On se forme l'esprit et le sentiment par les conversations, Pascal

mardi 7 mai 2013

Fidélité

"On peut changer de devoirs dans la vie, selon le temps, qui commande rudement aux vivants d'autres destinées qui sont des devoirs aussi, mais il ne faut pas répudier notre destinée initiale". Ces mots, si justes et profonds, sont de Lamartine (Entretien familier de littérature, vol. 14, à propos des Misérables de Victor Hugo).
Il y a des apparences de renoncement à ce que l'on a été, à ce que l'on a cru - dans sa jeunesse peut-être - qui s'inscrivent dans une durable fidélité, à condition cependant de ne pas renier ses premiers engagements, sans quoi comment notre âme ou notre cœur pourraient-ils ne pas être dévorés d'amertume et de ressentiment ? Est-il chose plus injuste que de faire porter à ceux auxquels nous nous sommes liés la responsabilité des obligations auxquelles nous avons librement consenti ? Si elles nous ont détourné de notre première voie, c'est une voie encore, et c'est la nôtre, quelle que soit la main qui nous conduit (nous-même, Dieu ou la force des choses). Une ligne de force continue se trace sous nos déviations espérons-le plus visibles que réelles. A la mort, cela fait le destin d'une vie.

17 commentaires:

MathieuLL a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
MathieuLL a dit…

Magnifique billet !

Comme l'avait compris Sartre : nous devenons un << être-en-soi >> à notre mort. Avant celle-ci, nous ne sommes que des << pour-soi >>, c'est-à-dire des êtres qui ne sont pas ce qu'ils sont et sont ce qu'ils ne sont pas, car toujours en mouvement, se déterminant (et donc se niant en s'affirmant) en permanence. C'est un lourd fardeau que de << se sentir choisir >> en comprenant que, au-delà de notre apparente liberté (là je m'éloigne bien sûr de Sartre) des forces déterminent nos mouvements. Notre vie prend alors une dimension tragique : nous avons l'intuition qu'une << pièce >> se joue et que nous en sommes l'acteur principal, regardé d'en haut par des anges attentifs à nos combats, nos luttes effroyables et nos quelques moments de bonheur... Cher monsieur Terestchenko, feriez-vous allusion, par hasard, aux EMI ?

Emmanuel Gaudiot a dit…

La permanence dans laquelle s'inscrit notre existence est une chose belle et rassurante. Belle, elle l'est parce cela implique que nous regardions la vie en face, les yeux dans les yeux, comme pour s'en rendre compte à soi-même en permanence ; rassurante, parce qu'il est tellement facile de suivre une ornière, un sillon! Les deux considérations se rejoignent lorsque nous traçons, nous-mêmes, ce sillon.
Alors, il nous reste à accepter les épreuves et les coup de mains, et ainsi grandir dans notre cœur et dans notre âme, à la fois, par nous-mêmes, et grâce aux autres. C'est aussi une leçon de Sartre.
Merci du coup de main Michel, et tous les amis...

parzyjagla kleinhans charlotte a dit…

Dans notre société apparemment évanouie, dans laquelle demeure aléatoire le caractère réel ou mythique, nombreux sont ceux qui pensent qu’il n’y a plus de moyen de se sentir lié, de se lier. Que l’on parle d’un partenaire élu pour la vie ou d’un emploi… on en oublie presque le lien à soi, si essentiel oui ! Dans un monde si bouleversé que le notre en ce moment, il n’y a pas d’idée qui me semble plus essentielle à propager ! C’est pourtant si simple…
Merci Cher Michel !

