Ce visage, que je n'ai jamais vu qu'en photo, m'a toujours frappé par la beauté et, pourquoi ne pas le dire ? par la pureté qui en émane. Le combat de Nesterenko m'était connu depuis ma rencontre avec Vladimir Tcherkoff, l'auteur du Crime de Tchernobyl : le goulag nucléaire (Actes Sud, 2006), mais, hélas, je n'ai jamais connu l'homme personnellement.
Vassisili Nesterenko, qui vient de décéder, était un grand physicien, de réputation internationale. Il fonda en 1990, avec l'aide de Sakharov, l'Institut indépendant de Radioprotection "Belrad", pour enquêter sur la contamination radioactive qu'entraina l'explosion de la centrale de Tchernobyl en 1986 et venir en aide aux populations touchées par la catastrophe, en particulier aux enfants. Depuis lors, il ne cessa de se révolter contre le mensonge d'Etat au prix de sa carrière professionnelle et de sa sécurité personnelle.
Dans son très beau livre, La supplication (rééd. J'ai lu, 2004) Svetlana Alexievitch relate comment, lors d'une conférence d'experts soviétiques qui se tint au lendemain de l'explosion nucléaire, il avait souligné la gravité extrême de la situation et la nécessité de prendre les mesures appropriées :
" La salle était restée inerte, chacun jugeant qu'il exagérait. Il avait insisté, bataillé. L'auditoire était resté sceptique. Quand il avait vu que ses efforts étaient vains, que chacun faisait mine de croire à une situation "normale", comme le proclamait la propagande, des larmes de rage s'étaient mises à couler sur son visage... Cet homme, il fallait que je le rencontre."
Voici ce qu'il déclarait le 27 mai dernier à Genève où il était venu faire la vigie aux portes de l'OMS :
"Je veux vous dire ceci : tant que les amis nous soutiennent, nous continuons à espérer que les victimes survivront. Je suis l’un des 800 000 liquidateurs blessés par Tchernobyl. Ce sont réellement des hommes oubliés dans nos pays. Des dizaines de milliers ont déjà quitté ce monde, ils ne pourront plus parler. Au nom des autres, je vous souhaite à toutes les vigies, du courage et une longue vie, afin que vous puissiez rester ici jusqu’à la victoire. Je vous souhaite à tous la bonne santé que nous avions, nous les liquidateurs, avant d’arriver sur le réacteur. Nous étions tous jeunes et pleins de force. Merci."
Vassili Nesterenko était une des dernières grandes de la dissidence et de la résistance à l'Est, et c'est à ce titre que nous devons honorer sa mémoire et, bien qu'il fût peu connu en France et indignement ignoré des médias, faire connaître son combat qui était avant tout, selon Vladimir Tcherkoff, un "combat pour la vérité".
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