Le moment est venu de relire l'excellent ouvrage de Vladimir Tcherkoff, Le crime de Tchernobyl : un goulag nucléaire (Actes Sud, 2006 :
Mais là où Voltaire nous touche, c'est que le malheur des hommes prend chez lui une dimension proprement métaphysique. Non pas qu'il ignore la réalité concrète, atroce, de la souffrance, bien au contraire, ni même la responsabilité des hommes, ou en fasse l'occasion d'une spéculation purement théorique, mais parce que ces malheurs, ces souffrances, éveillent en lui, à cette occasion tout particulièrement, les tourments intérieurs que l'effroi du mal agitait en lui, et dont témoigne, dans le Poème sur le désastre de Lisbonne, ce constat comme un cri terrible : "Le mal est sur terre". C'est en cela que Voltaire est si proche de ces grands romanciers métaphysiciens que sont Dostoïevski ou Melville. On oublie trop souvent qu'à l'image du "Dieu architecte" succède chez Voltaire la figure du "Dieu cruel", voire du "Dieu boucher". Il faudra un jour en dire ici davantage...
O malheureux mortels ! ô terre déplorable !
O de tous les mortels assemblage effroyable !
D'inutiles douleurs éternel entretien !
Philosophes trompés qui criez : " Tout est bien " ;
Accourez, contemplez ces ruines affreuses,
Ces débris, ces lambeaux, ces cendres malheureuses.
Ces femmes, ces enfants l'un sur l'autre entassés,
Sous ces marbres rompus ces membres dispersés :
Cent mille infortunés que la terre dévore,
Qui, sanglants, déchirés, et palpitants encore,
Enterrés sous leurs toits, terminent sans secours
Dans l'horreur des tourments leurs lamentables jours !
Aux cris demi-formés de leurs voix expirantes,
Au spectacle effrayant de leurs cendres fumantes,
Direz-vous : " C'est l'effet des éternelles lois
Qui d'un Dieu libre et bon nécessitent le choix " ?
Direz-vous, en voyant cet amas de victimes :
" Dieu s'est vengé, leur mort est le prix de leurs crimes " ?
Quel crime, quelle faute ont commis ces enfants
Sur le sein maternel écrasés et sanglants ?
Lisbonne, qui n'est plus, eut-elle plus de vices
Que Londres, que Paris, plongés dans les délices ?
Lisbonne est abîmée, et l'on danse à Paris.
Tranquilles spectateurs, intrépides esprits,
De vos frères mourants contemplant les naufrages,
Vous recherchez en paix les causes des orages :
Mais du sort ennemi quand vous sentez les coups,
Devenus plus humains, vous pleurez comme nous.
Croyez-moi, quand la terre entrouvre ses abîmes,
Ma plainte est innocente et mes cris légitimes. [...]
Un jour tout sera bien, voilà notre espérance ;
Tout est bien aujourd'hui, voilà l'illusion.
Les sages me trompaient, et Dieu seul a raison.
Humble dans mes soupirs, soumis dans ma souffrance,
Je ne m'élève point contre la Providence.
Sur un ton moins lugubre on me vit autrefois
Chanter des doux plaisirs les séduisantes lois :
D'autres temps, d'autres moeurs : instruit par la vieillesse,
Des humains égarés partageant la faiblesse,
Dans une épaisse nuit cherchant à m'éclairer,
Je ne sais que souffrir, et non pas murmurer.
Un calife autrefois, à son heure dernière,
Au Dieu qu'il adorait dit pour toute prière :
" Je t'apporte, ô seul roi, seul être illimité,
Tout ce que tu n'as pas dans ton immensité,
Les défauts, les regrets, les maux et l'ignorance. "
Mais il pouvait encore ajouter l'espérance.
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* J.J. Rousseau, Lettre à Voltaire, in Oeuvres complètes IV, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, Paris, 1969, p. 1061.
7 commentaires:
merci pour ce poème, ce cri, cette indignation et cette inquiétude...Mais les peuples les plus éprouvés par les inconséquences politiques qui sont à l'origine de leurs malheurs et qui pourraient mieux que tout autres se lever pour protester, seront muselés par leur accablement ( Haiti) et nous "confis" dans nos habitudes...Quelle angoisse!
Rousseau nous éclaire sur bien des problèmes contemporains, mais sommes nous prêts à diminuer notre train de vie, à moins consommer? Qu'il est difficile d'être homme.
Je viens de terminer le livre "l'esprit des lumières" de T Todorov. Dieu est mort ! nous dira Nietzsche car le XVIII voulait faire de l'homme un être responsable, tolérant et ne plusse réfugier derrière les dogmes chrétiens. Alors si iIeu n'est pas mort parce que responsable des catastrophes naturelles, effectivement qui rendre responsable de la catastrophe nucléaire. Ce qui m'effraie c'est de voir que des milliers de gens sont livrés à leur sort. Cela a un gout de terminus pour le train de la mort. Pourquoi n'essaie t-on pas d'évacuer les gens, et cela au lendemain de la catastrophe ? sous prétexte de ne pas faire paniquer les gens? Tokyo 35 millions d'habitants, que seront-ils demain? et les autres plus près ?On ne veut jamais envisager le pire. Mais ne dit-on pas des justes " qui sauve une vie en sauve mille". Alors pourquoi ne pas aider à les secourir. La crise humanitaire n'est même pas réglée que c'est la crise financière, quelle dérision !
nos temps modernes, animés par des forces troubles et obscures désignant nos limites de leur doigts crochus...connaissez vous l'histoire des deux grenouilles bloquées dans un bol de lait ? après plusieurs heures l'une dit : "j'arrête de patauger...je suis épuisée et nous ne parviendrons jamais à nous en sortir..." et puis elle se laisse couler ; l'autre persiste et brasse.....à la fin le lait se transforme en beurre, et la grenouille s'échappe du bol...nous n'avons pas fini de patauger......
Pierre T.
Meri, chers Pierre et Catherine, pour vos commentaires et votre fidélité.
En écho à votre texte, je signale deux entretiens sur France Culture avec JP Dupuy. Le premier a eu lieu lors du journal de 12 h 30 aujourd'hui vendredi : http://www.franceculture.com/emission-journal-de-12h30-libye-une-premiere-serie-de-frappe-aerienne-devrait-avoir-lieu-avant-ce-so
Le second aura lieu lundi dans l'émission Question d'éthique :
http://www.franceculture.com/emission-questions-d-ethique-catastrophes-naturelles-catastrophes-morales-2011-03-21.html
Leyla
Je ne sais pas si les commentaires sont ici encore lus, mais je signale un article de Dupuy publié par Le Monde de dimanche lundi et disponible ici : http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/03/19/une-catastrophe-monstre_1495592_3232.html
Leyla
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