On se forme l'esprit et le sentiment par les conversations, Pascal

samedi 23 novembre 2013

Responsabilité

On peut apprendre dès le plus jeune âge à jouer d'un instrument et atteindre, pour peu qu'on ait un peu de talent, un niveau qui ne sera peut-être pas celui d'un grand artiste ou d'un virtuose, mais permettant d'interpréter convenablement de magnifiques partitions, et il n'est pas impossible d'être formé et d'accéder à une certaine excellence dans la pratique d'un sport, mais qui nous apprendra les règles de l'art d'écrire et de maîtriser, un peu serait déjà beaucoup, les immenses possibilités de la langue ? C'est un apprentissage que l'on doit faire seul, l'école n'est d'aucun secours et nous restons avec un vocabulaire qui s'effiloche, une grammaire que l'on maltraite et de bien pauvres moyens d'expression. Comme cela est désolant ! Introduire un tel apprentissage dans le parcours universitaire serait une réforme utile et formidablement libératrice. Est-ce la raison pour laquelle il y a peu de chance qu'elle voit jamais le jour, se serait-on avisé d'y songer ? Il est vrai que les mots peuvent être des armes. Quel pouvoir voudrait s'exposer à l'insurrection d'une parole qui serait dotée de la puissance du style ? Je vois pourtant là un projet de réforme pédagogique profondément libéral. Il fut un temps, pas si lointain, où les polémiques étaient trempées dans la plume de grands écrivains et elles portaient loin. Nul ne les a remplacés. S'étonnera-t-on dans ces conditions de la pauvreté de nos débats ? Le fond se vide lorsque l'art de le mettre en forme se perd. Dans ces conditions, que pouvons-nous faire ? A défaut d'être formé, se former soi-même par la lecture et la pratique des grandes œuvres. Les effets de ce travail ne sont pas qu'individuels, ils sont politiques. Qui sait si ce n'est pas là une expression de notre responsabilité citoyenne ?

20 commentaires:

MathieuLL a dit…
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marcus a dit…

Regret ??? Responsabilité ??? Regret… puis responsabilité…

Permettez-moi cher professeur de m’arrêter un instant sur l’hésitation qui a arrêté le mouvement de votre écriture sur "la grande toile de l’humanité…" Votre hésitation, vous ne pouvez pas savoir ??? me fait un bien fou alors que je planche sur l’écriture de mon mémoire de master 2…

J’éprouve de la difficulté à écrire car c’est un peu mon histoire et car il est parfois si difficile de choisir des mots, des expressions, de faire des choix. Parce que, même si « je » ne suis pas sûr d’être vraiment l’auteur de mon choix, il me faudra l’assumer comme si c’était le cas. Que nos choix soient signifiants ou non, ne veut pas dire qu’ils sont les nôtres, au sens où ils émaneraient d’un « moi » fixe et unifié. Ça choisit en moi, écrivait Nietzsche avant Freud…

C’est dur de choisir parce que je ne sais pas qui je suis pour ainsi dire, écrire, choisir… mais parce qu’en même temps, paradoxalement, je sais que je suis en train de le devenir en choisissant ainsi… Nos choix, nos mots, ne sont peut être pas les nôtres quand nous les élisons, mais ils nous constituent peu à peu…

Merci, cher professeur pour cette belle leçon d’écriture et de choix (des mots).

Marcus M2

MathieuLL a dit…

Cher Michel, je partage sans hésitation votre plainte au sujet du langage que l'on maltraite aujourd'hui, mais je doute que l'éducation soit le moyen d'y remédier. Sinon, pourquoi n'aurait-on pas déjà réussi à réformer la langue et l'esprit des jeunes ? Le problème est plus large, et c'est bien au-delà de la simple éducation que l'analyse philosophique doit porter ; pour ma part, je crois distinguer deux facteurs aggravants : la technologie et la disparition du sentiment patriotique ou attachement à sa culture. Le premier est évidente : l'usage massif des technologies a séparé l'entendement de lui-même par la médiation de la machine et d'un langage répondant au principe d'économie (sms, facebook, etc.). Dans un second temps, il ne faudrait pas perdre de vue qu'une langue se rattache à une nation ou plutôt une culture, et est donc intimement liée à une identité. Or, le public auquel s'adresse l'éducation nationale aujourd'hui, de par son hétéronomie très prononcée et ses difficultés à s'intégrer vraiment, résiste à l'apprentissage (correct) de la langue car l'apprentissage de la langue passe nécessairement par l'apprentissage de sa littérature, de sa culture, etc. Et l'esprit libéral justement, avec son corrélat qu'est le multiculturalisme effréné (j'utilise à présent cet adjectif pour ne pas être mal interprété) paralyse le plein apprentissage de la langue. On ne parle pas la langue au foyer, et d'une, et on ne l'apprend pas à l'école car cela demanderait de lire des auteurs considérés comme appartenant à une autre culture.

