"Pensar, dudar" [" Penser, douter "], Les voix intérieures, XXVIII, poème de Victor Hugo, daté du 8 septembre 1835, dans lequel il adresse à son amie et confidente, Louise Bertin, ses angoisses religieuses :
Quand on ne songe plus, triste et mourant effort,
Qu'à chercher un salut, une boussole, un port,
Une ancre où l'on s'attache, un phare où l'on s'adresse,
Oh ! comme avec terreur, pilotes en détresse,
Nous nous apercevons qu'il nous manque la foi,
[...]
Cette absence de foi, cette incrédulité,
Ignorance ou savoir, sagesse ou vanité,
Est-ce, de quelque nom que notre orgueil la nomme,
Le vice de ce siècle ou le malheur de l'homme ?
Est-ce un mal passager ? est-ce un mal éternel ?
Notre esprit contemporain douterait, pour le moins, que le manque de foi soit un mal tout court, voyant dans ces interrogations et ces tourments les reliquats d'une ancienne illusion, toujours persistante. Mais être certain que c'est cela et rien de plus, non, en ferais-je l'aveu ? je n'ai pas cette assurance ou, si l'on suit Hugo, un tel "orgueil". La sensibilité religieuse est entre les hommes une grande marque de division, selon qu'on l'éprouve ou qu'on y soit totalement étranger, mais elle n'oppose pas les croyants aux non-croyants. Pascal s'adressait à ceux qui, malgré leur absence de foi, pouvaient l'entendre, non à ceux qui ne voient là que des gémissements dont l'intelligence ou la raison nous libère. Entre ces deux camps, il n'est sans doute pas possible de trancher - qui est clairvoyant ? qui est aveugle et égaré ? - du moins peut-on savoir dans lequel on se trouve. Selon le cas, le poème de Hugo sera ou bien une simple rêverie poétique ou bien l'expression d'une angoisse douloureuse et sérieuse.
15 commentaires:
Oui, le sentiment religieux (disons l'appel vers quelque chose d'élevé, de noble, quelque chose qui donne des ailes à l'âme) est sans doute l'une des expériences humaines les plus fortes. Il y a malgré tout une ambiguïté dans ce poème d'Hugo : il commence par parler de la tristesse, de la terreur, de la recherche du salut, etc., pour conclure que l'incrédulité (disons le manque de foi) serait peut-être de l'orgueil... Mais l'on touche ici à un point sensible : la foi ne serait-elle pas elle-même un témoignage d'orgueil ? La volonté d'être sauvé une forme d'égoïsme ? La recherche de Dieu dans la détresse une forme d'hypocrisie ? Finalement, la vraie foi ne serait-elle pas celle qui consiste à vouloir contempler Dieu par amour de Dieu, c'est-à-dire à rechercher cette hauteur dont nous avons parlé plus haut sans rien attendre en retour, vraiment rien, si ce n'est la mort ? Et là, je pense aussitôt à cet extrait du poème Dieu de v. Hugo que j'ai redécouvert récemment, et qui exprime mieux, à mon sens, l'essence de la foi, ou disons de la recherche du divin, en ce que ce poème est épuré de toute trace de "vouloir vivre" comme aurait dit Schopenhauer :
"Retournant aux cercueils comme à des alvéoles ;
Mourant pour s'épurer, tombant pour s'élever,
, ne se perdant que pour se retrouver,
Chaîne d'êtres qu'en haut l'échelle d'or réclame,
Vers l'éternel foyer volant de flamme en flamme,
Juste éclos du pervers, bon sorti du méchant,
Montant, montant, montant sans cesse, et le cherchant,
Et l'approchant toujours, mais sans jamais l'atteindre,
Lui, l'être qu'on ne peut toucher, ternir, éteindre,
Le voyant, le vivant, sans mort, sans nuit, sans mal,
L'idée énorme de l'immense idéal !"
Merci pour cette pause poésie cher Michel !
Dans le même sens, cher Mathieu, mais en plus profond, plus désintéressé, plus vide encore, Maitre Eckhart qu'il faudrait lire.
Exact pour la référence à Maître Eckhart ! J'y pensais justement car nous l'avons étudié l'an dernier. Il y a un sermon dans lequel il dit en substance : si je pouvais voir Dieu ne serait-ce qu'un instant, quitte à être damné pour l'éternité si c'est ce que la justice réclame, alors je le ferai.
