On se forme l'esprit et le sentiment par les conversations, Pascal

mardi 14 février 2012

Jerry Brotton, Le Bazar Renaissance

Pierre Verdrager présente, sur le site Le journal du Mauss, le livre de l'historien, Jerry Brotton, Le Bazar Renaissance. Comment l'Orient et l'Islam ont influencé l'Occident (trad. Françoise et Paul Chemla, Les Liens qui Libèrent, 2011), publié il y a dix ans en Angleterre.


"L’objectif de l’ouvrage de Brotton, écrit Pierre Verdrager, est de mettre en évidence les contributions de l’Orient – au sens large – dans cette phase essentielle de l’histoire européenne que l’on appelle « Renaissance ». Dans tout son livre, l’historien entend défendre une conception de la Renaissance non pas en termes de conflits de civilisation mais en mettant l’accent sur les échanges culturels ou commerciaux. Aussi est-il amené à réfuter l’idée que la Renaissance européenne repose sur un « esprit » particulier. Pour asseoir sa démonstration, Brotton est amené à se pencher sur un certain nombre d’œuvres d’art dans lesquelles la présence de l’Orient est manifeste. Il se livre ainsi à une analyse iconographique du célèbre tableau Les Ambassadeurs d’Holbein qui constitue une remarquable mise en abyme de la Renaissance telle que l’entend Brotton, à la croisée de l’Orient et de l’Occident. L’Italie n’est en effet certainement pas la source unique de ce que nous appelons « Renaissance ». Pour Brotton, la Renaissance eurocentrée que nous connaissons est une pure fiction qui scotomise les contributions venant d’ailleurs et qui ont été constitutives de son identité. À une vision oppositionnelle entre « Orient » et « Occident », Brotton entend substituer une conception plus continuiste de cet espace en mettant l’accent descriptif sur les échanges inséparablement culturels, commerciaux et, bien sûr, guerriers."

L'article peut être lu dans son intégralité à l'adresse suivante :
  • www.journaldumauss.net
  • 7 commentaires:

    Emmanuel Gaudiot a dit…

    Ce texte fait imanquablement penser à l'actualité, et le lire fait plaisir; mais ceux qui prétendent que "toutes les civilisatiions ne se valent pas", ou alors que "l'homme africain n'est pas entré dans l'histoire" ne visent pas le même auditoire que vous, cher Michel, mais celui qui se complait dans la pire des paresse -la paresse intellectuelle-, ou que l'on maintient à l'écart de la méditation. Comptez sur moi pour combattre ce silence! Merci pour cette référence.

    Jean-baptiste Richard a dit…

    Merci d'avoir publié cet article. Il est tout d'abord intéressant d'aborder l'histoire de la Renaissance sous un autre angle que celui de l'ethnocentrisme. Jerry Brotton nous offre une nouvelle lecture de l'histoire de cette période, mettant en évidence les échanges entre l'Orient et l'Occident ainsi que les nombreux apports de l'Orient. Comme le souligne Emmanuel, on fait tout de suite le lien avec l'actualité.
    Cet article nous pose une question : celle de la relation de l'Histoire à la Politique. L' Histoire, en tant qu'elle est une science, se veut objective ; mais, en tant qu'elle est une science de l'Homme utilisant des méthodes interprétatives, elle est politique et subjective. Cet article montre bien le tiraillement de l'historien entre ces deux pôles que sont la Science et la Politique.
    Le Le Bazar Renaissance répond tout d'abord aux théories du "choc des civilisations",notion du vingtième siècle qui fait l'objet de débats politiques et de société encore aujourd'hui.
    Écrire ce livre est donc un acte politique même si son contenu est scientifique et historique.
    Les études historiques permettent d'étayer des positions et des opinions politiques.
    D'ailleurs, certaines critiques de Pierre Verdrager à la fin de l'article mettent en évidence cette ambivalence de l'histoire. En effet, il reproche à Brotton de formuler des jugements de valeurs à l'intérieur de son travail d'historien : "Brotton multiplie les jugements de valeur ... Ces jugements de valeur ne me paraissent pas pertinents dans la mesure où ils ne rendent raison que du rapport que l'historien entretient avec son objet et non de l'objet lui-même. LA tâche de l'historien n'est pas de s'indigner des valeurs du passé au nom des valeurs du présent ... mais de le comprendre." Pierre Verdrager poursuit : "Cela ne peut se faire en adoptant le point d'arrivée comme site d'observation privilégiée, sauf à tomber dans la téléologie bien pensante."
    Ailleurs, Pierre Verdrager émet quelques critiques cette fois historiques et scientifiques, relevant certains anachronismes et certaines erreurs qui, en l'occurrence, relèvent paradoxalement de l'Eurocentrisme.
    Pierre Verdrager en tire une leçon : "Le rejet de l'eurocentrisme ne se décrète pas, il doit être le produit d'une surveillance épistémologique sans relâche."
    Cet article met donc bien en évidence le problème de la scientificité et de l'objectivité de l'Histoire ainsi que son aspect politique. L'historien étant un homme ayant des valeurs, des opinions et étant positionnés politiquement, n'est-il pas illusoire d'attendre de lui un travail purement objectif ? Interprétant les faits à travers le filtre de ses valeurs, l'historien peut-il être neutre dans son travail ?