Finalement, comme on doit niveler par le bas pour permettre à tous de "s'intégrer", on réduit l'éducation à ses fonctions les plus élémentaires. Faut voir comment l'on a massacré ces dernières années des pans entiers de l'histoire de France au profit de celle d'autres cultures et identités. Comment voulez-vous, avec ça, apprendre à parler une langue si vous ne connaissez pas l'histoire de la culture associée ? Comment comprendre Hugo si l'on n'a pas étudié en profondeur l'histoire du Second Empire ? Et comment comprendre celle-ci si l'on a pas étudié la Deuxième République, etc. ? Alors on peut bien étudier la vie des zoulous, je ne crois pas que cela puisse vraiment aider à s'approprier la langue française.

Il viendra un temps où l'on n'étudiera sans doute plus du tout les grands auteurs français - ils paraîtront trop rétros au regard de la société qui se construit actuellement, pas assez ouverts, trop misogynes, un peu xéno, etc.
Bref, je ne suis pas pessimiste, mais un peu inquiet quand même... Il y a sans doute d'autres causes à ce phénomène, mais je me suis penché sur celles car elles font l'objet de mes réflexions en ce moment. Voilà tout !

marcus a dit…

... suite...

... et j'y vois là (pour tenter de ne pas être complètement hors sujet)... une belle et "bonne" leçon éducative faite d'élection réfléchie de mots les plus ajustés, les plus intériorisés, les plus authentiques... les plus beaux certainement aussi...

marcus

Anonyme a dit…


Cher Monsieur Terestchenko,

merci pour votre billet, fort intéressant. J'ignore si cela a sa place ici, mais je pense que ce que vous exposez, la faiblesse dans l'expression littéraire des individus (dont je pense aussi bien être victime) , peut correspondre à deux phénomènes (au-delà de ceux évoqués par MathieuLL). D'abord, un certain "mépris" (le terme est peut être un peu fort) des professeurs (et même au-delà) envers les créations artistiques / littéraires des élèves (que ce soit au collège, lycée, université etc.). Cela est bien sûr à relativiser, et certains doivent faire un excellent travail. Mais je pense qu'il y a une tendance à dévaloriser les élèves dans ce qu'ils peuvent créer, notamment au niveau littéraire (que ce soit des romans, de la poésie etc.). Ce qui est idiot, bien sûr que personne ne s'improvise Hugo ou Rimbaud en deux jours, et toute formation de l'esprit par une certaine forme de "stupidité", de manque "d'originalité", d'égarements et de maladresse etc. C'est indispensable pour la fortification de la pensée et du style. Et c'est bien le second aspect que j'évoquais : le fait d'avoir tendance à considérer l'expression (notamment artistique) comme une performance, et non comme une "expansion" de soi, un enrichissement.
Or, cette attitude coupe directement l'herbe sous le pieds... C'est déprécier la richesse et la potentielle créativité de chacun que de les comparer aux grandes oeuvres de ce que le génie humain a pu produire et de leur dire : "tu ne feras jamais aussi bien". Je pense que ce sentiment d'infériorité pourrait expliquer le recours récurrent des élèves à citer sans cesse des "grands noms" sans forcément les maitriser. C'est un peu invoquer leur figure, pour se protéger du fait de devoir - nous individuellement - affirmer une idée, encore trop maladroite. C'est plus facile. ["je suis tellement esclave de mon nom que je n'ose écrire de peur de lui nuire" disait à peu de choses près Dagerman]. Cela rejoint un peu Kant quand il résumait les lumières au fait "d'oser penser", et la tradition libérale ? (ma pensée est peut être pas juste et parfaite en elle-même, mais c'est la "mienne"). Ce n'est pas tomber dans un égocentrisme absolu (au contraire, je pense que la créativité et l'imagination pousse à l'émerveillement et à l'exploration), mais bien plus une forme de "saut" de l'esprit, d'audace...
Pourtant, le mépris de certains professeurs (et élèves... peu de doutes que ca impose le respect de faire des alexandrins de nos jours) détruit ces élans. Bien qu'il faut aussi relativiser, car je pense que beaucoup s'essayent à écrire ou dans une vocation artistique, mais de manière cachée / personnelle, dans un repli sur soi... Au-delà de réformes institutionnelles, il me semble qu'un changement de disposition de l'esprit à l'égard des capacités et potentialités de chacun serait plus fécond...
Bref... Je ne sais pas si cela a sa place ici, mais ce sont un peu mes ressentis sur la question...
Encore merci pour votre billet et votre blog plus généralement, toujours un plaisir de le suivre,
bien à vous.