Anonyme a dit…

Il y a deux ans dans un stage d'art-thérapie en peinture, j'ai voulu reproduire un paysage : montagnes au loin, champ de blé et chemin blanc au premier plan. Il paraît que ce n'est pas neutre, de tracer un chemin. Naïve et béotienne, j'ai tenté de tracer un "droit chemin", rectiligne, le chemin le plus court pour aller droit au but. Bien mal m'en a pris car j'ai été bouleversée au point de ne plus pouvoir peindre de la journée. L'art thérapeute m'a plus tard aidée et conseillée : sur le tableau terminé le chemin serpente entre des touffes d'herbes, adieu la rectilignité (quel mot laid). Tout compte fait, ce chemin serpentant dans la nature, ce sentier s'inventant lui-même, sans a priori, sans règles pré-conçues, sans conventions imbéciles, me ressemble bien mieux. Deux ans après, j'ai enfin compris et accepté que mon parcours tortueux dans la vie ne m'a pas éloignée de ce qui me tient le plus à coeur, mais me permet d'y revenir aujourd'hui de manière plus entière et authentique. Désormais, je préfère, ô combien, les chemins de traverse aux autoroutes, quelles qu'elles soient. Merci, cher professeur, pour ce billet qui arrive à point nommé, une fois de plus.
Ingrid S.

Michel Terestchenko a dit…

Merci, chère Ingrid, pour cet émouvant témoignage personnel. Merci à tous, Mathieu, Emmanuel, Charlotte, pour vos commentaires.

Pierre-Yves Clausse a dit…

Votre texte me renvoie à la question du choix. A t'on, selon vous, toujours le choix de rester fidèle à ses premiers engagements ? Des événements de la vie, au sens du tragique grecque, peuvent s'imposer à nous et nous écarter de ce que nous avons pu nous promettre. Dans ce cas là, nous pouvons ne pas avoir le choix de devenir autre chose que ce que nous souhaitions. L'essentiel alors n'est il pas de conserver une forme de probité vis à vis de son parcours. Seul ce courage me semble capable d'effacer des remords et des ressentiments face à une existence qui s'est imposée à nous même.

Jean-Philippe Chemineau a dit…

Il me semble que vous avez raison de souligner que nous pouvons être écartés de notre voie originale contre notre volonté, que tout ce qui nous arrive, en somme, ne résulte pas de notre vouloir. L’essentiel est sans doute alors de dire oui à tout cela, à tout ce qui nous arrive, afin d’en faire des moments constituants de notre vie et d’enrichir notre existence.

Pierre-Yves Clausse a dit…

Comme l'a si justement écrit Shakespeare : "« Ce qui ne peut être évité, il faut l'embrasser »...

Anonyme a dit…

Cette dernière citation de Shakespeare me rappelle un sketch joué par je ne sais qui : une femme poursuivie par son mari (violent, ayant une infidélité à lui reprocher ou exaspéré comme ils le sont parfois), voyant qu'elle ne pourrait pas lui échapper, fait volte-face et se réfugie dans ses bras en le suppliant de la défendre (contre lui-même donc, si vous avez bien suivi). Au-delà de l'arrière-fond peut-être douteux ou tout au moins sexiste, j'ai toujours retenu cette manière de renverser la situation quand tout semble perdu (car dans le sketch, le mari endosse immédiatement le rôle protecteur que la société lui impose envers une faible femme attaquée, même s'il s'agit de la sienne et qu'il est lui-même l'agresseur...Je suis d'accord avec vous, soit cette histoire est particulièrement tordue soit elle a beaucoup de sel et des choses à nous apprendre). Plus tard, j'ai appris que c'est une technique de défense utilisée au judo : utiliser l'élan de l'agresseur pour le mettre à terre, même s'il est au départ plus costaud que vous.

Pour revenir au thème du billet, effectivement il y a une dimension de consentement (au monde, à la vie...) qui est à apprivoiser. C'est d'ailleurs peut-être cela que l'on appelle grandir ou mûrir. D'où la belle citation rousseauiste d'un précédent billet "laisser l'enfance mûrir dans l'enfant" et les belles pages du Petit Prince de St-Ex. La philosophe Simone Weil également écrit des pages puissantes sur le "consentir à". Mais je ne crois pas que l'on puisse, qu'il soit possible ou même qu'il soit bon d'acquiescer "contre notre volonté". Ou alors, sous la torture, y compris psychologique ? Vaste débat, j'en conviens...

