On se forme l'esprit et le sentiment par les conversations, Pascal

vendredi 24 septembre 2010

Décence ordinaire

Il y aurait beaucoup à méditer au sujet de cette "anecdote" que rapporte Georges Orwell, sur "ce qui se fait" et "ce qui ne se fait pas" selon les circonstances : les raisons en l'occurrence pour lesquelles on ne peut pas tirer sur un soldat qui tient son pantalon à deux mains ou qui est nu, alors qu'on n'éprouverait aucune gêne, en temps de guerre s'entend, à mettre en joue et à tuer un homme en uniforme :
"Au même moment, un homme qui portait sans doute un message pour un officier, bondit hors de la tranchée et courut le long du parapet, complètement exposé. Il était à demi vétu et il retenait les pans de son pantalon des deux mains tout en courant. Je m'abstins de lui tirer dessus. C'est vrai que je suis un piètre tireur, et incapable d'atteindre un homme qui court à une centaine de yards ... Mais je ne tirai pas en partie, à cause de ce détail du pantalon. J'étais venu ici pour tuer des "fascistes", mais un homme qui retient son pantalon n'est pas un "fasciste", il est manifestement une créature pareille à vous, et vous n'avez pas envie de lui tirer dessus".
Cette histoire a été commentée par la philosophe Cora Diamond lors d'une conférence donnée à l'académie militaire de West Point et elle est citée dans l'excellent ouvrage dirigé par Pascale Molinier, Sandra Laugier et Patricia Paperman, Qu'est ce que le care ? Souci des autres, sensibilité et responsabilité (Petite Bibliothèque Payot, 2009).
Je dois dire que je serais curieux de connaître votre interprétation...

7 commentaires:

Anonyme a dit…

Je suis très "touché" par la dernière phrase sur le fait qu'un homme qui tient son pantalon n'est pas un fasciste. Elle définit la guerre finalement? En guerre on pense tuer un "monstre", la force adverse du pays, et plus on élimine les adversaires plus on diminue la force du pays ennemi. Il était venu tuer des "fascistes" mais c'est aussi une personne un fasciste et là il semble que ce soit juste un méchant, juste une pensée méchante. Ils sont des hommes en uniformes représentent l'idée la volonté de leur pays et au moment où quelqu'un a un geste "humain" enfin normal, c'est comme si l'uniforme tombait, et là il se rend compte de qui est au dessous. ?

michel terestchenko a dit…

Oui, quelque chose comme cela. Le soldat en uniforme incarne l'ennemi. C'est au fond une figure abstraite. Retrouverait-il sa réalité d'être humain, serait-ce dans sa maladresse - le pantalon qui tombe et qu'il retient - la chose devient nettement moins aisée -voire impossible dans le cas présent.

Cathy D a dit…

Cette anecdote, malgré les circonstances dramatiques m’a fait sourire et que chacun me pardonne. Le burlesque de la situation : un soldat qui court tout en retenant les deux pans de son pantalon devient un clown. Le clown est là pour amuser, distraire, faire rire. On ne tue pas quelqu’un qui vous faire rire car il vous renvoie à votre image sous un jour plus léger. Ma réaction me dérangeant, j’ai cherché à en savoir plus et j’ai donc trouvé un autre exemple cité par cette même philosophe : le soldat qui prend son bain. Rien de risible cette fois, l’évocation du bain indique la propreté. Serait-il « propre » de tuer quelqu’un nu en train de se nettoyer ? Pour certains oui car apparemment ils s’en lavent les mains. Mes interprétations sont tout à fait subjectives et sont les premières que j’ai ressenties.

Anonyme a dit…

Cette histoire est également relatée dans le livre de Jonhattan Glover "Humanity"... Il évoque à son propos (et bien d'autres, comme par ex. cette femme noire qui pdt. une manifestation anti apartheid à Durban en 1985 voit se ruer vers elle un policier, le fuyant elle perd sa chaussure, il la ramasse par réflexe, lui tend, leur regard se croisent il la laisse partir...) la notion de "breakthrough" ; dans des situations de de sauvagerie dominante, tout à coup, un retournement total. La vulnérabilité semble alors se manifester et rappeler le "bourreau" à la sienne... La fameuse présence à soi recouvrée ????
Pierre T.

michel terestchenko a dit…

Un grand merci, Cathy et Pierre, pour vos deux beaux commentaires. J'aimerai bien que vous développiez vos réflexions. On pourrait éventuellement les mettre en ligne dans un billet à part ? Ce serait formidable !

Pascal a dit…

Peut-être la nudité renvoie-t-elle à une naturalité originelle et innocente de l'homme et fait-elle quelques instants ressurgir une pitié étouffée par le contexte guerrier? Explication pas très originale au fond. Que faut-il lire de Georges Orwell? Et savez vous s'il y a une bonne biographie?

michel terestchenko a dit…

Cher Pascal,
Il faudrait lire les recueils d'articles d'Orwell. Vous trouverez les titres sur amazon (je n'ai pas vraiment le temps d'aller fouiller dans ma bibiothèque). Si vous ne trouvez pas ou hésitez, je vous les donnerai de façon plus précise.
Bien cordialement,
Michel