Ce petit texte paraîtra, dans un premier temps, sur le site en ligne La Revue permanente du Mauss. En avant-goût de ce que pourrait donner le livre auquel je songe, à condition de donner à cette présentation davantage d'ampleur. Comme toujours, vos avis, commentaires, réserves, critiques sont bien venus :
« Ce n'est pas avec de bons sentiments qu'on fait de la bonne littérature», le mot d'André Gide, passé en adage, est si unaniment accepté que c'est à peine qu'on oserait en discuter la véracité. Est-il seulement des contre-exemples ? Jean Valjean dans Les Misérablesvde Victor Hugo, Alexis Karamazov dans Les Frères Karamazov de Dostoievski ou Rachel dans Les temps difficiles de Dickens sont des êtres parfaitement bons, mais cela ne fait pas de ces oeuvres, où se rencontrent également des personnages d'une noirceur et d'une perversité singulière, des exemples convaincants de ce que pourrait être une littérature des « bons sentiments ». Ce n'est pas que de tels sentiments n'existent pas et que les hommes soient incapables de répondre parfois aux incitations de la bienveillance, de la bonté et de la générosité, mais écrire un roman où il ne s'agirait que de cela conduirait inévitablement l'auteur à tomber dans le « sentimentalisme » insipide, dans une naïveté larmoyante et ridicule, le cul cul la praline, le tout le monde il est beau il est gentil, le joli joli, un angélisme de pacotille. Quel écrivain de talent voudrait se rendre aussi risible ? Mieux vaut admettre ce qu'écrivait François Mauriac dans son Journal : « Rien ne pourra faire que le péché ne soit l'élément de l'homme de lettres et les passions du coeur le pain et le vin dont chaque jour il se délecte. Les décrire sans connivence […] est sans doute à la portée du philosophe et du moraliste, non de l'écrivain d'imagination dont l'art consiste à rendre visible, tangible, odorant, un monde plein de délices criminelles, de sainteté aussi. » Eh bien ! Il ne s'agira ici ni de l'un ni de l'autre, mais de la bonté tout de même, sans rien de sirupeux ni de rose bonbon.
Dans le magnifique (et avant-dernier) roman de Romain Gary, publié en 1979 sous le pseudonyme d'Emile Ajar, L'angoisse du roi Salomon*, la bonté dispendueuse, la bienveillance munificente du héros, Salomon Rubinstein, est insatiable, inconditionnelle et totalement désintéressée, mais s'il en est ainsi, c'est qu'elle provient d'abord d'une protestation. Une protestation rageuse et colérique contre la vieillesse qui interdirait les plaisirs de la vie et vous apprête à la mort, contre la misère et de la détresse des oubliés de l'existence, contre l'impuissance ou l'indifférence du Dieu qu'il faut bien remplacer puisqu'il fait si mal son travail ; du moins est-ce ainsi qu'un des personnages, Chuck, interprète la raison métaphysique des largesses et de la bénévolence de ce vieil homme solitaire de quatre-vingt quatre ans qui dépense sa fortune au bénéfice de l'assocation SOS-Bénévoles, fondée par lui au soir de sa vie. Le roman est tout entier traversé par un humour étincellant qui est comme la sublimation d'une rage à peine contenue : la générosité pleinement gratuite est une sorte de pied de nez, de résistance ironique, lancé avec panache à la figure de Dieu et à la cruauté imbécile des hommes.
Faire la leçon à Dieu
Le narrateur, Jean, est un chauffeur de taxi, bricoleur à ses heures, qui se trouve engagé par Mr Salomon. Par quoi leur relation, qui deviendra bientôt une profonde amitié, commence-t-elle ? Par une première course en ville au terme de laquelle le vieil homme l'invite à prendre un verre, et tout à trac, sans raisons convenables, moins encore rationnelles, sort son chéquier et liquide le restant dû pour l'achat du véhicule.