Pour finir, une référence ? L'ouvrage de Gérard Guégan, Fontenoy ne reviendra plus. Pas encore lu, mais 4ème de couverture prometteur : "Cette question -qu'est-ce qui pousse un homme à changer de camp, à passer, par exemple, de la gauche la plus enragée à la droite la moins clémente ?- a fini par m'obséder...J'ai donc écrit ce livre pour comprendre de quoi nous sommes faits et à quoi tiennent nos destinées." Il me semble que c'est bien aussi cela qui est en question derrière les propos de Lamartine. Et l'un des critères pour évaluer dans son for intérieur si l'on est en train de réussir ou de rater sa vie : savoir si l'on est en train, ou non, de répudier notre destinée initiale.
Ingrid S.

ml tudoux l2 philo a dit…

Bonjour,
En lisant les commentaires, j'ai pu réfléchir à ce que la philosophie m'apporte. La philosophie m'apparait comme un lien à la psychologie individuelle et collective non pas comme une psychothérapie mais comme une prévention de psychopathologies potentielles causées par notre aliénation.
La philosophie pose les idées, les concepts et même les sentiments parfois.
Elle nous laisse libre mais nous enlace d'une confortable et douillette couverture qui nous ramène doucement à la réalité "pour soi".

Anonyme a dit…

"Connais-toi toi-même" mais qui au juste ?
Toute fidélité s'ancre à ce que l'on pourrait appeler une fidélité à soi-même tout du moins à l'image qu'on en retient. Image surpuissante car on le sait le comportement ne dévie jamais de cette carte interne. Or il suffit qu'un environnement ou des traumas successifs viennent ébranler ce'pattern' pour que l'idée de fidélité à quoi que ce soit se volatilise.

Ce processus mental est bien connu des tortionnaires de tout bord. Exemple : pendant la guerre civile de Corée en 1950, les coréens aidés des chinois ont "converti" sans violence avérée des centaines de soldats américains au communisme.
Comment ? Nous agissons en continu selon ce que nous pensons, imaginons être, il suffit de délier cette boucle par 'étapes'.
1er stade, 1ers interrogatoires avec collectage de déclarations à peine 'antiaméricaines' anodines, mineures.
Seconde étape : après épuisement systématique les prisonniers sont amenés à lister toutes les imperfections de la politique de leur pays puis à signer le dit document.
Troisième étape : en groupe de discussion restreint on leur demande de lire le document qu'ils ont produit.
4ème phase : les geôliers retransmettent par radio à tous les camps de prisonniers cette lecture.
5ème étape : 'étiquetage' par tous les groupes de prisonniers de ce prisonnier comme collabo.
Etape finale : l'image de lui même qui subsiste est remaniée car il ne peut nier afin d'être cohérent avec lui, et au fond fidèle à lui-même, il ne peut nier ne pas avoir déclaré ce qu'il a déclaré. Il se croit désormais procommuniste et ses compagnons renforcent cette image.
La nouvelle boucle est bouclée !
MarieEmma(sepadM2)

MathieuLL a dit…

C'est un magnifique procédé

Anonyme a dit…

Parfois, le premier engagement était le bon, chéri entre tous (un idéal humain, par exemple...) mais on a cru possible et souhaitable de "le jeter" (au sens de l'engagement sartrien) dans un choix politique... Et l'idéal tant espéré, tant phantasmé s'est retourné en monstruosité idéologique.
Pour illustrer ce droit à se tromper de chemin parce que celui-ci nous a égaré de notre destinée initiale au lieu de la porter, je ne résiste pas à l'envie de vous faire partager une maxime de Saint AUGUSTIN et un extrait de discours prononcé par feu Louis ARAGON :

" Il vaut mieux suivre le bon chemin en boîtant que le mauvais d'un pas ferme." (Saint Augustin)

" Je n'ai pas toujours été l'homme que je suis.
J'ai toute ma vie appris pour devenir l'homme que je suis, mais je n'ai pour autant pas oublié l'homme que j'ai été, ou à plus exactement parler les hommes que j'ai été.
Et si entre ces hommes-là et moi, il y a contradiction ; si je crois avoir appris, progressé, changeant ; ces hommes-là, quand, me retournant, je les regarde, je n'ai point honte d'eux, ils sont les étapes de ce que je suis, ils menaient à moi, je ne peux dire "moi" sans eux.

