir dans bunker de la faim (l'officier condamnait ainsi des hommes innocents parce que des prisonniers s'étaient évadés du camps). Bien que l'affection spontanée du chien puisse bien évidemment être d'une portée immense dans le contexte en question, l'amour d'un Maximilen Kolbe n'est pas comparable. Il n'est pas de même nature.
Le second extrême, c'est la personne qui aime les animaux au mépris de ses semblables. Car je crois qu'il doit bien exister des gens qui aiment démesurément leurs bêtes pour des raisons beaucoup moins légitimes que celles que vous mentionnez dans votre article. Des gens qui ne se reportent pas sur les bêtes par défaut, mais par choix délibéré. Pourquoi donc ? Peut-être par mépris.
On trouve dans Les Frères Karamazov un passage poignant à ce sujet. Deux des trois frères, Ivan et Aliocha, se retrouvent dans un cabaret pour discuter. Au cours de la conversation, Ivan relate une anecdote au sujet d'un vieux général, retiré sur ses terres. C'était à l'époque où le servage n'avait pas encore été aboli (il le sera vers 1860). Cet homme « traitait de haut ses modestes voisins, comme s'ils étaient des parasites ». Sa passion était la chasse, et pour la satisfaire il entretenait un équipage nombreux. Il avait une centaine de chiens dans sa meute. Un jour, un serf de huit ans blesse l'un des chiens préférés du maître par inadvertance. Le viel homme voyant son animal boîté et en apprenant la cause fait immédiatement saisir le coupable. « Le lendemain, dès l'aube, le général en grand uniforme monte à cheval pour aller à la chasse (...). On rassemble toute la domesticité pour faire un exemple et la mère du coupable est amenée, ainsi que le gamin. (...) Le général ordonne de déshabiller complètement le bambin, ce qui fut fait ; il tremblait, fou de peur, n'osant dire un mot. « Faites-le courir ordonne le général. - Cours, cours, lui crient les piqueurs. » Le garçon se met à courir. « Taïaut ! » hurle le général, qui lance sur lui toute sa meute. Les chiens mirent l'enfant en pièce sous les yeux de sa mère. »
Ici les chiens n'ont pas léché la main de l'enfant, ils n'ont pas fait la fête à celui qui semblait abandonné de tous. Mais qui leur en voudrait. Ce ne sont que des chiens. C'est plutôt vers cet homme inhumain que nos regards se tournent. Lui pour qui la patte d'une bête a plus de valeur qu'une vie humaine. N'est-ce pas ceci qui nous révolte dans cette anecdote ! Et sans s'élever à ce sommet de monstruosité, n'est-ce pas également ce qui nous fait tiquer parfois lorsque nous voyons des gens accorder plus d'attention aux animaux qu'à leur semblable. La moquerie que suscite ainsi de temps à autre l'attitude d'une personne âgée vis-à-vis de son animal domestique est équivoque, puisqu'elle peut être aussi bien le signe de son insensiblité pour ses semblables que le signe de notre propre insensiblité.
Je ne peux pas m’empêcher de voir une sorte de tragédie dans le fait de devoir se résoudre à pallier le manque d'humanité, de générosité des hommes, par la présence des animaux au sein de la vie des personnes. Mais c'est un fait tout aussi tragique que les individus tissent des liens dont la fragilité est immense. Bien plus, on constate très souvent quand on regarde de plus prêt que les raisons qui nous font nous déchirer, nous séparer, nous éloigner ou même nous mépriser ne sont pas très importante. Souvent, c'est sous couvert de morale et de pseudo analyse du comportement d'autrui qu'on comprend son attitude jusqu'à décider qu'elle est impardonnable ; alors qu'effectivement les animaux eux ne discriminent pas. Je crois que pour les enfants il en est de même. Quoi qu'on en dise, les enfants sont finalement très disponible aux adultes et aux personnes âgées. Les adultes sont souvent préoccupés par pleins de choses, leur carrière, leurs factures... Je pense qu'on a tous fait l’expérience de parler à quelqu'un et de sentir que cette personne ne nous entend pas, ne nous écoute pas ou même prend chacun de nos mots pour ce qu'ils ne sont pas. Cela me force à me poser une question : Comment se fait-il que malgré la solitude et le sentiment d’incompréhension que nous ressentons tous plus ou moins à certain moment de notre vie, nous ne soyons pas capable de nous ouvrir d'avantage à l'autre, de respecter d'avantage nos différences et de nous accepter ?