"Je sentais que j'avais rencontré quelqu'un de spécial et pas seulement un marchand de confection qui avait réussi au-delà de toute espérance. J'en ai parlé le soir même avec Chuck et Tong, avec qui je partage la piaule, et ils m'ont d'abord écouté comme si j'étais tombé sur la tête et avais eu des visions religieuses entre le boulevard Poissonnière et le Sentier (…) C'est vrai que monsieur Salomon avait quelque chose de biblique, et pas seulement à cause de son grand âge." [p. 16].
S'il a fait fortune en ouvrant des magasins dans l'Europe entière, il dépense désormais son argent en finançant une association dont les bénévoles prennent nuit et jour les appels téléphoniques de désespérés qui n'en peuvent plus avec les malheurs de la vie. A l'occasion, ils leur rendent visite et leur apportent petits cadeaux ou aides diverses, selon les besoins. Salomon Rubinsten, le roi du pantalon et du prêt-à-porter, a besoin de quelqu'un qui le conduise, ce sera Jean. Et pourquoi donc ? Parce qu'il a la tête de l'emploi. Non du point de vue de l'apparence – de ce côté-là, il a plutôt une gueule de voyou – mais du fait de sa sensibilité aux causes perdues, les bébés phoques qu'on massacre en Alaska, les goélands qui crèvent suite à la marée noire en Bretagne. Voilà qui vous prépare dangereusement au bénévolat, parce que la « désensibilisation », c'est la condition première du fascisme et du terrorisme, et que c'est justement ce talent dont Jean est dénué : « J'ai toujours été prêt à faire n'importe quoi pour diminuer quand ça souffre » [p. 59]. Deux de ses amis se joignent à lui, un jeune homme noir, Yoko et Chuck, à la froide tête métaphysique, mais qui n'est guère mieux loti que lui : « C'est un grand mystère que Chuck, qui n'a que des idées en tête, se met à avoir du coeur dès que quelqu'un s'adresse à lui dans le malheur » [p. 33].
Et voici que Salomon les subjugue tous trois par son élégance souveraine, son refus obstiné de se laisser aller aux renoncements de la vieillesse, ses largesses dispendieuses, sa manière de faire « pleuvoir ses bontés sur tous les cas humains qui lui étaient signalés » [p. 23] et que Chuck interprète comme une manière de se substituer à Dieu : « Pour Chuck, le roi Salomon fait du remplacement, de l'intérim vu que le titulaire n'est pas là et il se venge de lui en Le remplaçant pour Lui signifier son absence (…) Pour lui, le roi Salomon faisait de l'intérim pour donner une leçon à Dieu et lui faire honte » [p. 45]. Et ça, si l'on suit Gary, c'est le propre de la relation que les Juifs entretiennent avec le Créateur :
"Il [Salomon] gesticule, voilà. C'est comme s'il brandissait le poing et faisait des signes pour protester et pour faire comprendre à Jéhovah que c'est injuste de tout faire disparaîtrte, de tout emporter, et, en premier lieu lui- même (…) Tu ne comprendras jamais le vieux tant que tu ne sauras pas qu'il a avec Jéhovah des rapports personnels. Ils discutent, ils s'engueulent. C'est très biblique, chez lui. Les chrétiens, dans leurs rapports avec Dieu, ils ne vont jamais jusqu'à l'engueuler. Les juifs, si. Ils lui font des scènes de ménage." [p. 33]
La protestation, l'humour et l'angoisse
Au coeur du roman, la relation compliquée qu'entretiennent Salomon et Jean avec Cora Lamenaire, une ancienne chanteuse réaliste de soixante-cinq ans, qui fut célèbre avant guerre mais qui tomba dans l'oubli à cause de la relation amoureuse qu'elle entretint avec un collabo. Le vieil homme envoie Jean lui apporter une corbeille de fruits confits, parce que, une nuit, elle a appelé SOS-Bénévoles. Quoiqu'il prétende ne pas la connaître, on apprendra bientôt qu'il a été amoureux d'elle à l'époque de sa gloire, qu'elle a protégé sa clandestinité lorsqu'il est resté enfermé durant plusieurs années dans une cave (pour échapper à la déportation) ; après sa déchéance, alors qu'elle travaillait comme dame pipi dans un restaurant, il lui a acheté un appartement et continue de lui verser une rente. Mais entre les deux, c'est depuis des décennies le refus de se revoir et l'échange de reproches vindicatifs : pour l'un, parce qu'elle n'est pas venue lui rendre visite dans sa cachette ; pour l'autre, parce qu'il continue de la poursuivre de ses reproches alors qu'elle lui a sauvé la vie. Toute l'affaire du jeune homme sera de reconcilier ces deux-là que leur fierté sépare l'un de l'autre, alors qu'ils vivent dans une triste solitude. Quand il ne prend pas des appels au milieu de la nuit, Mr Salomon collectionne des timbres poste et des cartes postales.