C.N.

Anonyme a dit…

et toute formation de l'esprit PASSE* par une certaine forme de "stupidité", maladresse etc.

Descharmes philippe a dit…

Toute la question de la langue et donc plus généralement de la culture passe par un réel choix et une vraie volonté politique de nos gouvernants et gouvernements quels qu'ils soient. Je vais donc , pour appuyer ceci, citer Machiavel que vous évoquiez lors d'un billet précédent: "Mais il faut savoir se bien cacher et entendre l'art de dissimuler: car les hommes seront toujours assez simples et assez pressés par les besoins présents pour que celui qui veut tromper trouve toujours des dupes". C'est pourquoi, je pense que les hommes de pouvoir n'ont pas vraiment l'intention d'effectuer des réformes structurelles profondes qui viseraient à optimiser, la langue, le langage, ce que l'on appelait les belles lettres (pardonnez moi ma nostalgie), car cela serait peut être source de contradiction et de remise en cause de leur façon de gouverner, en tout cas d'exercice d'un contrôle des institutions et non pas d'un désintéressement banalisateur de la culture.

Emmanuel Gaudiot a dit…

Il y a la place des gouvernants: celle qui leur inspire des réformes qui peuvent asphyxier la culture (je pense ici à un exemple: celui de ne plus dispenser d'histoire au lycée dans les séries scientifiques). Il y a la place des gens qui sont affairés et ne se demandent même plus s'il est bon ou non de lire car le monde et les peurs qu'il suscite fait passer cette question au second plan. Il y a enfin la question technologique et les formats de la communication de ce siècle naissant.
Pourtant vouloir et même espérer qu'un pays entier soit "cultivé" est une utopie puisque tous ces facteurs ajoutés réduisent les options qui s'offrent pour diffuser les mots et tout ce qui va avec (le goût de l'art, l'ouverture d'esprit, la tolérance).
La meilleure façon de lutter contre la mort des mots est celle que donne Erik Orsenna dans "la révolte des accents" (je ne suis pas certain que ce soit dans cet opus de sa tétralogie!?!) où, pour sauver les mots de la mort, des gens passent leurs journées à prononcer les vieux mots, comme pour entretenir leur mémoire. Une autre façon imagée est celle du "Candide" de Voltaire qui conclut qu'il faut 'cultiver notre jardin': je pense que c'est notre responsabilité à chacun de produire dans nos petites parcelles d'esprit de beaux fruits et de beaux légumes littéraires, de les arroser d'amour (des mots) et de tradition; et contre Mathieu, de ne pas nous limiter aux espèces indigènes, mais de tenter de produire des espèces exotiques: je me rappelle une émission de radio où une sociologue affirmait que les habitants d'Afrique sub-saharienne avaient un vocabulaire dix fois plus riche que le nôtre pour exprimer les odeurs, parce qu'ils ne vivaient pas dans le monde aseptisé des Occidentaux, preuve qu'ils apportent autre chose.
Dernière évocation : l'émission "apostrophes" de Bernard Pivot qui reçut Jean-François Revel après la parution de son "Le voleur dans la maison vide"; Pivot posait trois questions finales : Votre mot préféré dans la langue française? Le mot que vous détestez le plus ? Le bruit ou l'odeur que vous préférez ? A la deuxième question, Revel fit cette réponse: "communication" ; je pense qu'il avait raison.
Merci Michel.

sausage a dit…

Marcuse (9h01),
"J’éprouve de la difficulté à écrire car c’est un peu mon histoire et car il est parfois si difficile de choisir des mots, des expressions, de faire des choix."

Pour vous réconforter :
"Avec des certitudes, point de style : le souci de bien-dire est l'apanage de ceux qui ne peuvent s'endormir dans une foi. A défaut d'un appui solide, ils s'accrochent aux mots, — semblants de
réalité; tandis que les autres, forts de leurs convictions, en méprisent l'apparence et se prélassent dans le confort de l'improvisation.
"
Cioran



MathieuLL (9h08)
"Le problème est plus large, et c'est bien au-delà de la simple éducation que l'analyse philosophique doit porter ; pour ma part, je crois distinguer deux facteurs aggravants : la technologie et..."