La présence des chiens dans la vie de certaines personnes (âgées notamment) et dans la littérature nous indique qu'au delà de l'aspect de l'homme social il y a un homme simplement désireux de liens affectifs qui garantissent sont lien au vivant. La communication, le langage, l'entente ou la non-entente ne sont finalement rien face à ce besoin simple d'être en lien. Dans l'insoutenable légèreté j'ai l'impression que Kundera tente de donner au chien l'importance d'un personnage, il devient même un élément indispensable pour mieux comprendre l'état psychologique des ses maîtres. C'est également lui qui conclue l'histoire comme si finalement le vivant chez les hommes avaient disparu, que c'est le chien qui était la représentation de l'absurdité des liens entre les hommes ou des hommes envers eux-mêmes, par sa mort. Pourtant les chiens n'ont pas de sentiments mais ils sont les éponges de nos maux, de nos sentiments et nous projetons sur eux tout ce que nous sommes. Tout le monde a déjà vu quelqu'un dire de son animal : « Il a l'air un peu déprimé en ce moment ! » pour parler en fait de lui sans même le savoir. Les chiens nous enseignent donc le lien perdu entre les humains mais aussi un lien à nous mêmes et à nos propres sentiments qui est de plus en plus difficile. Il est vrai que le chien ne parle pas mais il exprime ce qu'aucun langage ne saurait mieux dire : par le besoin de sa présence dans nos vies nous faisons l'aveu de l'échec des rapports humains et en même temps celui de notre irrépressible besoin de la tendresse des autres.
Mais je me pose la question: le chien a t-il réellement rendu à Lévinas son humanité? Il lui a rappelé à un moment où il en avait plus que besoin sa condition d'homme . Il est fort probable que le chien aurait effectivement accueilli n'importe quelle personne ou même un autre animal de la même façon, à condition que le passage soit devenu habituel ou significatif pour lui. Lévinas se souvient qu'il est en vie malgré l'enfermement, et les conditions de vie du stalag.Il s'agit du point de vue de Lévinas, qui voit dans les aboiements du chien le reflet de son humanité. C'est le regard d'un homme dont l'humanité est baffoué et qui saisit une occasion rare de se sentir homme.C'est le perception anthropomorphique d'un homme sur un animal. Un homme qui déséspère de trouver en l'autre un peu d'humanité.
Il n'en reste pas moins que le chien interpelle par son comportement et rappelle effectivement à l'homme qu'il est homme. Comme l'exemple de nos viellards et de leur animal de compagnie, l'homme peut trouver en l'animal le bien qu'il voudrait saisir en l'autre et qui lui manque. Mais n'est ce pas alors un façon détournée de répondre encore à l'inévitable appel du "visage" de l'autre chez Lévinas? Même s'il s'agit d'une réponse par la négative. Peut-on considérer que l'aboiement du chien a le sens éthique que donne l'auteur au visage de l'autre? Y a t-il rencontre avec l'animal au même titre qu'avec autrui?Y a t-il responsabilité absolue envers son animal de compagnie?
Les chiens m'ont accompagnée tout au long de ma vie. Je les aimes inconditionnellement. Ils sont doués d'une intelligence, d'une sensibilité, d'un dévouement inconditionnels dont beaucoup d'êtres humains ne sont pas capables. Dans l'histoire qui est la bête, qui est capable du pire, qui inflige la douleur et la souffrance : l'homme. Pour moi le choix est vite fait. Y'a pas photo. J'ai plus de respect et d'amour pour les animaux que pour l'humanité.
Je suis surpris par l'unanimité de la distinction homme-animal dans vos commentaires. L'homme n'est-il pas un animal particulier partageant une longue histoire phylogénétique avec d'autres représentant de l'animalité. Le clivage ontologique profond qu'un Descartes pouvait avancer au dix-septième siècle passerait maintenant pour un postulat compliquant et, en contradiction avec les lignes de la recherche actuelle portant sur le développement des fonctions symboliques par exemple. On sait que l'homme n'est pas le seul animal à maîtriser le symbolisme, ni même à mentir...
Quant à "l'anthropomorphisation" de certains animaux par des humains, elle est consubstantielle des ontologies animistes qui supposent une analogie des intériorités des différents êtres et une dissemblance des "physicalités" (à lire là-dessus un grand ethnologue vivant; P.Descola). Les ontologies sont aussi capables d'être infléchies rien n'est ridicule quant l'on cherche à comprendre et à classer.....
Veuillez m'excuser pour le "s" ici , le "t" là....Je me relirai à l'avenir
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