Jean se prend d'amitié pour la vieille dame, vient souvent lui rendre visite, la sort en boîte de nuit, l'emmène canoter au Bois de Boulogne, puis devient son amant parce que ce n'est parce qu'on est âgée qu'on n'y a plus droit. Dans le même temps, Jean tombe amoureux d'une jeune libraire, Aline, chez qui il s'installe bientôt sans rien lui cacher de sa liaison avec l'ancienne étoile de la chanson. Si c'est par amour qu'il lui offre une dernière fois les plaisirs de l'union physique, c'est au nom d'un amour en général :
(…) C'était pas personnel avec mademoiselle Cora, Chuck, c'était personnel avec l'injustice. J'ai encore fait le bénévole (p. 163]
Et, plus loin encore cet aveu :
On n'a pas idée de baiser une femme par pitié.
J'ai dû me retenir. J'ai vraiment dû me retenir.
Je ne l'ai pas baisée par pitié. J'ai fait ça par amour. Tu comprends très bien ce que c'est, Chuck. C'est par amour, mais ça n'a rien à voir avec elle.
Oui, l'amour du prochain, dit-il.
J'ai sauté de mon lit et je suis sorti. Il me faisait trop sentir. [p. 165)
Toute la contradiction de la relation de Jean avec la vieille dame éclate dans ce dialogue. Car c'est tout à la fois elle qu'il aime – sans quoi, ce serait vraiment trop dégueulasse, de la pitié ou de l'aumône justement – et elle, en tant qu'elle est une femme âgée à laquelle il serait injuste de préférer une jolie jeune fille de son âge sous prétexte que cette dernière n'aurait pas de rides et que la vie ne lui est pas encore « passée dessus ». Bien sûr, ça ne peut pas tenir. Jean s'emploie à réunir Cora et Salomon, qui partiront tous deux, à la fin du roman, vivre ensemble à Nice.
L'angoisse qui travaille les personnages, Salomon et Jean, est liée aux ravages du temps, à l'injustice cruelle de la vieillesse qui n'est pas une raison pour ne plus pouvoir profiter des joies de l'existence et espérer dans tout ce qui nourrit l'espoir des plus jeunes. Et toute l'admiration et l'amour que Jean éprouve pour le vieil homme – lequel se fait refaire les dents pour vingt ans ou plus, s'habille avec l'élégance d'un homme qui a la vie devant soi, et se fait conduire chez une prostituée, on ne sait pas si c'est pour le plaisir ou pour l'humour encore – vient de l'immense protestation que celui-ci proclame comme si ses actes et ses largesses désintéressées gueulaient pour lui contre le grand désordre de l'univers. Jean fait face, à sa manière, contre ce chaos, plus métaphysique que humain ou social, en passant son temps à vérifier la définition des mots dans les dictionnaires, parce que là du moins les choses sont à leur place et c'est sans mauvaise surprise.
La bonté, cher Mr Salomon, chez Jean aussi, procède d'une sensibilité à fleur de peau qui refuse bien sûr de se plier aux calculs de l'intérêt bien compris, mais aussi à toutes les formes d'apaisement que procurent les leçons de la sagesse. Mais le caractère déraisonnable de la générosité tous azimuts - « Quand on n'a pas le coeur bête, c'est qu'on n'a pas de coeur du tout » [p. 70] - obéit à une raison supérieure lorsqu'elle est une protestation contre la grande déraison de l'ordre des choses. Dès lors, elle n'a rien de naïf, d'imbécile ou d'angélique : elle est l'expression souveraine de la liberté de dire Non à l'injustice cosmique dont les hommes sont les complices et les artisans en second. C'est pourquoi, chez Gary, la bonté dispendieuse est le propre des êtres d'une intelligence supérieure. Et, comparable en cela à ce que devrait être la bonté divine, elle s'exerce sur les bons et les méchants, sur les cons aussi.