Votre réflexion me fait penser à ces mots de Paul Ricoeur qui datent de 1966 :
"Comprendre notre temps c'est mettre ensemble, en prise directe, les deux phénomènes : le progrès de la rationalité et ce que j'appellerais volontiers le recul du sens. Nous sommes les contemporains de ce double mouvement. [...] Nous touchons ici au caractère d'insignifiance qui s'attache à un projet simplement instrumental. Nous avons de plus en plus de moyens et nous avons de moins en moins de fins. En entrant dans le monde de la planification et de la prospective, nous développons une intelligence des moyens, une intelligence de l'instrumentalité - c'est vraiment là qu'il y a progrès -, mais en même temps, nous assistons à une sorte d'effacement, de dissolution des buts. L'absence croissante de buts dans une société qui augmente ses moyens est certainement la source profonde de notre mécontentement. Au moment où prolifèrent le maniable et le disponible, à mesure que sont satisfaits les besoins élémentaires de nourriture, de logement, de loisirs, nous entrons dans un monde du caprice, de l'arbitraire, de ce que j'appellerais volontiers le monde du geste quelconque. Nous découvrons que ce dont manquent le plus les hommes, c'est de justice, certes, d'amour, sûrement, mais plus encore de signification. L'insignifiance du travail, l'insignifiance du loisir, l'insignifiance de la sexualité, voilà les problèmes sur lesquels nous débouchons."

MathieuLL a dit…

Merci pour cette belle citation bien adéquate.

En outre, pour rebondir sur celle qui concernait Marcuse, j'aimerais invoquer ici un grand auteur : Céline, dont le style écrit-parlé a beaucoup agité la littérature française. Peut-être faudrait-il voir, justement, le langage comme une fin en soi et non plus comme un simple moyen ? Travailler les mots pour le plaisir de le faire, tout ceci en vue d'exalter le potentiel de la langue dans ce qu'elle a de pénétrant au regard de nos émotions humaines ? D'ailleurs, Céline écrivait des tonnes de pages avant de conserver l'infime précipité de sa prose... Et c'est cela qui manque aujourd'hui : le travail, la recherche, l'approfondissement - ce qui rejoint le thème de la technologie : on veut tout tout de suite. Qu'on s'imagine Kant écrire à la plume le Critique de la raison pure et un philosophe contemporain taper à la machine un texte court et épuré - on ne sera pas étonné s'il existe des différences qualitatives importantes.

pascale a dit…

Bonjour à tous,
La comparaison de l'apprentissage de la musique ou même du sport avec celle de la langue me semble intéressante. Cependant, cette comparaison a ses limites, il me semble.
Nous naissons quasiment avec la langue, elle est en quelque sorte ce que nous avons de plus commun et ce n'est qu'au contact des autres qu'elle se développe car notre besoin de communiquer est lié à notre humanité et à une nécessité élémentaire puisque nous sommes, qu'on le veuille ou non, des êtres sociaux. Nous pouvons, par contre, décider de ne pas faire de sport ni de musique et cela ne nous empêchera pas de vivre et de nous épanouir.
Cela dit, nous possédons des intelligences multiples qui convergent toutes vers un accomplissement de la personne. La musique comme le sport ne relèvent pas du don mais, entre autre, de cette particularité individuelle. Ils ne sont pas non plus uniquement affaire de forme, ou de techniques mais aussi de sensibilité. Il ne faut pas non plus oublier que sans une pratique régulière et assidue qui exige un réel effort, on ne parvient qu'à des balbutiements.
On peut de la même manière utiliser les mots et se contenter de ce qui est utile, sans vouloir accomplir cet effort qui mène au plaisir. Je dirai qui plus est que les possibilités de la langue sont effectivement tellement immenses qu'il paraît dérisoire de vouloir les maîtriser mais heureusement, on peut toujours tendre à cela.
L'école offre des outils, le minimum requis pour vivre ensemble, elle est ouverte à tous, ce qui n'était pas le cas auparavant. On peut se lamenter sur les déficiences de son public, sur la régression du niveau, regretter un âge d'or qui relève plutôt du mythe tout comme nos prédécesseurs l'ont fait, il n'empêche que l'école fait son boulot. Tant bien que mal, certes, car tout n'est pas non plus optimal, on peut entre autre lui reprocher d'avoir mis de côté tout ce qui favorise l'émergence de l'imagination et du penser autrement.
Nous ne vivons plus à l'époque des illustres auteurs qui ont été abondamment cité, l'image nous a sauté aux yeux et nous devons composer avec elle.
Il reste que je ne pense pas que le but de l'éducation nationale n'aie jamais été de former des citoyens à la pensée aiguisée mais au contraire de les faire entrer dans un moule politique qui s'appelle justement Nation. Il suffit de regarder l'évolution des manuels d'histoire pour s'apercevoir de la manipulation dont ils font preuve. Un exemple, si vous essayez de savoir ce qu'était l'Algérie avant d'être colonisée par les français en 1830, bien souvent vous verrez que cela reste une énigme.
Pour finir, c'est une entreprise tout à fait louable d'associer le fond et la forme mais je me tournerai davantage vers les penseurs de la Grèce antique pour retrouver un semblant de liberté polémique. Ne faut-il pas comme les peintres chinois copier et recopier afin de trouver ensuite sa voie ou tout simplement apprendre pour ensuite désapprendre et se libérer ? S'élever est donc, il me semble, une affaire personnelle qui exige de notre part un effort qui nous oblige à vivre à notre époque et dans un monde ouvert ou le multiculturalisme sera enfin reconnu … et j'ai presque envie de dire, pour ma part, vive les Zoulous !

