Voici un extrait de l'entretien que je viens de donner à Philosophie magazine et et qui sera publié dans le prochain numéro du mois de mars :
La suppression du juge d'instruction serait une menace pour la démocratie française ?
S'il devait être adopté, le projet de réforme ne serait acceptable et ne constituerait un progrès qu'à deux conditions : 1/ que les procureurs soient détachés de tout lien avec le ministère de la Justice et qu'ils jouissent d'une véritable indépendance vis-à-vis du pouvoir politique ; 2/ que la légalité des enquêtes soit contrôlée par les cours d'appel de façon sérieuse et impartiale. D’autre part, il faut qu'en contrepartie soient développés les moyens d'une défense active et que soit mis un terme à l'abus croissant de la garde à vue, sans parler de la détention préventive, qui constitue un véritable scandale en France. Plus de 600 000 mesures de garde à vue ont été ordonnées en 2008, dont plus d'un quart excèdent vingt-quatre heures. Ce n'est pas admissible. Il est clair que toute personne gardée à vue par la police devrait bénéficier, avant tout interrogatoire judiciaire, de l'assistance et des conseils d'un avocat, ayant accès au dossier.
Cette réforme devrait-elle s'accompagner d'une amélioration des droits de la défense ?
Absolument. Il serait nécessaire, afin d'assurer la défense des droits et de la liberté des citoyens, que tout soit mis en oeuvre pour accroître le rôle de l'avocat dans l'investigation des faits et l'administration des preuves, en sorte qu'il puisse exercer de façon efficace et effective son rôle de contre-pouvoir. Ajoutons que les frais de l'enquête, par exemple les contre-expertises, devraient être assurés par le ministère public et non par les citoyens eux-mêmes. Pourquoi ne pas instituer, comme aux Etats-Unis ou au Canada, des bureaux publics de défense pénale, composés d'avocats qui en auraient fait le choix et qui seraient rémunérés par l'Etat ? Il ne s'agit pas, pour l'instant, de changer ouvertement l'esprit de notre système judiciaire inquisitoire et d'adopter le modèle accusatoire anglo-saxon. L'essentiel est de mieux assurer les modalités d'une égalité des armes entre l'accusation et la défense, en particulier durant le procès. Une dernière réforme importante, enfin, serait de supprimer la différence de procédure qui existe entre les tribunaux correctionnels et les cours d'assises, et d'exiger la motivation des verdicts en cas de condamnation (comme c'est le cas en Espagne ou en Italie).
En admettant que le nouveau juge soit indépendant, la France aura-t-elle adopté le modèle accusatoire ?
Nous serions dans un système accusatoire pondéré. Selon le modèle inquisitorial en vigueur, c’est le juge d’instruction pendant l’enquête et le président de la cour d’assises pendant le procès qui mènent les débats. Cela introduit une confusion des pouvoirs, puisque c’est à chaque fois un seul homme qui envisage le pour et le contre. Dans le système accusatoire, les deux fonctions sont séparées : le procureur accuse, l’avocat défend et le juge arbitre sans interroger l’accusé. Il convient de rappeler les principales évolutions dans cette affaire. Entre 1808 et 1897, le juge d’instruction officie seul et l’inculpé n’a pas le droit à la présence d’un avocat. De 1897 à 1993, l’accusé a le droit d’être assisté par un avocat, lequel peut consulter le dossier mais ne participe pas à l’enquête. Depuis la réforme de 1993, l’avocat peut demander au juge d’instruction des actes d’enquête spécifiques. Si en 2009, le juge d’instruction était supprimé, il ne resterait plus face à face que le procureur et l’avocat. Cela marquerait une évolution vers un système accusatoire.
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