Je me suis toujours étonné que la notion de bonté tienne si peu de place dans la tradition philosophique, mis à part chez Rousseau bien sûr, Schopenhauer, Hannah Arendt (qui en fait la critique) et chez Lévinas. La bonté n'est ni une vertu, moins encore le présupposé du devoir, et elle est plus que la bienveillance, ou alors sous la forme quasi inaccessible de la bienveillance ou de la compassion généralisée, en sorte qu'il ne s'agit pas à proprement parler d'une catégorie morale. En amont, elle s'enracine dans la nature (chez Rousseau), en aval, elle accompagne la sainteté. Quelque chose comme un état, non une disposition ou une intentionnalité : on ne peut vouloir être bon et l'être tout à fait, alors qu'on peut vouloir être juste, équitable, honnête, respectueux des autres, et, dans la conséquences des actes qui se déduit de cette intention,trouver l'horizon d'une réalisation de soi. Mais la bonté, c'est tout autre chose qu'une visée ou qu'une orientation. Je laisse de côté l'argument, qu'il faudrait pourtant creuser, selon lequel la bonté est une manière de l'imbécillité.
Voudrait-on écrire un livre sur ce sujet, quelles seraient les références, littéraires et philosophiques ? En vrac : Hugo - Jean Valjean est une sorte de saint laïc -, Dostoïevski, sans doute (Aliocha et le prince Mychkine), Melville (Pierre ou les ambiguïtés), Bernanos, Shusaku Endô (La fille que j'ai abandonnée), etc. J'ai tapé le mot dans le Trésor de la Langue Française Informatisé (TLFI), comme on pouvait s'y attendre, les occurrences sont assez peu nombreuses.
J'en appelle à vos lectures pour me faire partager vos références...
12 commentaires:
Je viens régulièrement sur votre blog. Alors, concernant la bonté, je pense à Rousseau, à Brechet, et, contemporain, à Christian Bobin.
A vous lire !
Je pense à Brecht, voulais-je dire ! (l'usage du téléphone portable est déconseillé aussi au clavier...)
Merci pour ces conseils. Pouvez-vous me préciser : quoi de Brecht ? Bobin, je l'avoue, je ne connais pas. Quel livre alors ?
C’est ça la bonté
Ne laisser périr personne et non plus soi-même
Combler chacun de bonheur, et aussi soi-même
C’est ça la bonté.
B. Brecht
Je vous envoie des références plus précises dès que possible. Pour Bobin, eh bien, il faudrait le lire, crayon en main !
Ecoutez la chanson bien douce (c'est un peu long, mais c'est si beau !) de Verlaine :
Ecoutez la chanson bien douce
Qui ne pleure que pour vous plaire.
Elle est discrète, elle est légère :
Un frisson d'eau sur de la mousse !
La voix vous fut connue (et chère !),
Mais à présent elle est voilée
Comme une veuve désolée,
Pourtant comme elle encore fière,
Et dans les longs plis de son voile
Qui palpite aux brises d'automne,
Cache et montre au coeur qui s'étonne
La vérité comme une étoile.
Elle dit, la voix reconnue,
Que la bonté c'est notre vie,
Que de la haine et de l'envie
Rien ne reste, la mort venue.
Elle parle aussi de la gloire
D'être simple sans plus attendre,
Et de noces d'or et du tendre
Bonheur d'une paix sans victoire.
Accueillez la voix qui persiste
Dans son naïf épithalame.
Allez, rien n'est meilleur à l'âme
Que de faire une âme moins triste !
Elle est en peine et de passage,
L'âme qui souffre sans colère,
Et comme sa morale est claire !...
Écoutez la chanson bien sage.
Pour B. Brecht, vous trouverez qques réflexions et références ici : http://www.maurice-regnaut.com/public/lui/es/sur/surbr004.htm
La citation de taleur est extraite de "la bonne âme de Se-Tchouan".
Bonne semaine !
Des tâches domestiques m'attendent, ce qui explique ma frénésie (= stratégie d'évitement) du matin en commentaires, outre l'intérêt que je porte à vos billets !
Bien. J'ai retrouvé, dans "Ressusciter" de Ch. Bobin, cette phrase "Une intelligence sans bonté est comme un costume de soie porté par un cadavre." Cette phrase me plaît, et je la mets en lien avec ce passage de la Bonne école (Ph. Choulet et Rivière) : "Contre les agitations solitaires de l'esprit égotiste, l'Ecole doit réhabiliter l'intelligence universelle, celle d'un Beethoven, qui fait de la bonté le signe supérieur de l'intelligence. Cela signifie qu'une conduite morale correcte est logique du point de vue de l'intelligence véritable, qui est point de vue sur l'universel : elle sert la vie des hommes, de tous les hommes. Il y a une intelligence sociale (sociale est en italiques)." tome 1, p. 238.
Le propos s'articule à votre billet sur la question du bien, je crois.
Je dois m'occuper du domestique. Question de nécessité...
Mille mercis pour ces précieuses références que je vais regarder de plus près.
La bonté...N'est-elle pas enseignée par Socrate? "(...)méchant, en effet, nul ne l'est de son gré" (Timée 86d).
Cher Pascal,
Cette fameuse citation signifie, si l'on s'en tient à la tradition interprétative, autre chose que l'idée de "bonté" et se rapporte à l'éros naturel de l'âme pour le bien...
Peut-être dans les lectures de Rousseau: Sénèque, Epître 90, "Les premiers hommes n'étant pas encore corrompus..." et Tacite, Annales III, xxxvi, "Les premiers mortels n'ayant encore aucun mauvais désir...", extraits relevés par Bertrand de Jouvenel dans l'Essai sur la politique de Rousseau (1947).
Bonjour Monsieur,
J’aimerais surtout souligner le fait, que la bonté fait partie de la morale, je sais que vous l’avez signalé dans votre article mais c’est un point assez important pour le relever une seconde fois. Nous sommes généralement bon (grâce ou bien à cause, cela dépend des points de vue) de Dieu.
Par rapport aux références que vous demandez, je n’en ai pas spécialement que vous ne devez pas connaître. Je pensais surtout à Aristote, Zarathoustra et Hobbes.
Pourquoi Aristote ? Pour son ouvrage intitulé « l’Ethique à Nicomaque » qui met en lumière la bonté et l’amitié. Zarathoustra qui faisait aussi référence à la bonté dans un de ses textes et enfin Thomas Hobbes qui est souvent mis en opposition avec Jean-Jacques Rousseau.
Néanmoins, même si la bonté n'est pas une vertu ni un devoir et encore moins une bienveillance, il est vrai que nous pouvons en ressentir du bonheur en étant bon envers les autres
Enregistrer un commentaire