Dominique Hohler a dit…

Vous me pardonnerez cher Michel de n’être pour une fois pas d’accord avec vous. Mais c’est ce qui fait la richesse du débat, n’est-ce pas ?
Quand j’avais lu « L’écriture ou la vie » de Jorge Semprún il m’avait semblé y avoir trouvé une définition -une formule- de la littérature. Plus tard, confronté à la question « Qu’est-ce que la littérature ? », je me précipitai sur le texte de Semprún et j’y cherchai le passage où on trouvait en toutes lettres la réponse.
Cette réponse, jamais je ne l’ai trouvée… du moins en toutes lettres. Et pourtant elle y est, elle est approchée, cernée, survolée, esquissée,… mais pas formulée. Et de même que les tourments comme l’amour ou la déréliction ni ne se nomment ni ne se décrivent, il y a dans les bons textes comme un deuxième niveau qui parle à un deuxième niveau de la conscience du lecteur, celui qui sait déjà et qui trouve plaisir à reconnaitre au-delà du logos et du verbe, l’expression de sentiments qui ne se donnent qu’en musique. C’est une réconciliation entre l’auteur et le lecteur alors que le logos et le verbe sont des mises à distance.
C’est dans la musique du texte de Semprún qu’on trouve la réponse à la question de la littérature, ce registre de l’expression qui en démultiplie le sens jusqu’à la folie.
Je crois que cela ne s’apprend pas. Ou alors les écoles s’appellent camps de concentration, hôpitaux ou champs de bataille et les matières enseignées seraient la douleur, l’angoisse, la maladie, le manque.
On ne s’étonnera pas que de nos jours ces écrivains-là, ceux qui viennent de là-bas, se font rares ; Céline a vu la noirceur qu’il décrit, il a fallu que le baiser de la mort effleure Hervé Guibert pour que sa plume nous donne « Le Protocole compassionnel », Bukowski était une épave. Il ne fait pas bon fréquenter l’écriture.
Employer les bons termes, maîtriser les règles de l’art d’écrire c’est je crois autre chose, un texte de bonne facture ce n’est pas encore de la bonne littérature et c’est ce qui fait l’originalité de la littérature ; plus que les autres arts, elle danse tout à la fois avec le sublime et l’innommable, elle échoue de peu à dire ce qui ne se dit pas, elle est parfois l’équivalent du silence mais jamais du bruit.
La forme est façonnée par le fond, et parfois elle est maltraitée, dépassée par le fond. En faire une discipline déconnectée du fond expose au ridicule. Les bons écrivains contemporains l’ont bien compris ; le dernier roman de Djian, « Love Song » navigue sur la mer d’huile de nos existences exemptes de tragique.

Dominique Hohler

Unknown a dit…

Je suis assez d'accord avec vous M. Tereshenko, le niveau de connaissance non seulement de la langue mais aussi des grandes oeuvres de la littérature baisse d'année en année. Et la petite question que vous soulevez quant à savoir si le pouvoir veut vraiment des gens libres et usant eux-mêmes de leurs propres entendements me paraît fondamentale. En effet, tout pouvoir politique se retrouve, je pense, bloqué devant un choix cornélien (qui s'accentue au fil du temps) celui d'assurer son propre survit et celui d'assurer la liberté à son peuple. Le problème de la liberté, c'est pour lui, qu'elle crée des individus aptes à le critiquer et donc à le mettre en cause, et à le changer plus facilement, allant ainsi à l'encontre de son principe se survit. Et tout le problème est là, plus il y a d'individu, plus le risque de révolte est grand, et donc plus la nécessité d'avoir un nombre réduit d'individus autonome (sens Kantien du user son propre entendement) se pose. Néanmoins, je ne suis pas pessimiste, et je pense qu'un jour la marche actuelle s'inversa et qu'on reprendra le chemin des Lumières, reprenant ainsi la célèbre maxime de D'Alembert, dans le "discours préliminaires à l'Encyclopédie" : "tout a des révolutions réglées, et l'obscurité se terminera par un nouveau siècle de lumières"...

