L'enseignement de la "vérité" historique, comme une vérité neutre ou toujours moralement bienfaisante - le fameux : savoir pour éviter que "ça se reproduise" - laisse de côté les bienfaits également de l'oubli. Encore qu'il convienne de faire une différence essentielle entre les "oublis nécessaires" et les "oublis pervers". Ce ne sont pas seulement les Etats qui dissimulent et falsifient l'histoire, ce sont aussi les sociétés qui sont animées par un "travail de l'oubli", lequel n'a lui rien de négatif en soi, leur évitant de s'enfermer dans ce que Stora appelle une "rumination" permanente du passé et un "ghetto mémoriel". L'oubli est "nécessaire" ou du moins bienfaisant lorsqu'il permet à une société de "pouvoir vivre" et d'avancer vers l'avenir ; il est pervers lorsque porté par les Etats, il vise à construire des récits de type "négationniste". Mais selon Benjamin Stora, qui vient d'écrire un livre sur le sujet, entre les deux, il y a une sorte de va et vient fort complexe. De plus, comment nier qu'il existe une responsabilité, éthique et politique, de l'historien qui le confronte à une question fort délicate : celui-ci peut-il tout "dévoiler" de ce qu'il trouve dans les archives, au risque d'éveiller de nouvelles blessures et de porter atteinte à la cohésion nationale ? A contre-courant des idées reçues, il souligne combien le principe de l'ouverture radicale des archives, au nom de l'exigence de vérité scientifique, doit, pour l'historien conscient des conséquences possibles de ses travaux, être manié avec précaution. Pour recevoir certaines vérités, les sociétés doivent y être préparées, au risque sinon de susciter un esprit de vengeance perpétuelle, d'introduire des violences nouvelles et non d'apaiser les coeurs et les esprits.
Le problème ici abordé est à la fois complexe et fondamental et il porte sur la question plus générale de l'éthique propre à la recherche scientifique.Le savant - qu'il soit historien, physicien ou biologiste - peut-il rester indifférent face aux conséquences et aux applications possibles de ses découvertes ? Jacques Testart a écrit un livre lucide et important sur ce sujet, L'oeuf transparent (Champs, Flammarion, 199ç) où il soutient le principe paradoxal, en certains cas, d'une éthique de la "non recherche" et de la "non découverte".
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