De cette dernière catégorie, Mr Tapu, le concierge de l'immeuble cossu où habite Salomon, est le parfait représentant, caricatural même avec son béret et son mégot aux lèvres. Mais, en homme de coeur, Jean ne l'oublie pas, quoique ce soit d'une façon particulièrement adaptée à son cas :
J'avais de la peine pour lui et je faisais des trucs exprès pour le motiver, j'arrachais une baguette métallique de la moquette, je cassais une vitre ou je laissais la porte de l'ascenseur ouverte pour lui donner satisfaction. C'était un mec qui avait besoin d'assistance […] Il avait besoin de moi, il lui fallait quelqu'un de personnel à détester, parce que sans ça c'était le monden entier et c'était trop grand. Il lui fallait quelqu'un et quelque chose de palpable […] Quand j'ai compris que je lui manquais, je me suis à l'aider. J'ai commencé par pisser contre le mur dans l'escalier, à côté de sa loge. Il n'était pas là mais il m'a tout de suite reconnu quand je suis redescendu. Il m'attendait […] Je lui ai fait un bras d'honneur et je suis parti. Depuis, il me considère avec satisfaction... [p. 96-97].
On l'aura compris, la bonté chez Roman Gary est tout sauf une affaire de morale. Si elle répond à une obligation, celle-ci est d'un autre ordre que le respect de principes, de régles et de prescriptions, qu'elles soient sociales ou autres. Quelque chose comme un don inconditionnel qui s'adresse, comme un vivant reproche, à l'anti don divin, pour lui dire son fait et qui s'enracine dans la colère d'une protestation qui se refuse au désespoir tout autant que dans les élans de la sensibilité. On pourrait voir en cela une forme de naïveté – de fait, elle est assumée comme telle puisque Jean tente parfois en vain de s'en guérir (« J'aimerais bien être un truand qui n'a pas froid aux yeux et qui a tout le confort. Tout le confort ? Le confort moral. Qui s'en fout quoi » [p. 19])- mais quand cette naïveté commence à manquer, c'est le monde entier qui court à la « désensibilisation ». Et lorsque cela advient, ce sont les Juifs qu'on extermine, les bébés phoques qu'on tue à coup de gourdin et Aldo Moro qu'on assassine.
Moquer la sensibilité, la brocarder du nom insultant de « sentimentalisme », au fond c'est l'emploi des salauds. Mais c'est le « coeur bête » de l'homme en colère qui voit l'injustice, qui la dénonce et la combat jusque dans ses conséquences métaphysiques et théologiques. Aussi pourrait-on dire que Gary « voltairise » lorsqu'il reprend les armes de l'humour et de l'ironie de son illustre prédécesseur à des fins assez semblables. En 1979, lorsqu'il écrit L'angoisse du roi Salomon, Gary dresse le poing contre la déficience de Dieu et la méchanceté imbécile des hommes ; bientôt, il tournera la main contre lui-même. Mais cela il est nous interdit de l'interpréter.
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* Mercure de France, 1979 ; réédité dans la collection Folio, Gallimard.
5 commentaires:
« ; bientôt, il tournera la main contre lui-même. Mais cela il est nous interdit de l'interpréter. »
Au contraire ; de plus, vous n'avez pas la possibilité de l'interdire…
Même si vous avez raison d’insister sur la phrase : "Quand on n’a pas le cœur bête, c'est qu’on n'a pas de cœur du tout.", il me semble, néanmoins, qu’elle a une ambiguïté qui mériterait commentaires…
En se contentant de faire de tous les travers, imperfections et faiblesses du cœur, autant de vertus, elle entérine, en effet, tous les présupposés que, par ailleurs, elle semble moquer…
Si la bêtise est manque d’intelligence, défaut d’entendement, le "cœur" apparaît alors, nécessairement, comme naïf, idéaliste, béat, cucul, nunuche, bonne poire ("Trop bon, trop con"), quand, disons la "raison", se réserverait, pour sa part, le privilège de la lucidité, du réalisme, du pragmatisme, etc.