Anonyme a dit…

MT : "s'étonnera - t - on de la pauvreté des débats"?
- alors, tous, [têtes] "chercheuses de poux", à nos claviers!?

Virginie d'Autryve a dit…

(1ère partie) Cet article commence par constater que l'école ne remplit plus sa mission, avec pour conséquence les lacunes des Français quant à la maîtrise de leur langue et notamment son écriture, puis il propose deux solutions pour remédier à ce problème. Si l’individu ne peut plus compter sur l’école pour lui apporter un apprentissage complet et fructueux, il doit se diriger vers d’autres horizons lorsqu’il devient adulte. Mais comment un enfant qui n’a pas reçu une bonne éducation scolaire pourrait-il avoir ne serait-ce que l’envie, voire même l’idée, d’explorer tout ce qu’il a manqué et ainsi avancer à tâtons dans le vaste monde de la culture? À qui incombe cette responsabilité? Aux parents? À l'école? À l’enfant? À l’enfant devenu adulte? Le mot responsabilité vient du latin respondere qui signifie répondre. Il s’agit donc pour un individu ou pour une collectivité de répondre de ses actes, de les assumer en tant qu’auteur, que créateur libre de ses actions et de ses paroles. Créateur libre, car accueillir le concept de responsabilité c’est en même temps accepter celui de liberté. En effet, si je ne suis pas libre de mes actes, comment pourrais-je en être considéré comme responsable? Autrement dit, se définir comme libre signifie se considérer comme cause incausée de ses propres effets. Mais les enfants qui se retrouvent dans l'impossibilité d’obtenir une bonne éducation peuvent-ils jouir de leur pleine liberté et donc de leur pleine responsabilité? Les enfants que l’on fait passer en sixième bien qu’ils ne savent à peine lire et écrire seront-ils libres un jour de se plonger dans les plus beaux classiques de notre littérature universelle?

Virginie d'Autryve a dit…

(2ème partie) “On peut apprendre dès le plus jeune âge à jouer d’un instrument” de musique, d’un sport, mais personne ne nous apprend à bien écrire. Pourquoi? N’est-ce pas précisément le rôle de l’école que d’apprendre aux enfants à écrire? Tous les enfants sont-ils condamnés à devenir des adultes qui n’apprécieront jamais à sa juste valeur la beauté de la langue française si “l’école n’est d’aucun secours”? Il n’est pas impossible d’apprendre à bien écrire quand on est enfant, mais il faut avoir de la chance : la chance d’aller dans une bonne école, d’avoir de bons professeurs, des parents cultivés, qui emmènent leurs enfants au musée, à la librairie, au théâtre, leur donnant ainsi envie d’aller plus loin, mais aussi la chance d'être particulièrement vif d’esprit et curieux, entre autres. Il est même possible d’éveiller son esprit avec seulement un de ces éléments, car il suffit parfois d’un petit coup de pouce, d’une inspiration, d’un modèle, d’une parole encourageante, d’un désir. Même lorsque les parents ne sont pas très impliqués dans l’éducation de leurs enfants ou lorsqu’ils n’ont pas la possibilité de choisir les meilleures écoles, un merveilleux professeur peut à lui seul éclairer l’enfant en agissant tel un guide pour lui et ainsi l’aider à acquérir l’amour de la belle écriture. Combien de grands penseurs ou écrivains une fois célèbres parlent de l’influence d’un(e) de leur professeur qui a aiguillé leur vie? Camus serait-il devenu Camus sans son professeur de lycée Jean Grenier? Jaurès serait-il devenu Jaurès sans l’intervention de l’inspecteur Félix Deltour auprès de ses parents pour qu’ils l’envoient faire de grandes études? Cependant, certains ne rencontreront jamais une seule de toutes ces chances dans leur début de vie. Alors que reste-t-il à ces enfants? Si l’école ne les aide pas, quelles chances ont-ils de s’épanouir intellectuellement puis dans leur vie personnelle et professionnelle?

