L'actualité éditoriale nous livre deux ouvrages, dont se réjouiront ceux qui savent l'importance majeure de ces deux penseurs, l'un désormais assez connu, l'autre, hélas, fort peu : Léo Strauss (1899-1973) et Eric Voegelin (1901-1985).
Du premier sont édités, sous le titre La philosophie politique et l'histoire (Le livre de poche, 2008), une série d'études passionnantes où revient comme un thème récurrent la critique des différentes expressions de l'historicisme moderne. Au reste, c'est là un pléonasme puisque les Anciens ignoraient tout, et ce jusqu'à la fin du Moyen-Age, des présupposés de cette "contextualisation" de la pensée des grands philosophes du passé qui interdit de leur donner une portée d'universalité et qui ramène la quête de la vérité éternelle qu'ils poursuivaient à n'être que des expressions sociales, culturelles, propres à leur temps, mais qui n'ont aucun caractère de transcendance.
Mon ami, Thierry Gontier, signe avec son Voegelin, Symboles du politique (Le bien commun, Michalon) une présentation claire et dense des thèses essentielles de ce penseur, injustement méconnu en France, qui fut l'ami de Léo Strauss - il entretint avec lui une correspondance qui a été publiée et qu'il faut lire (Foi et philosophie politique : la correspondance Strauss Voegelin, 1934-1964 (Vrin, 1993).
Disciple de Hans Kelsen, Voegelin fuit l'Allemagne nazie en 1938 et s'installa aux Etats-Unis - tout comme Strauss - où il entreprit une vaste et puissante critique du positivisme juridique de son maître, entendant fonder une "nouvelle science politique" à la fois prescriptive et normative, capable, ainsi que le note Thierry Gontier, de renouer avec l'epistémé des Anciens.
Ces deux grands maîtres de la pensée politique contemporaine doivent être lus en contrepoint à l'oeuvre de Hannah Arendt, à laquelle tous deux s'opposent pour la raison première et décisive qu'ils ne pensent pas, comme elle l'affirme, que la pensée politique ne puisse ni ne doive avoir affaire avec la question philosophique de la vérité.
Qu'on voit en eux deux penseurs "réactionnaires", critiques de la modernité, l'un attaché à montrer toute l'actualité de la pensée des Anciens (en particulier Platon et Aristote), l'autre à enraciner l'ordre politique dans une expérience religieuse, est une facilité à laquelle il n'est pas sérieux de se prêter, ne serait-ce que parce que tous deux sont ainsi conduits à poser une question que la démocratie ne saurait éluder lorsqu'elle s'interroge sur elle-même - celle de la nature du "meilleur régime" et du fondement des principes qui la structurent - et qu'ils ont affronté,avec une profondeur inégalée, le fait "historial", pour parler comme Heidegger, constitutif des Temps modernes qu'est le nihilisme.
2 commentaires:
En même temps, l'universalisation a tout prix n'est pas nécessairement une bonne chose . Si un excès de contextualisation peut réduire la pensée d'un auteur, cette même contextualisation permet tout de même d'expliquer certaines choses aujourd'hui irrecevables, comme le point de vue sur l'esclavage d'Aristote. L'universalisation de la pensée d'un philosophe est, à mon sens, dangereuse car elle empêche l'étonnement philosophique, la capacité à se questionner et questionner des pensées devenues celles d'être divinisés, et non plus humains.
Mais ce n'est pas le cas de la pensée de Léo Strauss qui s'en prend aux contradictions du relativisme et aux difficultés liées à la négation de tout étalon de valeur, selon le principe de la "neutralité axiologique" chère à Weber. L'idée que la raison est impuissante à connaître des principes universels (dans une telle perspective les droits de l'homme volent en éclats). Mais c'est un vaste de débat qui ne peut être abordé ici. Léo Strauss reste, qu'on le veuille ou non, un auteur majeur qui n'a pas eu les "faiblesses" d'un Heidegger : cela mérite considération...
Enregistrer un commentaire