Toujours dans la même veine, Fénelon auquel j'ai consacré un livre Amour et désespoir qui explore la controverse sur le pur amour à travers tout le XVIIe siècle. Mais il faut vraiment avoir envie de se plonger dans ces questions...
L'orgueil dont parle Hugo, où commencerait-il selon vous : lorsqu'on découvre qu'en nous la foi est absente ou lorsqu'on nomme plus avantageusement cette absence ?
D'autre part, que la sensibilité religieuse n'oppose pas les croyants aux non-croyants, est-ce dire qu'elle peut faire défaut aussi bien aux premiers qu'aux seconds ?
Voilà deux questions que me laisse votre bien intéressant échange.
Mille excuses : j'avais cru comprendre que la machine me demanderait de m'identifier après avoir cliqué sur publier, je ne souhaitais pas le faire anonymement,
T.
Oh oui, cher Thomas, une adhésion purement sociale à la foi peut-être dénuée de toute sensibilité de cette nature;
Voyons la foi, ou l'absence de foi comme le caillou rassurant sur lequel on pose son pied pour traverser la rivière de la vie...
Il est un pays nommé "dehors"
Ayant adopté une constitution "fumeuse"
Vota à sa tête un "raccourci" d'homme
Et sous l'aspect partial-impartial de la poésie
Décréta un nouveau réel
Saisir le fil de l'histoire mon frère
La maison du monde est "plate-forme"
Elle part à l'action Antigone
La foi n'est jamais superficielle
La foi intrinsèque à l'homme.
Très heureux de vous retrouver ici, cher professeur, et de tenter une écriture « balbutiante » sur ce beau site de partage… mais je suis resté un fidèle lecteur à l’écriture « en jachère » j’en conviens…
Quel beau texte d’Hugo en effet… Prise au long du mourir, ou au seuil de la mort, l’angoisse dominée par un sentiment qui orchestre à la fois la possibilité d’un gouffre d’absence, incessamment ouvert sous les pas du poète, l’irréversibilité d’un temps qui « jamais plus » ne reviendra, l’arrachement continu aux attaches et aux tendresses quotidiennes et enfin l’imminence d’une finitude sans appel. C’est l’inconnu de la mort, il me semble, qui nourrit l’angoisse de l’écrivain. On ne peut écarter le caractère impensable, inimaginable de la mort ; et c’est précisément cet inconnu, cette sorte de soleil noir à l’horizon de la conscience qui en aveugle le regard au risque de le confier à une foi de charbonnier… La tentation est grande en effet : « il nous manquerait la foi… »
Cette dernière perspective n’est pas celle du philosophe qui nous invite plutôt à regarder les choses telles qu’elles sont : la vie est un don et une grâce mais, un jour il nous faudra fermer les yeux et, à cet instant là, nous serons seuls, apeurés, nus, éjectés hors de ce monde, mis à la porte sans indemnités de la « multinationale » du vivant. Rien donc ne peut supprimer cet irréductible de l’angoisse, ni une philosophie ouverte sur l’au-delà, et encore moins la foi dogmatique du croyant. Mais celles-ci, si elles n’offrent guère d’apaisements ou de consolations, affichent clairement des dépassements. Contester cette angoisse à défaut de la supprimer, la dépasser, la transcender telle est la tâche fondamentale du philosophe et peut-être du religieux : permettez-moi cher professeur d’ajointer ici la tâche du philosophe à celle du croyant qui désirerait entreprendre une méditation sur la vie, sur la mort, qui abstrait la temporalité : à ce moment là, l’homme est poussé du fond de lui-même à chercher un chemin de l’être. La mort étant la fin de l’être empirique et révélant le monde comme dépassé, elle ouvrirait par là-même, une possibilité d’accès et de compréhension à une existence bien réelle. La mort, l’angoisse, le doute pourraient transformer une simple existence mortelle en étude, en compréhension, en signification, en sublimation, en transcendance. Comme souvent, c’est en acceptant de plonger dans l’agonie de l’existence que celle-ci, comme au terme d’un long tunnel immaculé, s’ouvre sur l’horizon d’une immortalité personnelle, et peut être d’une métaphysique de l’éternité. Pour peu que l’on accepte de regarder en face le soleil noir de la mort, celle-ci ne nous aveuglera pas, mais au contraire, nous rendra la vue. Prendre conscience que la vie est limitée, fragile, n’est-ce-pas la reconsidérer et lui donner toute sa valeur ? Vivre en étant conscient que c’est une chance et un sursis : n’est-ce pas là une promesse d’intensité plus excitante que l’insouciance bestiale et qui nous distingue du règne animal ? Ne serait-ce pas la promesse du religieux ? Celle du philosophe ?