Le cœur (toujours "puceau de l’horreur", pour parler comme Céline) donnerait donc dans tous les panneaux, que la raison, parce qu’elle a vu le loup, déjouerait sans peine : à elle la clairvoyance, voire le cynisme ou la "cruauté" ; à lui ("gros comme ça" et brave fille) les contes de fée…
Au mieux, nous ne sommes pas si éloignés de la condescendance habituelle ("Le cœur qui aime est toujours jeune" ; immédiatement assorti de son pendant, amusé et compréhensif : "Il faut bien que jeunesse se passe.") ; au pire, cela prête à la misologie (à la manière d’un Guizot de l’altruisme, par exemple : "Abêtissez-vous").
Mais si au contraire, nous considérons, avec Alain Roger (ou Gustave Flaubert), que la bêtise, loin d’être une carence, une déficience, est une sorte de trop plein (lorsque la raison pèche par excès, fatuité, lorsqu’elle se croit "suffisante"), le cœur, alors, loin de nous apparaître "bête", pourrait bien être, à l’inverse, le trublion qui ramène cette arrogance à plus d’humilité : tout simplement parce qu’il lui arrive de réaliser ce que la raison "sait" impossible.
Ne serait-ce, d’ailleurs, parce qu’au point final, qui clôt la discussion (le "C’est comme ça", qui était précisément, selon Michel Foucault, la devise de la bêtise), il oppose son fameux "cri", bien souvent silencieux d’ailleurs, mais qui est déjà de l’ordre du "faire", de l’agir.
Dans cette perspective, alors, c’est le finaud qui ne combat pas l’injustice, parce qu’il la sait inéluctable, parce que le combat est perdu d’avance, etc., qui devrait vite être invité à "bouffer du foin"…
Nous pourrions même aller plus loin : le cœur, lui aussi, devient "bête", mais lorsqu’il cherche à rendre "raison" de ses élans ; il devient alors vanité, suffisance, contentement de soi, prêchi-prêcha : "Même si la bonté n’est pas formellement bête, elle l’est en puissance. On s’abêtit quand on est béat de sa propre bonté. La bêtise, à cet égard, c’est la bonté béatifiée." (Alain Roger, "Bréviaire de la bêtise", Paris, Gallimard, 2008, p. 115).
Est bête celui ne se contente pas d’avoir "bon caractère" ("euêthês"), mais qui s’en flatte ; le "brave homme" qui se gargarise de sa bonne conscience, ou celui qui s’érige en modèle ("Frappe-toi le cœur, c’est là qu’est la bonté…") ; et, dans ce cas, Nietzsche a raison : "La bêtise des bons est insondable." ("Ainsi parlait Zarathoustra", III, "Le retour au pays"). Voilà aussi pourquoi celui qui veut, à tout prix, faire "l’ange" a des chances de faire l’idiot…
Ce qui rejoint, d’ailleurs, ce que je vous écrivais dans un précédent message : comment, pour un écrivain, évoquer la bonté, sans par là même la béatifier, l’abêtir ? Et sur ce point, vous aviez pleinement raison : la distance et l’humilité (donc, d’une certaine manière, l’humour) sont essentiels…
"Je sais bien qu’il est un peu attristant d’avoir strictement bien agi, mais après tout, il n’est pas nécessaire d’en faire une habitude. » [Robert Louis Stevenson, Prince Othon, Paris, Union Générale d’Éditions, coll.10/18, 1976, p. 186-187].
