Un de mes amis, désireux de rester anonyme, m'a envoyé récemment le témoignage suivant qu'il m'a autorisé à publier ici. Je le livre tel que je l'ai reçu, vous laissant le soin d'être ou non d'accord avec la conclusion qu'il en tire :
"Mon père, puisque c’est de lui dont je veux te parler, avait été un membre actif de la Résistance, pendant la Seconde Guerre mondiale. En fait, il appartenait à un réseau de maquisards implanté dans le Vercors, sous le commandement du lieutenant Chabal. Eh bien, il était là, ce fameux, ce terrible jour de juillet 1944, le 23, où eut lieu leur grand sacrifice.
Le matin, la compagnie, le 6e B.C.A., avait pris ses positions au village de Valchevrière. Des mines avaient été placées dans la forêt pour contraindre les Allemands à emprunter la route. Ce jour-là, les soldats allemands sont arrivés en force et les ont pris sous le feu de leurs mitrailleuses. Un à un, ils se sont faits descendre, jusqu’au moment où il resta plus de vivant que Chabal qui continuait de tirer comme un forcené avec son arme lourde et son bazooka, et mon père. Informé de la situation, l’état-major leur donna ordre de se retirer, mais pour Chabal, cet ordre de retraite était totalement inacceptable. Aussi demanda-t-il à mon père de transmettre au commandant du secteur le message suivant, qu’il rédigea à la hâte sur un petit bout de papier : « Je suis complètement encerclé. Nous nous apprêtons à faire Sidi Brahim. Vive la France ! ». Mon père, à ce moment terrible, il voyait bien qu’ils allaient mourir tous les deux. Et l’idée de laisser son commandant en arrière lui tira des larmes de désespoir. Chabal lui hurla d’obéir et de foutre le camp au plus vite. Mais mon père ne bougeait toujours pas, paralysé, il n’arrivait même pas à tirer avec son arme. Quelques instants plus tard, Chabal fut touché à l’épaule. Il se leva douloureusement, et jeta au loin le carnet qu’il portait toujours sur lui dans lequel était inscrit le nom et l’adresse de ses compagnons. Naturellement, il voulait éviter que les Allemands s’en emparent et arrêtent leurs familles en représailles. A son retour, voyant que mon père était toujours là, il se mit dans une fureur noire et renouvela son ordre, le menaçant de son arme. Alors mon père s’en alla, prenant ses jambes à son cou. Chabal resta seul à tirer avec sa mitrailleuse. Il fut bientôt atteint d’une balle dans la tête. Lorsque les Allemands sont descendus au village, abandonné de ses habitants, ils ont incendié les maisons, ne laissant intacte que la chapelle. Eh bien, vois-tu, cette obéissance, mon père n’a jamais pu se la pardonner. Il considérait qu’il avait déserté. Que c’était une trahison, une lâcheté, d’avoir laissé son chef se laisser abattre sans être là pour le défendre. La retraite que Chabal avait refusée, lui, il l’avait acceptée. Bien sûr, il n’avait fait qu’obéir à un ordre. Quelle faute, quel manquement, y avait-il-là ? Mais pour lui, son acte lui paraissait tout simplement impardonnable.
Lorsqu’il me raconta cet épisode, tant d’années après qu’il eut lieu, il fondit en larmes. « Aujourd’hui encore, j’ai tellement honte ! C’était une lâcheté, une lâcheté ! » Je ne l’avais jamais vu pleurer, tu sais, pas une seule fois de ma vie entière. Je suis resté là, à ne dire rien dire. Que pouvais-je dire ? Puis, il s’est calmé et m’a demandé de le laisser seul. Nous n’en avons plus jamais reparlé et il est mort quelques mois plus tard. Il devait sentir que sa fin était proche et ne voulait pas, je ne sais pas, je suppose, que je l’apprenne, lui une fois parti, d’une autre source. Une manière aussi, je le suppose encore, de soulager sa conscience de ce qu’il avait porté si longtemps en silence et qui lui pesait autant qu’à la première heure.
Ce n’était pas une tâche sur son honneur, juste une ombre, une ombre, tu comprends…Une ombre sur le bien qu’il avait toujours tenté de faire, mais qui n’est jamais, chez personne, comment dire ? … impeccable."
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