On se forme l'esprit et le sentiment par les conversations, Pascal

dimanche 8 janvier 2012

Petite allégorie où il est montré comme il est absurde d'enseigner qu'il ne faut pas prendre plaisir à faire plaisir

- Ecoute, mon petit bonhomme, tu as beau n'avoir que dix ans, j'ai une grande leçon à t'enseigner. Tu es gentil, je le vois, mais si tu veux être vraiment bon, lorsque tu aides quelqu'un, un ami par exemple, lorsque tu veux le consoler de sa tristesse, de sa peine, de sa douleur, lorsque tu lui tends une main secourable ou que tu veux lui apporter un peu de joie, enfin lorsque tout simplement tu veux lui faire plaisir, ça t'arrive, je le sais, que ce soit sans chercher à y trouver toi-même la moindre joie ou le plus petit plaisir. Ce ne serait pas aussi bien, non pas bien vraiment ! Très égoïste, sache-le. Tu dois apprendre à être lucide sur tes intentions – tu sais, les intentions, c'est ce ce qu'on veut quand on fait quelque chose – eh bien voilà, tes intentions, elles doivent rester pures. Tu m'as l'air d'être un bon petit garçon, intelligent avec ça, qui a de l'avenir dans la Haute Société des Gens de Bien.
- Pures, ça veut dire quoi, Monsieur ?
- Ca veut dire que ça doit pas t'être agréable.
- C'est pas bien alors si ça me fait plaisir de donner, je ne sais pas, un bonbon à un de mes copains ou de lui dire un petit mot sympa quand il a une mauvaise note à l'école et qu'il en a des larmes ?
- En vérité, c'est plutôt égoïste.
- Merde alors ! Je savais pas. L'autre jour, ça m'a fait un sacré plaisir lorsque quand j'ai filé mon jeu de DS à Karim. Il a pas les moyens. Ses parents, c'est de clandestins. Si vous aviez vu ses yeux, comment qu'il m'a regardé. J'en ai eu chaud au cœur, que j'étais content toute la journée. J'aurais pas dû ?
- Mais si, bien sûr. Mais ç'aurait été mieux si tu n'avais pas tout gâché. Ce plaisir que tu as ressenti, vois-tu, c'est un peu, comment dire ? eh bien, comme un poison. Tu ne dois pas avoir d'intérêt. C'est mieux sans, tu comprends ?
- Faut pas jamais qu'on ait du plaisir à faire plaisir ?
- Non, il ne faut pas.
- Vous savez, votre Haute Société des Gens Machins, je suis pas sûr de vouloir y entrer, Monsieur. J'aime bien quand je suis égoïste comme ça, que ça me fait du bien et que je suis heureux de faire plaisir quand je peux pas autrement.

6 commentaires:

Emmanuel Gaudiot a dit…

Ma question, Michel, éprouvez-vous du plaisir à nous livrer ces textes qui nous font si plaisir? Pour ma part, je ferais apprendre le texte de Kipling Tu Seras Un Homme... à bientôt

Michel Terestchenko a dit…

Cher Emmanuel, bien sûr, et très grand même, mais j'avais des doutes sur celui-ci, me demandant comment cela allait "passer. Vous avez l'air de me rassurer, merci !

Anonyme a dit…

Est ce que nous pouvons réellement apprendre à faire le bien à autrui sans en ressentir une jouissance intérieure?
La jouissance,le plaisir ressentie lorsque nous accomplissons une action bonne me parait innée et spécifiquement humaine.
Les animaux ne possèdent en aucun cas cette passion de générosité,ils ne peuvent pas être satisfait du bien qu'ils commettent pour aider leur communauté par exemple.
Ainsi, la générosité est par essence liée à l'homme, qui dans son fonctionnement ,aime faire le bien surtout par plaisir de le faire.
Et même si cela parait égoïste, il parait assez idéaliste de croire à l'impératif catégorique Kantien.
Nous faisons le bien par intérêt propre et si je ressentais aucun plaisir à aider une personne âgée,je m’abstiendrais de cet acte moralement bon par exemple.
Un être immoral et réellement égoïste éprouve au contraire du plaisir à faire le mal et du déplaisir à faire le bien.
Qu'en est il de ceux qui sont indifférents du bien qu'ils pourraient faire?
L'indifférence produit l'inaction,ce sont plutôt les passions humaines telles que la crainte ,l'amour et la haine qui peuvent faire en sorte que nous nous sentons impliqués.
La famine, les meurtres, la guerre ne pourront émouvoir un homme que s'il est capable d'empathie et de compassion pour son semblable.
Apprendre à ne plus ressentir du plaisir est donc d'après moi effectivement d'une grande absurdité du point de vue éthique et intellectuel.
Soit l'homme vil ne fait que le bien pour ses intérêts propres,désir de gloire ou par avidité,soit ce dernier ne fait que le mal.
Mais, ici dans ce texte, un enfant qui symbolise l'innocence et l'insouciance de son age, est parfaitement exempt de perfidie.
Contrairement à ce qui est dit,il est pur de faire plaisir pour son plaisir personnel, la générosité présuppose un lien, un échange entre individus.Apprendre à faire plaisir sans en tirer du plaisir serait apprendre à être un monstre dénué de compassion.Ce serait s'enfermer dans un carcan et devenir d'une froideur d’âme exacerbée ou pire devenir fourbe et utiliser le bien comme un moyen en vue d'une fin immorale comme chez Machiavel.
En conclusion,ce qui est absurde est de vouloir défendre une thèse altruiste et donc, en faveur de l'humain et finalement défendre la thèse inverse.
Il existe réellement un lien intrinsèque entre l’égoïsme et l'altruisme de sorte qu'ils ne peuvent exister l'un sans l'autre.
Il ne peut exister d'altruisme véritable ou absolue mais le bonheur ressenti lors d'une bonne action n'est pour moi que la preuve d'un coeur bon mu par la générosité, l'empathie spécifiquement humaine.Je désire faire le bien ,j'ai du plaisir à les voir heureux.Je ne suis dons pas détaché d'eux mais impliqué dans leur bonheur.