Anonyme a dit…

(suite ARAGON...)

"Je connais des gens qui sont nés avec la vérité dans leur berceau, qui ne se sont jamais trompé, qui n'ont pas avancé d'un pas de toute leur vie, puisqu'ils étaient "arrivés" quand ils avaient encore la morve au nez. Ils savent ce qui est bien, ils l'ont toujours su.
Ils ont pour les autres la sévérité et le mépris que leur confère l'assurance triomphale d'avoir raison.
Je ne leur ressemble pas. La vérité ne m'a pas été révélée à mon baptême. Je ne la tiens ni de mon père ni de la classe de ma famille.
Ce que j'ai appris m'a coûté cher, ce que je sais je l'ai acquis à mes dépens. Je n'ai pas une seule certitude qui ne me soit venue autrement que par le doute, l'angoisse, la sueur, la douleur de l'expérience.
Aussi ai-je le respect de tous ceux qui ne savent pas, de ceux qui cherchent, qui tâtonnent, qui se heurtent.
Ceux à qui la vérité est facile, spontanée, bien sûr j'ai pour eux une certaine admiration, mais, je l'avoue, peu d'intérêt. Quand ils mourront, qu'on écrive donc sur leur tombe : "Il a toujours eu raison..."
C'est ce qu'ils méritent et rien de plus." ( Louis ARAGON, Conférence à la jeunesse, 1959)

Anne Rendamme

ABDALLAH ALI Echati a dit…

ABDALLAH ALI Echati (SEPAD) :
Je suis en parfaite accord avec ces mots de Lamartine. Je tiens juste à ajouter, qu’aussi rude que peut être le temps dans la peau et dans l'âme d'un homme, quelque chose en lui restera toujours intact, et lui rappellera sans cesse son contrat de fidélité à lui-même, à la vie. C’est d’ailleurs pour cette raison que celui que cherche à éradiquer cette destinée initiale ne sera pas en paix. Ce qui compte c’est d’avoir le courage d’être soi, le courage de vivre fidèlement passionnément. Le changement ne peut rompre ce contrat, qui commande que la vie soi ce qu’elle est, une vie Vécue.

Anonyme a dit…

La fidélité à ce qu'on croit, à ce qu'on fait, et à ce qu'on est ?
Cette fidélité est déterminée par rapport à la temporalité contextuelle liée à la dynamique de la vie. Elle est intimement conjointe à nos actions, nos paroles et nos pensées. Cependant, ces différents liens qui enchainent cette fidélité peuvent abruptement changer de connotation par rapport à différentes représentations fonctionnelles de la vie, qu’oblige à faire partir d'une décision qui s'éloigne à ce qu'on était fidèle. On peut arriver au point de ne pas refuser ce qui nous est prédestiné. La fidélité peut être expliquée par une analogie entre les phénomènes intrinsèquement naturels qui font la connotation des évolutions en soi-même ; cette évolution se fait par la construction et reconstruction dynamique qui tourne sur une transformation plus adaptée à l'ensemble des exigences. Ces exigences varient selon a psycho-chronologie d'un individu et peuvent comprendre des éléments essentiel de la vie, mais également recluter des conceptions analytiques. Le plus essentiel est de ne pas concevoir une fidélité éternelle, sinon une fidélité qui évolue au long de la vie. La fidélité se contourne dans une responsabilité de ce qu’on est capable de planifier, de construire et renvoye à une capacité d'affordance des devoirs, constitué par la fidélité Ce n'est pas avec la fidélité, sinon en fidélité que le questionnement se pose.
Anne-Julie Verbeken (M1)