Né à Alger le 12 janvier 1926, Fernand Iveton suit l’itinéraire classique du militant communiste. À quatorze ans, le certificat d’études primaires en poche, il quitte l’école pour travailler. À seize ans, il adhère au Parti communiste algérien (PCA). Ouvrier tourneur à l’usine Lebon, puis à l’usine de Gaz d’Alger, délégué CGT, il est de toutes les luttes sociales. Et quand débute la guerre d’indépendance algérienne, il s’engage dans les Combattants de la libération (CDL) mis en place par le PCA.
En 1956, avec quelques amis, il entreprend une "action spectaculaire": ils vont faire sauter le tuyau d'une usine à gaz. Ils prévoient deux bombes qui ne doivent exploser qu'une fois les employés partis. Selon Jacqueline Guerroudj, qui lui a remis l'engin, Iveton avait exigé qu’il ne fasse aucune victime civile. Il voulait seulement des « explosions témoignages » pour faire avancer la cause de l’indépendance. De fait, la bombe, de faible puissance, avait été réglée pour exploser le 14 novembre 1956 à 19 h 30. À cette heure, il n’y avait plus personne sur les lieux de travail, rapporte l’enquête. Au reste, les artificiers l’avaient désamorcée vers 18 heures.
Ce jour-là, Iveton s'aperçoit qu'il ne peut en cacher qu'une. Il la dépose en attendant dans un local désaffecté. Un contremaître qui l'avait à l'oeil, découvre la bombe. Iveton est arrêté. On trouve sur lui un papier où il est question de deux bombes qui doivent exploser à 19h30. Alors commence l'interrogatoire:
"On me déshabilla assez violemment en me déchirant la chemise. L'on me fit passer sur tout le corps, le cou, les parties, etc., le courant (...) la question était: "où se trouve la deuxième bombe?" (...) voyant sûrement qu'il n'y avait plus de place pour le courant car j'étais entièrement brûlé (...) l'on me fit subir le supplice de l'eau." On le fait boire jusqu'à l'étouffement, "quand le ventre est gonflé, mes tortionnaires, assis sur moi, font du tape-cul sur mon ventre et l'eau me sort de partout". Les deux bombes n'ont pas explosé à 19h30, mais F. Iveton a fini, vers 22h, par donner le nom de ses camarades.
Le 24 novembre, rasé, sans moustache, le visage marqué par les actes de torture, Fernand Iveton est présenté devant le tribunal permanent des forces armées d’Alger. Le procès se déroule dans une atmosphère de haine. Quand il fait son entrée dans le tribunal, des insultes fusent à son endroit, le public exige sa mort et ses avocats sont menacés. Le procès est expéditif : il est condamné à mort le jour même pour terrorisme. En vérité, son sort avait été réglé en France. Sur proposition du garde des Sceaux, François Mitterrand, le gouvernement socialiste de Guy Mollet avait décidé que l’examen des recours des militants du FLN serait accéléré et que ceux dont la grâce était refusée par le chef de l’État seraient exécutés au plus vite. Le 10 février 1957, son recours en grâce est rejeté par le président René Coty.
La vie d’un homme, la mienne, compte peu, ce qui compte, c’est l’Algérie, son avenir et l’Algérie sera libre demain », déclarait-il au greffe de la prison, quelques minutes avant son exécution. Au pied de la guillotine, il a embrassé ses deux codétenus qui allaient être exécutés avant lui. « Celui-là, fut un condamné à mort modèle, droit, impeccable, courageux jusqu’au couperet », relate son bourreau, Fernand Meissonnier.
(Source: Jean-Luc Einaudi, Pour l'exemple, l'affaire Fernand Iveton, L'Harmattan, 1986).
Voir également l'article de Hassane Zerrouky auquel j'ai emprunté les principaux éléments de ce billet :
Merci à Stéphane d'avoir attiré mon attention sur ce cas bien oublié qui ne pourrait sans plus se produire dans la France d'aujourd'hui, ne serait-ce que parce que la peine de mort a été abolie, mais dont il importe que nous conservions le souvenir. Aussi parce que les brutalités d'Etat restent quotidiennes, quoique sous une forme plus bénigne. Les archives du dossier Iveton ne seront consultables qu'en... 2057 !
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