Bien à vous,
Yannick
Cher Yannick,
Tout cela est sans doute juste et pertinent, et la bonté se perd dans toutes sortes de travers, voire de perversions, dès lors qu'elle se pense, s'intitutionnalise ou s'idéologise (Arendt en fait la virulente dans critique dans son Essai sur la révolution). Mais chez Gary, il n'y a pas de théorisation. Simplement une forme de protestation, qui n'a rien d'idiote évidemment, sauf si l'idiotie est une contestation de l'ordre des choses, une manière de se casser la tête contre les murs, et de don quichottisme. La formule de Gary est percutante et brève, mais elle n'a rien d'une thèse. Elle s'adresse à tous les adversaires du "sentimentalisme" qui voit dans les sentiments des élans équivoques, "naturels", avec l'idée que la nature et la sensibilité, c'est vraiment ce à quoi on ne peut pas se confier (comme chez Kant). Je crois plutôt à une profonde intelligence des émotions, car que serait connaître, si ce n'était aussi "sentir" ? Mais la question est bien vaste, je vous l'accorde. Et je vous remercie infiniment de vos aperçus et des références précieuses que vous nous apportez...
Sur un point, Yannick, vous touchez à une question essentielle mais qui mériterait un développement à soi seul : la conscience réflexive est une perversion. Il est des états qu'on ne peut atteindre dès qu'on ne les cherche pas, et on ne les atteint d'une façon inconsciente. Ainsi en est-il du bonheur, de l'humilité, mais aussi certainement de la bonté. Il a déjà été question de cela dans un précédent billet consacré à John Stuart Mill et Dickens. Au reste, dans le roman de Gary, ce n'est pas Salomon qui se considère "bon", c'est Jean qui le voit comme tel, et Chuck qui s'exerce à l'interpréter de façon sacarstique.
J'entends bien le "bon cœur" qui vous pousse à (sur-)interpréter le livre de Romain gary et son existence défunte. Votre lecture vous à parlé à ce point que vous envisagez la publication d'un fragment de son explication minutieuse. Mais je m'interroge quand à l'efficience de ce laborieux hommage en terme de r(ai)sonance auprès des lecteurs avisé de la publication de votre ouvrage. Décrire une mesure soutirée à la partition d'un opéra pour espérer le faire comprendre à une personne momentanément sourde est un non sens absolu. Même si elle est observé avec la minutie d'un microscope moléculaire atomique raisonnablement pourvu en capacité d'opérations mathématiques, l'analyse n'aura jamais l'effet de l'écoute brute de cette cellule connecté à son ensemble. L’exclure de ce qui la fait vivre revient à presque à nier son existence. Un mot d'un poème, un couplet d'une chanson, le soupir d'une peinture coincé par deux formules et une addition. Pourquoi? Donner envie aux autres ? Faire découvrir ? Montrer que ça existe, se souvenir, célébrer, honorer ? Expliquer? Il a dit ce qu'il voulait dire en 400 pages en 80. Vous l'aimez. Parce que vous le comprenez ? Et si c'était justement parce que le livre de Romain gary, l'angoisse du roi Salomon était bouleversant que vous l'aimiez autant. Et si la grande émotion qu'il vous avait causé alors n'existe seulement que grâce à la grande confusion et au désordre que le livre procure à sa première lecture ; est-il bien nécessaire de détruire cette alchimie en la noyant de votre interprétation.
J'ai envie de dire, mais de quel droit ? Pourquoi porter une telle responsabilité ? Les sourds n'ont ils pas le droit d'essayer d'écouter par leurs propres tympans. Pourquoi envoyer des lecteurs renseignés par votre propre lecture de l'oeuvre découvrir celle ci? C'est pour leur épargner la grande émotion ? Combler une ignorance handicapante à sa compréhension ? Vous avez peur qu'on ne comprenne pas. Qu'on ne ressente rien. Faudrait il en parler avant pour vibrer juste ?
Je suis très méchant avec vous et comme tout bon abruti qui se sent pousser des ailes quand on lui propose de laisser un commentaire, je me laisse aller a ce genre de méchancetés sans queue ni tête. Je vous demande de bien vouloir excuser mes propos déplacés. Je post quand même hein parce que ça m'a pris un paquet de temps ces conneries.
Vous faites un travail remarquable, c'est juste que lorsqu'il s'agit du plaisir de comprendre des choses nouvelles, dire juste lisez le et laisser faire c'est pour moi la plus grande preuve de respect que l'on puisse faire à ses semblables et à l’œuvre existante.
Je vous souhaite une bonne continuation.
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