marcus M2
La voie de la foi et du doute, par un raccourci mystérieux mène à un bien étrange soleil noir de la mort. La mort n'est pas non vie. Elle est autre comme le deuxième poème de Hugo le suggère:"mourant pour s'épurer, tombant pour s'élever, ne se perdant que pour se retrouver". Tout est dit. Se perdre pour se retrouver, perdre se costume de vie terrestre pour retrouver sa nature première spirituelle. Point n'est besoin de religion ou de foi quand la réalité s'exprime. Il n'est pire aveugle que celui qui ne veut voir. Entre croire et douter il y a la voie de l'ouverture de conscience. Face à la mort, face à mes morts (je suis médecins) face aux vivants ayant fait un bref passage vers l'au-delà, il n'est pire aveugle, pire sourd que celui qui ne veut rien ou se contente de croire. La pensée religieuse ou philosophique ont le mérite de poser de bonnes questions mais qu'en est il des réponses si les mots ne cèdent place aux manifestations? Le soleil noir, témoin d'une peur infondée ou d'une perte qui n'est pas, égare. L'incarnation n'est pas pas la Vie. Et la désincarnation n'est que passage.
Bonjour,
Une rêverie ou bien une angoisse ? Je n'opposerais pas l'une à l'autre. L'angoisse de la croyance semble chez Hugo devoir passer par le détournement poétique pour pouvoir faire l'objet d'un discours. Cette lecture moins exclusive de ses poèmes questionnant la croyance (soit la majorité je pense) serait encore plus féconde à mon sens.
Merci d'avoir partagé ces vers d'un grand poète.
Très beaux vers d’Hugo que je ne connaissais d’ailleurs pas.
On peut se dire que dès l’instant où la pensée est apparue, alors le doute aussi était désormais possible. Ce qui fait que l’un ne va pas sans l’autre -vérité qui d'ailleurs imprègne toute l’Œuvre de Descartes-. Donc quoi qu’il arrive nous sommes fais de ce décalage qui nous conduira toujours à ne pas nous satisfaire de quoi que se soit. L’homme a soif. Et parce que la pensée et le doute lui sont constitutifs, celui-ci ne pourra jamais reposer sereinement au sein du Monde. C’est que par souci nous nous devons d’avancer, et questionner, même Dieu-Le-Père. Ce doute, le souci… sont-ils le Mal en l’homme ? Celui là même qui l’a conduit hors de l’Éden.
En tout cas ce qu’il faut remarquer c’est cette ''persistance'' du phénomène religieux à travers les âges. Comme si, malgré les doutes et les remises en question -ou absence de foi comme s’en plein Hugo-, quoi qu’il arrive, il faudra toujours qu’il y ait potentiellement au-dessus de l’homme, l’infinité bleue d’un ciel parfait…
Jean-Pierre Ménage étudiant de l’Urca - Année 2019-202
Bonjour Monsieur, je n’ai jamais étudié ce poème Les voix intérieures « Pensar Dudar » de Victor Hugo auparavant donc c’est avec un « œil neuf » que je vais essayer de comprendre la partie du poème que vous avez sélectionné. L’auteur n’expliquerait-il pas que quand nous sommes en fin de vie et que nous allons bientôt mourir, la seule chose qui puisse nous donner encore de l’espoir ne serait autre que la foi ? Vers 1 : « Quand on ne songe plus, triste et mourant effort », Vers 2 : « Qu’à chercher un salut, une boussole, un port ». Que la mort soit spirituelle ou non, il en est bien question dans les deux premiers vers selon moi. Terrifiés par la mort, nous nous accrochons à la moindre chose qui pourrait sauver notre âme et nous sauvés par la même occasion. Dans la seconde partie du poème, il serait plus question d’avoir la foi ou de ne pas l’avoir. Qui a raison entre les croyants et non-croyants ? 2ème strophe, vers 6 : « Cette absence de foi, cette incrédulité », il est question des non-croyants ? Alors qu’au vers 7 : « Ignorance ou savoir, sagesse ou vanité », il y a une opposition entre l’ignorance et le savoir et la sagesse et la vanité. Pour finir au vers 9 : « Le vice de ce siècle ou le malheur de l'homme ? » on ne peut pas savoir qui a raison entre ceux qui ont la foi et ceux qui ne l’ont pas.
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