Miloud Kohli a dit…

Celui qui ressent de la satisfaction après avoir aidé les autres me semble tout simplement être quelqu'un d'humain, généreux et justement fier de son acte (rétribution intérieure?!). Celui qui aide autrui seulement pour les apparences se ment à lui-même. En tous cas les textes que vous proposez, Michel, font toujours plaisir à lire et poussent toujours à la réflexion sur d'excellents sujets!

algiz.odal a dit…

Aider une personne dans un besoin quelconque et ne rien ressentir ? Comment cela peut-il être possible ? N’est-ce pas simplement un mécanisme si une telle chose peut se dérouler… Apprendre aux enfants à ne pas ressentir une once de sentiment est de plus en plus répandu, hélas. Ne pas ressentir, ne pas parler. À peine l’enfant apprend à parler, que l’on lui demande de se taire. Alors, c’est la même chose qui se produit pour toutes sortes d’actions individuelles que l’on trouve, effectue, au quotidien. « Ne pleure pas, ça ne sert à rien ! », « Ne sois pas en colère, tu pourrais regretter tes mots plus tard. ». Ce que l’on demande aux personnes qui apprennent, c’est-à-dire le monde entier, demander par celui qui a « plus d’autorité » somme à l’autre d’être une simple plante. Mais, les plantes aussi ressentent. Oh, mais vous laissez vos plantes sans eau, j’oubliais…
La personne qui tait ses sentiments développe des fonctions sociales qui paraissent étranges aux autres. Pourquoi ? Parce qu’il doit se taire, ne pas ressentir. Forcer au silence, à faire garder en soi ce que l’on veut crier à la terre entière, crée des individus incapables de sociabiliser, ils vivent dans leur monde, sans possibilité de partager, d’échanger. Parler est partager, aussi infime que cela soit, des sentiments. Alors, ils ne parlent pas. Certainement pas peur d’être réprimandés, comme ils l’ont toujours connu, vécu, intériorisé.
Le monde des adultes, pour les enfants, est vu avec de la fascination mais il y a quelque chose que l’on ne nous explique pas quand nous le sommes, la souffrance des adultes devient interne et elle se retrouve transmise à sa propre progéniture. Durant notre époque où beaucoup pensent encore, qu’aller voir un psychologue est pour les personnes qui ont des problèmes mentaux, cela en est plus triste qu’autre chose. Aller parler à une personne n’est pas un signe de maladie ou de faiblesse, mais bien au contraire, reconnaître que nous avons besoin de parler, relève d’une force et d’un arrêt du déni que nous pouvons connaître à certains moments de nos vies. Le monde des adultes n’est pas celui des enfants, pourquoi devrait-il y avoir deux mondes ?

Robesdore a dit…

Bonjour Monsieur,

Cette allegorie tâche de montrer l'absurdité de la thèse selon laquelle il ne faudrait pas prendre plaisir à faire plaisir. Implicitement elle répond aussi à la question de l'égoïsme psychologique. En effet, pour considérer qu'un acte véritablement altruiste - donc désinterressé - est moralement supérieur à un acte altruiste interressé il faut supposer l'existence d'actes désinteressés. Or leur existence est parfois contestée chez les philosophes et les psychologues. En effet, les défenseurs de l'égoïsme psychologique soutiennent que chaque action est motivée par un intérêt personnel. Par conséquent, l'altruisme désintéressé ne serait qu'une illusion et celui qui viserait cette pureté morale serait éternellement insatisfait. Certains diraient que l'humain est capable de s'affranchir de cette condition et que l'authentique don de soi lui est accessible. David Hume propose la situation suivante dans la section 2 de Recherches sur les principes de la morale : "Quel peut être l'intérêt de cette tendre mère qui détruit sa santé par les soins qu'elle prodigue à son enfant malade, et qui, délivrée enfin par sa mort de ces soins incommodes, tombe elle-même dans la langueur, et finit par mourir de chagrin ?". Ici on pourrait défendre que la mère agit de façon totalement désintéressée. Les contradicteurs de Hume pourraient répondre que c'est par souci de réputation, par la peur de la punition divine ou par espoir de réciprocité que cette mère agit de la sorte. Kant défendait d'ailleurs qu'il était impossible de connaître la nature de la motivation sous-jacente aux actions des agents moraux : "En fait, il est absolument impossible d'établir par expérience avec une entière certitude un seul cas où la maxime d'une action d'ailleurs conforme au devoir ait uniquement reposé sur des principes moraux et sur la représentation du devoir.".
S'il n'est pas possible de sonder les coeurs pour y trouver les authentiques intentions, alors il faudrait laisser les motivations de côté dans l'analyse des actions altruistes. Ainsi, l'analyse de l'altruisme consisterait en une analyse des conséquences des actes. Cette vision plutôt conséquentialiste appuie l'intuition du petit garçon : peu importe qu'il tire du plaisir de son acte altruiste. Si son égoïsme produit du bien-être en lui et autour de lui, alors il n'y a aucune bonté morale à retirer d'une action similaire non-égoïste en ce qu'elle diminuerait la quantité de bien-être agrégé.

Sélim A. EAD.philosophie