La sagesse populaire a raison de dire que pour rester amis il ne faut jamais toucher un homme au portefeuille. N'est-il pas placé sur le coeur comme une plaque de métal qui repousse avec horreur la lumière du soleil ? Souvenez-vous des cris d'orfraie d'Harpagon dans L'avare de Molière ou du père Grandet chez Balzac. Me revient aussi en mémoire ce mot de Machiavel qu'un homme vous tiendra moins rigueur de lui prendre sa femme que son argent. De toutes les vertus, la plus rarement trouvée et, par conséquent, la plus digne d'admiration est la générosité ou, comme dit Aristote, la libéralité. Mais c'est une vertu aristocratique de grand seigneur, quoique, plus que les nantis, ce soient souvent les gens simples et de peu de moyens - il y a des exceptions pourtant, j'en connais et je les salue bien respectueusement - qui agissent avec cette largesse qui est une largesse d'âme. A quoi s'ajoute qu'il faut savoir donner comme il convient : non pas du bout des lèvres, ni en maugréant ou en humiliant le donataire, mais avec joie : généreusement, précisément. La beauté du geste réclame que le coeur y mette un peu de vraie chaleur. Mais combien cela est rare !
Cette avarice est-elle un trait psychologique universel ? Peut-être. En d'autres temps, les hommes ont pourtant eu l'intelligence d'instituer des comportements sociaux qui les prémunissaient de ce défaut. Dans certaines sociètés anciennes, archaïques même, le prestige et l'honneur, parfois même le pouvoir, n'étaient acquis qu'à proportion de la capacité de donner. De là vient que les riches avaient plus que les autres l'obligation et les moyens de la pratiquer, et de la pratiquer avec ostentation. Ce n'est pas que les hommes d'aujourd'hui soient devenus plus égoïstes - car enfin la recherche du prestige social est elle aussi "égoîste" ; il en est simplement que nos valeurs sont plus étriquées et elles ne favorisent certainement pas ce qu'il y a de grandeur dans la dépense.
3 commentaires:
Bonjour,
Le système décrit sous le nom de potlach renvoie à ce prestige social liée à la capacité de donner. On pouvait s'y ruiner.
Mais surtout cela me rappelle ce passage des évangiles :
"1. Levant les yeux, il vit les riches qui mettaient leurs offrandes dans le Trésor.
2. Il vit aussi une veuve indigente qui y mettait deux piécettes,
3. et il dit : « Vraiment, je vous le dis, cette veuve qui est pauvre a mis plus qu'eux tous.
4. Car tous ceux-là ont mis de leur superflu dans les offrandes, mais elle, de son dénuement, a mis tout ce qu'elle avait pour vivre. » " (Luc 21, 1-4)
C'est la marque même de la générosité qui est une générosité aussi de l'âme.
Manuel
Cher Manuel,
Mauss, bien évidemment. Sans compter les Evangiles, en effet : les riches et le trou du chameau, la parabole de Lazare et du mauvais riche, etc.
Bien amicalement,
Michel
Bonsoir,
Avant de me permettre un modeste commentaire sur votre blog, je tiens à vous féliciter de l’avoir créé et de le faire vivre. Les universitaires sont absents d’un public non spécialiste. De plus la réconciliation est souvent difficile quand les notes de philo en terminale étaient désastreuses.
Donner de l’argent pour autrui est devenu un effort sur soi et quand je le fais, pour de modestes montants, je le fais avec une grande joie, tout comme je me débarrasse de choses en les donnant le plus souvent anonymement plutôt que de les vendre sur ebay et sur une brocante. Mais parfois je n’ai pas envie, je me dis que cela ne sert à rien, comme les gestes pour protéger la nature. Le découragement et le sentiment d’inutilité prennent le dessus.
Vous parlez alorsque cela provient de nos valeurs plus étriquées. Ma question est donc qu’entendez-vous par « valeurs étriquées » ? En ce qui me concerne je le perçois comme cet héritage judeo-chrétien qui coupe les choses en 2 valeurs : le bien et le mal. Mais à vouloir verser d’un côté plutôt que de l’autre, ce qui est bien pour un cas ne l’est plus dans un autre. Quel est votre réponse à ce sujet ?
Merci.
Enregistrer un commentaire