On se forme l'esprit et le sentiment par les conversations, Pascal

lundi 11 avril 2011

L'amour, un beau risque à courir

Ici commence le petit abécédaire de thèmes philosophiques que je voudrais rédiger, sous forme de courts billets, qui soit comme un "coup d'oeil", bref, dense, espérons-le, un peu stimulant, quoiqu'inévitablement lacunaire :

La tradition philosophique n'a sur l'amour humain que bien peu à dire. Sur l'amité, oui, chez Aristote dans l'Ethique à Nicomaque ; sur l'erôs, le désir naturel, selon Platon et les platoniciens chrétiens, de l'âme pour le Bien (et le Souverain Bien), certainement ; sur l'amour pur, et c'est l'immense controverse qui, à la fin du XVIIè siècle, agita les plus grands esprits de l'époque, mais là il faut un peu d'érudition pour savoir de quoi il s'agit et quels sont les arguments en présence, et puis c'est de l'amour désintéressé et sacrificiel de Dieu dont disputent Fénelon et Bossuet ; sur le commandement chrétien d'aimer son prochain et surtout ses ennemis, Kant s'est exprimé, établissant une claire distinction entre l'amour pathologique, affectif et sensible, sur lequel la volonté et la raison n'ont pas de prise, et l'amour pratique, qui est une obligation, un devoir moral, sans quoi qu'y pouvons-nous, un tel commandement est tout bonnement absurde. Au fond, pour la plupart des penseurs, l'amour n'a droit de cité au pays de la raison que s'il est le sentiment intellectuel où l'âme se joint, librement ou non - c'est tout le débat - avec ce qu'elle juge être un bien - et là, l'affaire est simplement de ne pas se tromper. Mais notre objet, nous ne l'avons toujours pas rencontré.
L'amour humain, l'attachement éperdu d'un être pour cet autre, et celui-là seul, avec ses emportements passionnés de l'âme et du cœur et les débordements impétueux du désir, les déchainements qu'il engendre et le champ de ruines qu'il laisse parfois, souvent, sur son passage, n'est pour l'immense majorité des philosophes qu'une déraison, une folie au mieux passagère, dont il faut se prémunir puisqu'aussi bien, c'est de cela dont il convient impérativement de se déprendre : du corps, des sentiments et des passions. Laissons, nous disent-ils in petto, les romanciers et les poètes se complaire dans ces égarements, si ça leur chante - et de fait, pour sûr que ça leur "chante" ! Nous sommes hommes sérieux qui voulons du rationnel, du stable, du constant, du vrai et de l'universel, de l'exigible sur quoi l'on puisse compter.
Et pourtant n'est-ce pas en aimant et en étant aimé que la vie s'enhardit, qu'elle devient plus intensément vivante, vécue comme une extase, une sortie hors de soi, source même de connaissance, malgré qu'on en ait – car il faut aimer un être pour le connaître vraiment et non, comme on le prétend trop souvent avec Descartes, le connaître pour l'aimer ? L'amour est la grande dynamique de l'être et de la vie, une lumière qui éclaire, non une impulsion qui aveugle, et dans tous les cas, un beau risque à courir.

5 commentaires:

cécile odartchenko a dit…

A la robe de la femme/cygne de Vroubel, Jean Malrieu répond par:
Tu es une robe de neige sur la mer»

A la robe du baiser de Klimt, il répond par:
Je t’ai aimée vêtue du meilleur de l’homme pour que tu sois la souveraine quotidienne.

A la robe de la Ménine de Velasquez, il dit:
«Pour toi je veux tailler dans ma vie
La robe des circonstances
..........................................................................................
...une robe sur parole
Une étoffe sur mesure
Prise dans l’accent dont j’use dans le sommeil
Lorsque je suis très pur et très beau
Une robe précise comme le moule qui me creuse et m’emplit
celui de l’éloquence

Une robe de rumeurs
la robe de l’étonnement
Dont chaque fibre m’a demandé de longs tourments
Dont chaque hanche m’a demandé tant de nuits blanches
La robe où l’on entre et l’on sort
la robe jeune comme le rire
une robe pour un empire
Lire tout le poème dans Hectares de soleil
Oeuvres complètes aux éditions du Cherche midi.

Michel Terestchenko a dit…

Mille mercis, chère Cécile, pour ce beau texte, comme toujours ! et ces références précieuses. Je pourrai n'écrire que pour solliciter vos magnifiques "réponses", et ma tâche serait déjà comblée !

cécile odartchenko a dit…

signalons aussi; concernant Jean Malrieu et quelques autres, ma collection Présence de la poésie , aux éditions des Vanneaux que je dirige. Anthologies visant à prendre la suite des poètes d'aujourd'hui de Seghers..des incontournables. Ici, Malrieu est présenté par un autre poète, Pierre Dhainaut, ami de toujours, de ce poète "brûlant" mort prématurément.Une très grande voix pour ce qui est de l'Amour!

Anonyme a dit…

Il faudrait que vous rappeliez le lien de l'émission où vous interveniez sur Fr. Culture, à propos de Nygren ; j'avais été interpellé par "Eros & Agapè" et depuis je me suis procuré les livres... L'Amour idéalisé et non motivé est très bien présenté dans la forme, remuant énormément de choses sur le fond. Je n'en n'ai pas encore tiré toutes les conclusions à mon humble niveau de réflexion, mais pour le coup je trouve la réflexion puissante. Quel était votre point de vue sur cet auteur ?

Pierre T.

Michel Terestchenko a dit…

Cher Pierre, vous avez raison, le livre de Nygren "Erôs et Agapè" est tout à fait essentiel. J'en ai fait un petit compte rendu pour la revue du Mauss. Si je le retrouve dans mes archives, je le mettrai en ligne.