Virginie d'Autryve a dit…

(3ème partie) Descartes commence son Discours de la méthode en proposant que “Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée…” et précise plus loin dans le même paragraphe que “le bon sens” équivaut pour lui à “la raison [...] naturellement égale en tous les hommes” suivi de “ce n'est pas assez d'avoir l'esprit bon, mais le principal est de l'appliquer bien.” Autrement dit, lorsque la vie ne nous apporte aucune des aides indiquées ci-dessus, il nous reste notre bon sens (ou raison) lequel n’a besoin que d’être mis sur la bonne voie, c’est-à-dire d’appliquer la bonne méthode puisque hodos en grec signifie le cheminement. Cependant, n'est-ce pas là précisément une des missions de l’école? L’école ne sert-elle pas justement à acheminer, à élever les enfants vers une autonomie intellectuelle, vers une liberté de penser par soi-même, et donc vers une possibilité de s’exprimer dignement dans sa langue maternelle? Ce à quoi Descartes répond dans cette même première partie “sitôt que l’âge me permit de sortir de la sujétion de mes précepteurs, je quittai entièrement l’étude des lettres” c’est-à-dire qu’il a choisi de sortir de l’aliénation de l’école pour s’emparer de sa liberté. Ceci étant dit, Descartes n’a-t-il pas d’abord eu besoin de l’école pour mieux s’en émanciper par la suite? L’école des Jésuites, c’est-à-dire une école qui fournit une éducation de très haute qualité, ne l’a-t-elle d’abord aidé à former son esprit pour qu’il soit ensuite en mesure de s’en défaire afin de se positionner dans une logique d’autonomie intellectuelle et d’innovation? Certes l’expérience de Descartes peut redonner confiance aux enfants qui ne s’épanouissent pas à l’école car il la décrit comme une institution qui ne favorise pas le développement de l'esprit critique puisqu’elle bourre le crâne des enfants d’informations imposées par leurs aînés. Il y a même des surdoués, aujourd’hui appelés HPI, qui sont en échec total à l’école parce qu’elle adaptée non à l’individu mais au collectif, échec qui fait croire à ces enfants qu’ils ne valent rien. Cependant et de façon plus générale, l’enfance correspond à une plasticité cérébrale c’est-à-dire à un moment où la matière prend forme, à une ligne directrice où tout se constitue. Si le travail n’est pas fait dans l’enfance, une belle future opportunité arriverait-elle trop tard?

Virginie d'Autryve a dit…

(4ème partie) “C’est un apprentissage que l'on doit faire seul, l’école n’est d’aucun secours…” elle l’était mais malheureusement elle ne l’est plus. Le manque de maîtrise de la langue française des individus qui sortent de leur formation scolaire et universitaire en est la preuve : “un vocabulaire qui s'effiloche, une grammaire que l'on maltraite et de bien pauvres moyens d'expression”. Il suffit de lire des livres d’une époque révolue certes, mais pas si lointaine, comme La gloire de mon père de Marcel Pagnol ou Claudine à l’école de Colette, pour se rendre compte de la différence de connaissances entre les enfants d’alors et d’aujourd’hui. Et en effet, on imagine assez mal de nos jours un enfant de collège réciter L’Iliade. Mais que faire en attendant que, peut-être, le niveau remonte? La première solution offerte par cet article est de se former soi-même, ou tout du moins d’améliorer une formation incomplète. Si on n’a pas la chance étant enfant, on peut toujours avoir la curiosité étant adulte! La majorité des étudiants en philosophie à distance à l’université de Reims dont je fais partie, sont des adultes qui ont ressenti une curiosité, une soif d’apprendre à mieux penser, et donc à mieux s’exprimer, et ce bien après leurs années d’écoliers voire d’étudiants en enseignement supérieur. Et puis, il y aussi les autodidactes qui nous rappellent que nous avons tous accès aux grandes idées et aux belles Lettres. Jean-Jacques Rousseau explique dans Les Confessions qu’il met à profit ses longues nuits d’insomnie aux Charmettes en lisant les philosophes, qu’il assimile seul, sans autre professeur que les auteurs eux-mêmes. Plus proches de nous encore, des acteurs comme Depardieu ou Luchini qui n’ont fait d’études ni l’un ni l’autre, mais qui se sont rattrapés plus tard dans leur vie en tombant amoureux des classiques : impossible de penser à l’un sans entendre la sublime Tirade du nez, et à l’autre sans s’enfoncer dans l’univers glauque et désespérant de Céline. À l’instar de tous ces gens élevés par la grande littérature vers une nouvelle vie plus riche et ce à n’importe quel âge, il nous est toujours permis d’espérer en faire de même. 

