Considérez-vous que la disparition du juge d'instruction soit une menace pour l'indépendance de la justice ?
C'est la crainte généralement formulée, mais ce n'est pas le problème de fond, qui tient plutôt à l'indépendance du Parquet à l'égard du Gouvernement et du Ministère de la justice. Selon le rapport Léger, le Parquet – donc le pouvoir exécutif – doit rester maître de la politique pénale. On peut l'admettre. Mais cela n'implique pas que l'exécutif intervienne dans des affaires particulières pour décider soit des poursuites soit de leur classement. En outre, la Cour européenne des droits de l'homme ne reconnaît pas le Parquet comme une autorité judiciaire. Il faut maintenir le principe d'équilibre et de séparation des pouvoirs, qui est au coeur de notre conception de la démocratie. Sur ce point, l'instauration d'un contrôle exercé par un juge de l'enquête et des libertés [qui remplacerait le juge d'instruction, mais serait soumis au Parquet, ndlr] ne constituerait pas une garantie suffisante. Il n'est même pas sûr que le Conseil constitutionnel valide cette réforme. Ceci dit, l'indépendance du juge d'instruction n'a jamais été totale dès lors qu'il y a relativement peu d'étanchéité entre les magistrats du Parquet et ceux du Siège. Une proposition intéressante eut été de séparer radicalement les carrières.
Le rapport Léger induit-il une évolution vers un système anglo-saxon ?
En effet, cela nous oriente vers une justice de type accusatoire pour deux raisons. La première est que le président de la Cour d'assises aurait essentiellement un rôle d'arbitre entre l'accusation et la défense. L'autre proposition importante, et qu'il faut saluer, c'est l'obligation de motiver les décisions de justice en Cour d'assises : aujourd'hui, en France, l'intime conviction du jury suffit à condamner quelqu'un sans autre explication sur les raisons de la décision, ce qui va à l'encontre de la jurisprudence existante. La Cour européenne des droits de l'homme a en effet récemment condamné la Belgique dans le cadre de l'affaire Taxquet « pour défaut de motivation de l'arrêt de la cour d'assises ».
Le renforcement des droits de la défense, préconisé par le rapport, éviterait-il le principal défaut du système anglo-américain, c'est-à-dire une justice inégalitaire, relative au talent et à la rémunération des avocats ?
Les propositions du comité Léger sont floues sur ce point : évidemment, une telle réforme devrait s'accompagner de moyens de défense accrus. On pourrait par exemple créer des bureaux d'aide pénale ou une assistance juridique plus importante, afin d'assurer l'égalité de traitement entre les justiciables. Or nous ne savons pas, après lecture, si ces changements sont envisagés ni même, le cas échéant, comment ils seraient financés. Le risque souligné par l'Union syndicale des magistrats est donc bien réel : une défense qui serait fonction du portefeuille des justiciables.
Vous disiez que la garde-à-vue constitue un véritable scandale en France. Que pensez-vous des propositions du rapport sur ce point ?
Elles vont dans le bon sens, mais sont encore nettement insuffisantes. Aujourd'hui, les avocats accèdent aux éléments du dossier vingt-quatre heures après le début de la garde-à-vue. Cette durée ne serait plus que de douze heures. Mais, à mon avis, l'avocat devrait être présent dès les premiers instants de l'enquête. Néanmoins, on peut saluer la volonté du comité de renforcer les garanties concernant le placement en détention provisoire et les droits de la défense. Plus généralement, il y a quelques avancées, mais on peut regretter que la justice pénale française n'ait pas fait l'objet d'une réflexion d'ensemble.
Propos recueillis par Fabien Trécourt
Le rapport Léger peut être lu ou téléchargé à l'adresse suivante :
Pour ceux qui s'intéressent à la procédure pénale en France et aux réformes nécessaires en vu de mieux assurer les droits de la défense, je vous conseille vivement l'excellent ouvrage de François Saint-Pierre qui vient de paraître chez Odile Jacob, Avocat de la défense.
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