Peut-être obtiendrai-je votre absolution lorsque vous saurez que ce silence de quelques jours est tout entier imputable à la lecture des Aventures posthumes du Pickwick Club que Charles Dickens, un jeune auteur alors presque inconnu, publia à l'âge de vingt-quatre ans, sous forme d'une trentaine de feuillets et qui rencontrèrent aussitôt un immense succès. Près de mille pages dans l'édition de la Pléiade, et un bonheur parfait de tous les instants à suivre les pérégrinations de M. Pickwick, cet archétype de la bonté humaine, avec ses bésicles, ses guêtres et sa bonhommie rondouillarde sur lequel veille avec amour et une fidélité héroïque son valet, Sam Weller, chef d'œuvre de l'humour de Dickens.
Pietro Citati a raison absolument lorsqu'il écrit : « Ne pas aimer Dickens est un péché mortel». Hélas, triplement hélas, on ne le lit plus guère aujourd'hui ou alors c'est avec la condescendance que l'on a pour un écrivain que l'on réserve à un public d'enfants ou de bonnes âmes, benoîtement confites dans l'eau sucrée des bons sentiments. Mais Dickens, ce n'est pas cela, pas cela du tout et son univers est souvent, on le sait pourtant, très noir, traversé de misères sociales épouvantables, d'atroces méchancetés égoïstes et de terribles souffrances.
Ici, c'est le génie d'un romancier, immensément doué, qui éclate soudain au grand jour, laissant libre cours à son imagination intrépide, à ce trop plein de vie qui l'emportait de façon irrépressible, conscient déjà de ses possibilités sans limites et désireux de nous les montrer et qui nous entraîne avec une verve follement drôle qu'il est tout simplement impossible de lâcher. Que ce soit superficiel, non, ça ne l'est pas, car c'est dans un monde parfois très ténébreux – celui, en particulier, de l'immonde prison dans laquelle Pickwick se laisse volontairement enfermé – que se donnent à tous les bénéfices de l'aimable et très sérieuse bienveillance qui anime le héros du roman. « Car, dans toute cette multitude de visages blêmes et émaciés, il n'en vit pas un seul que sa sympathie et sa charité n'eussent rendu moins malheureux ». Comme l'écrit Romain Gary dans L'angoisse du roi Salomon – et Salomon Rubinstein, le roi du pantalon, fondateur de l'association SOS Bénévoles, est, à sa façon, un personnage pickwickien - « quand on n'a pas le cœur bête, c'est qu'on n'a pas de cœur du tout » !
1 commentaire:
Vous avez diantrement raison : on a ignoré Dickens à l'occasion de son bicentenaire de naissance : trop long, trop foisonnant, trop de personnages, intrigues touffues, à l'heure où on cherche une littérature réduite au haïku laconique cistercien au détriment du baroquisme. La pierre noire Dickens s'ajoute à celles de Corneille en 2006, d'Alfred Jarry en 2007 et de Mark Twain en 2010 dans un paysage culturel français à l'état de ruines fumantes.
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