Philippe Jaroussky chante l'aria "Vedro con mio deletto", extrait du Giustino d'Antonio Vivaldi (1724), accompagné de l'Ensemble Matheus que dirige Jean-Christophe Spinosi. Et franchement, cette musique est un moment de pur bonheur, surtout lorsqu'elle est interprétée par un artiste aussi talentueux et attachant.
Vedro con mio diletto
l'alma dell'alma mia
il cor del mio core
pien di contento.
E se cal caro oggetto
lungi convien che sia
sospirero penando
ogni momento.
Je verrai avec joie
l'âme de mon âme,
le coeur de mon coeur
rempli d'aise .
Et s'il me faut m'éloigner
du cher objet,
je soupirerai en souffrant
à chaque instant.
2 commentaires:
C'est un grand bonheur d'entendre ces grands airs que je ne connaissais pas. La voix de Jaroussky est juste, précise et l'intonation pure. Il parvient à recréer les tensions dramatiques dans ces compositions oubliées; les ornements baroques sont réalisés sans difficulté... Et les musiciens sont exceptionnels, bien entendu... On ferme les yeux et le voyage, la magie opèrent... Les critiques sont dithyrambiques : « Simplement c'est divin! »
Mais...
Permettez-moi de considérer cette proposition d'écoute belle... Très belle... Trop belle? Et de soulever par ce point d'interrogation et cette simple écoute une attention philosophique que je vous soumets ce soir, cher professeur.
J'ai une « collègue instit' » comme on dit (ou comme il ne faudrait pas dire d'ailleurs) qui participe à des « chorales » : elle a déjà remporté quelques prix, pas très prestigieux mais dont elle n'est pas peu fière. Elle a une théorie bien arrêtée sur la beauté d'un chant. Selon elle, il faut la présence d'un défaut révélateur pour que celle-ci déflagre. Une harmonie strictement parfaite dans un écrin de voix sublime serait, pour elle, quelque chose de trouble et d’outrancier; une musique sans aspérité, ni accident nous donnerait l'impression d'une harmonie parfaite qui conviendrait peut-être à une composition divine mais jamais à une production humaine. Il faut dire que l'auteure de cette théorie a elle-même un défaut, qu'elle arbore avec une immense fierté : une voix rauque, légèrement éraillée, profonde, grave, rocailleuse, inappropriée au chant... C'est une anomalie de naissance comme elle se plait à le rappeler. Et la voix de ma collègue est donc comme la confirmation vivante de sa théorie.
Défaut révélateur, dissonance, voix éraflée. Il est clair que ma collègue savait plaider pour sa paroisse avec une rare éloquence et quand je lui fis écouter ce passage de Jaroussky, elle fit la moue et s'exclama : « Parfait... Techniquement parfait mais chiant! Cela ne me concerne pas ».
Amen ! La messe était dite!
De mon côté, je ne pouvais m'empêcher d'être perplexe à l'exposé ramassé de sa conception, de la définition succincte de sa beauté musicale. Par naïveté peut-être, j'aurais plutôt tendance à m'exalter pour la perfection (que vous semblez partager cher professeur) de l'interprétation, et de l'absence totale de défauts et de dissonances…
À quoi bon ces éloges du biscornu, du boiteux, du mal fini ?
Cependant, mon point de vue n'est pas forcément le plus éveillé après réflexion : la quête de perfection est à la fois fastidieuse et décevante, vouée à l'échec presque par définition. Et à quoi bon aimer une beauté qui ne se trouve nulle part en ce monde à quelque exception près? D’ailleurs Jaroussky est-il vraiment humain?
Ma collègue proposait probablement moins une leçon d'esthétique que de sagesse. Savoir ramener la beauté à taille humaine, apprendre à trouver le divin dans le détail rudimentaire et imparfait des êtres et des choses qui nous entourent, tel était son désir le plus profond, sa générosité. Artiste par aspiration intellectuelle, elle prétend à une beauté accostable qu'elle veut prendre sur ses genoux, taquiner et tutoyer. Elle se refuse à l'ériger en idéal inaccessible. Même si elle ne m'a pas complètement convaincu, elle m'aura ouvert l'esprit. En prenant la défense de sa voix contre celle de Jaroussky, de sa préférence jazzy au baroque sensible et divin du contreténor, elle m'a fait déterrer la beauté profane… Celle des hommes qui ne se compromettent pas dans l’hybris.
Et suivant ses conseils j’ai écouté la douleur de « Hurt » de Johnny Cash… Et là aussi, en osant vous citer, « c’était un pur bonheur ».
(à suivre)
marcus
Cher Marcus, en fait, je suis assez d'accord avec votre amie. Mais ce qui me touche dans le cas de Jaroussky, c'est sa "fraîcheur", le plaisir qu'il prend manifestement à chanter, même si ce n'est pas la voix que je préfère et qu'elle est un peu trop "parfaite".
Merci en tout cas pour votre message.
Enregistrer un commentaire