    michel terestchenko a dit…

    Merci, cher Jean-Baptiste, vous avez tout à fait raison. Ricoeur a également montré combien la sympathie est une disposition nécessaire à l'historien, comme à l'anthropologue du reste. De sorte qu'une certaine vision de l'objectivité doit, en effet, être remise en cause.

    Alexandre.Gagner a dit…

    Votre article me rappelle la polémique sur l’identité culturelle de l’Europe au moment de la sortie de l’ouvrage Aristote au Mont –Saint Michel du médiéviste Sylvain Gouguenheim. Ce dernier contestant le rôle des penseurs musulmans dans la transmission de l’héritage grec à l’Occident. L’Europe est-elle redevable à la civilisation musulmane de la transmission de la culture et de la philosophie grecque ? Le Figaro à l’époque se réjouissait de voir confirmer les thèses du pape benoit XVI sur le « creuset chrétien médiéval » de l’Europe. Est-ce parce qu’ils ont lu ce livre à partir des récupérations idéologiques dont il pouvait faire l’objet ? Selon Gougenheim, les textes grecs, en particulier l’œuvre d’Aristote, auraient été traduits et transmis à l’Europe médiévale principalement par des intellectuels chrétiens (arabes ou européens) et non par les penseurs du monde musulman. Ce qui est présenté comme une révolution historiographique par l’auteur relève d’un parfaite banalité. Le philosophe Alain de Libera accréditant à l’époque l’idée des lumières musulmanes dénonça les amateurs de croisades qui appellent le public à la grande mobilisation contre les sans-papiers. La polémique se transforma alors en chasse aux sorcières au moment même ou le public aurait été en droit d’attendre une vraie clarification scientifique. Pourquoi tant de passion ? Derrière l’identité des traducteurs d’Aristote, c’est de l’identité de l’Europe dont il est question. Club gréco-chrétien, scène du déchirement entre la foi et raison, espace de rencontre et de métissage des civilisations ? Dans tous les cas, ne conviendrait-il pas de distinguer la question historique (ce que l’on sait de la formation de l’Europe) de la question idéologique (le sens donné à cette odyssée) ? L’union de la rationalité (Athènes) et de la foi (Jérusalem) ce serait produite à Bagdad, du moins dans le monde musulman, et l’Europe n’est à la fois grecque et chrétienne que grâce au travail philosophique mulsuman.

    Michel Terestchenko a dit…

    Merci, cher Alexandre, pour ce beau commentaire ! Vraiment très intéressant.