Virginie d'Autryve a dit…

(5ème partie) “Introduire un tel apprentissage dans le parcours universitaire serait une réforme utile et formidablement libératrice” : voici la deuxième solution offerte par l’article pour remédier aux insuffisances grandissantes de l’école. Les cursus universitaires du type creative writing sont très prisés aux États-Unis parce que venant d’une culture qui considère que le travail est à l'origine du génie comme le veut la conception nietzschéenne exposée dans l’aphorisme 162 d’Humain, trop humain : c’est l’exercice qui mène au génie. Mais ils restent boudés en France, à croire que l’art de bien écrire ne s’apprendrait pas, autrement dit soit on est artiste, soit on ne l’est pas, soit on a du talent, soit on n’en a pas, tel que le conçoit Kant dans la Critique de la faculté de juger : le génie est un don naturel, une grâce divine. Mais est-ce que les peintres ont tout appris seuls? Est-ce que le champion du Tour de France improvise son maillot jaune? Est-ce que la grande pianiste ne s’exerce pas chaque jour après avoir pris des cours pendant des années? Pourquoi en irait-il différemment pour la belle écriture? Brel disait que “le talent c’est juste l’envie de faire quelque chose, le reste ce n’est que de la sueur et de la discipline. L’accident de la nature, je n’y crois pas”. Alors en effet pourquoi ne pas aller chercher cette “sueur” et cette “discipline” dans l’enseignement supérieur? Il est cependant possible que l’idée de retourner à l’université puisse intimider ceux qui n’ont pas brillé à l’école étant enfant. Ces gens peuvent se diriger vers des écoles d’écriture, en personne ou en ligne, devenues de plus en plus populaires et fréquentées. Car nous vivons le paradoxe d’un pays qui se désintéresse de plus en plus de de sa culture, de son histoire, de ses grandes figures, et par conséquent de sa langue, mais qui en même temps contient un habitant sur quatre se décrivant comme étant en train d'écrire un livre (selon un sondage Le Figaro Littéraire), désir encore décuplé lors du confinement. Le niveau de l’école chute et les cursus universitaires se font attendre car “Quel pouvoir voudrait s'exposer à l'insurrection d'une parole qui serait dotée de la puissance du style?”. Et en effet, l’arme du poète est peut-être finalement la plus puissante et donc menaçante  d’entre toutes. Un certain usage d’un certain langage peut élever les hommes. Ainsi Jorge Semprun dans son livre autobiographique L’écriture ou la vie explique comment l’écriture, ainsi qu’une vision poétique de la vie, l’ont sauvé du camp de concentration de Buchenwald. Le poète serait-il craint au point d’être censuré, persécuté, voire exécuté, comme le furent Anna Akhmatova, sa famille, et ses amis, par les régimes totalitaires, s’il ne détenait pas une arme solide dans sa plume-arc et dans son encre-flèche? Cette partie de l’article commence avec le mot “libératrice” pour se terminer avec le mot “libéral” justement parce que l’écriture est porteuse de liberté. Liberté et “Responsabilité” (titre de l’article) s’impliquent l’une l’autre : exercer une liberté c’est assumer une responsabilité. 

Virginie d'Autryve a dit…

(6ème partie) “Il fut un temps, pas si lointain, où les polémiques étaient trempées dans la plume de grands écrivains et elles portaient loin.” On pense ici entre autres au pamphlet politique Napoléon le Petit de Victor Hugo écrit à la suite du coup d’État de décembre 1851 de celui qui allait devenir Napoléon III. Le cri d’Hugo n’a certes pas empêché le neveu de Napoléon I de gouverner la France jusqu’en 1870, mais il aura tout de même à jamais abîmé son prestige. On pense également au fracassant J’accuse paru dans l’Aurore du 13 janvier 1898 et dans lequel Émile Zola proclame être sûr de l’innocence du capitaine Dreyfus et utilise son stylo comme une épée pour faire couler non le sang mais l’encre en déclarant une guerre intellectuelle. Et tant d’autres : Chateaubriand, Lamartine, Jaurès, Camus, Aron, etc. Cette tradition française n’en est plus une, la chute du niveau scolaire ayant certainement contribué à ce regrettable changement. Alors en attendant que l’école soit sérieusement prise en mains et / ou qu’un programme universitaire pour ceux qui aimeraient parfaire leur maîtrise de la langue française voie le jour, il ne nous reste plus qu’à trouver nos maîtres, nos guides, nos inspirations en lisant directement les auteurs des chefs-d'œuvre de la littérature. L’article continue en soulignant très justement que la maîtrise de sa langue maternelle n’est pas seulement un droit individuel mais un devoir collectif, car elle nous permet de devenir un meilleur citoyen. Et en effet, apprendre à s’exprimer est une responsabilité citoyenne, car savoir s’exprimer c’est savoir penser, et savoir penser c’est savoir agir. C’est pourquoi dans 1984 Georges Orwell montre que la suppression  ou la simplification du langage poussée à son maximum engendre une disparition de la capacité de penser. En éliminant le mot liberté du langage, la Novlangue cherche à en supprimer l’idée. Alors il tient à nous tous de ne pas se laisser tyranniser pour ne pas l’être. Et c’est aussi le rôle de la philosophie de nous apprendre à penser et à parler de façon précise et rigoureuse. Comme le préconise Kant dans Qu’est-ce que les Lumières : “Sapere aude! Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! Voilà la devise des Lumières.”