    guelfenoireditions.com a dit…

    Merci pour ce lien. Sans hostilité aucune à l'endroit d'Alexandre, il n'est pas du tout acquis que la position de l'auteur "d'Aristote au Mont Saint-Michel" ne soit singulièrement minoritaire dans le paysage intellectuel, l'Université, et l'Ecole normale supérieure. Sa thèse n'est du reste pas "extrême", comme pourrait le paraître celle de l'historien Jacques Heers "Le moyen-âge: une imposture". Ce domaine n'est pas de ma compétence universitairement parlant; mais en tant que citoyen, je trouve important de souligner qu'un autre ouvrage de M. Heers (les Barbaresques, toujours chez Perrin) tranche avec une certaine "nescience [voulue]" de Fernand Braudel quant à l'esclavage des Chrétiens par les Barbaresques (à confirmer dans ses écrits "secondaires).
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    Vous écrivez 'lien avec l'actuatlité', oui mais sans le systématiser (une priorité absolue au court-terme confinerait trop de sujets, du reste féconds pour l'avenir) ; avec ce texte, ledit lien avec l'actualité non seulement un intérêt, mais le caractère d'un devoir.

    En contexte de débat sur "l'identité nationale'', l'actualité du "triple héritage culturel, religieux et humaniste' des "peuples européens" [Traité de Lisbonne] ne fait pas de doute, et nous gagnons certes à interroger avec esprit critique cet essai, par l'entremise de Kant "D'où venons-nous? Qui sommes-nous?".
    N'étant pas moi-même 'européocentrique', j'étais le premier à m'insurger contre l'exclusion des ''Tziganes'' (terme qui n'est pas 'l'insulte suprême en serbo-croate', encore une ânerie de bad-journalist-à-la-Sun). Encore que le Pr Mattéi nous appelle, dans le débat généralissime sur les civilisations, à ne point sombrer dans un 'culpabilisme' de principe.
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    Au 'post' d'Alexandre, j'ajouterais:
    - la contribution de la Patristique (les Pères "grecs", notamment) méconnue (pour ainsi dire, 'occultée'?), pour partie par suite de divergence d'avec le Saint-Siège ;
    - le haut moyen-âge, avec les fameuses ''De divisio natura'' de Scot Erigène
    - 6 siècles plus tard (voire 9 si Tertullien eût à ouvrir les festivités), les oeuvres d'Ibn-Sînâ, Al-Ghazâlî et maints autres seront traduites en espagnol et en latin, notamment par Hermann de Carinthie
    ( voici le lien vers une catéchèse du Souverain Pontife, au sujet de l'instigateur d'un vaste programme de traductions (j'avoue l'avoir pêché sur Wikipedia) :
    http://www.vatican.va/holy_father/benedict_xvi/audiences/2009/documents/hf_ben-xvi_aud_20091014_fr.html)

    A qui voudrait 'creuser' la question de la postérité d'une d'une 'religio communis' [Ficin]: l'oeuvre à la visée la plus oecuménique est le De perenni philosophia, de STEUCO. Il ne s'agit bien entendu pas de 'fondre' les variétés du culte en un improbable compost, mais de prendre la relève du De pace fidei, au risque d'un certain relativisme culturel (parce que je suis gentil d'avertir du 'pis' où cela pourrait mener). Un débat connexe sur l'irénisme placerait la politique de civilisation et ses contre-feux en regard d'oeuvres utopiques telles celle de Thomas More citée par Jerry Brotton.

    Cordialement,

    Daniel

    Miloud KOHLI a dit…

    Cet ouvrage de Jerry Brotton, publié depuis déjà 10 ans, des apports culturels et économiques de l'Orient vers l'Occident durant la Renaissance est comme une bouffée d'air rafraîchissante qui tranche avec les idées caricaturales que nous n'avons cessé d'entendre les 5 dernières années sur les rapports entre Orient et Occident. Les influences mutuelles "positives" ont toujours existé dans l'histoire entre ces deux mondes et manifestement encore plus que l'on pourrait l'imaginer pendant la Renaissance selon Brotton. C'est en « fouillant » dans notre histoire passée, d'ailleurs au cours d'une période glorieuse de l'Occident, que Brotton a pu trouver les arguments pour nos sociétés contemporaines d'envisager un futur commun avec un minimum d'espoir. Au choc des civilisations Brotton préfère défendre l'idée plus constructive et porteuse d'avenir de rencontre des civilisations. À cet égard comment ne pas rappeler votre ticket du 24 juin 2012 sur Soeur Marie Keyrouz pour apporter la démonstration que Brotton est certainement dans le vrai. Je lirai certainement cet ouvrage un jour, grâce à vous Michel, Merci.